mercredi 29 octobre 2014

Le café est des bains, l'hôtel est de Paris


La maquette de la ville de Royan est photographiée sous un nouvel angle par le studio Bourdier de Royan.
Bords dentelés, image en noir et blanc, taille du cliché, tout cela nous fait croire à une carte postale. Pourtant, cette fois-ci, au dos, ne figure aucun élément graphique nécessaire à cette utilisation. Le verso est blanc.
Erreur d'édition, abandon de la fonction, document du studio, projet non abouti d'une future carte avant édition ? Impossible de le dire.
Reste une photographie de la maquette de la ville de Royan pleine d'informations. On a vu sur ce blog l'importance éditoriale des cartes postales de la maquette de Royan. La richesse doit être en quelque sorte le signe d'une impatience de la Reconstruction mêlée de la fascination de sa modernité.
Ici, Bourdier photographie d'un peu plus bas que d'habitude, descend sa visée et cadre sur le Casino et l'articulation qu'il devait faire entre le point haut du port et la terminaison du front de Mer. L'histoire changera tout cela puisque ce Casino, triangle ouvert et posé ainsi en bout de conche viendra finalement se construire devant le Front de Mer. La forme sera totalement redessinée et Monsieur Ferret l'architecte fera une proposition beaucoup plus organique, ouverte dans son plan à la compréhension de ses fonctions. Ce casino non construit sous cette forme aurait-il connu un sort plus heureux car moins intéressant en terme de disposition urbaine ? Difficile de le dire. Reste que ce morceau de ville de Royan n'a pas été construit de la sorte même si on reconnaît étrangement certains bâtiments qui sont bien à leur place. Cela signifie que, au moment de la construction de cette maquette, des décisions et des constructions sont sans aucun doute déjà en route alors que des pans entiers de l'urbanisme sont encore hésitants. On reconnaît bien dans sa forme l'Hôtel Continental et l'Hôtel de Paris. Par contre, à l'arrière, c'est euh... peu défini...!





Comme si la ville était surtout dessinée sur son front de mer. Mais le Port lui-même n'est pas juste et son entrée avec sa petite construction reste pure conjoncture. Et que penser de cette petite passerelle !





Alors voilà une carte postale de ce morceau de ville, cette fois, c'est le réel !



Cette carte postale expédiée en 1962 est une édition Tito par Berjaud. C'est bien finalement ce jardin et ce Café des Bains qui feront la jonction entre la ville en hauteur au dessus du port, le port et le Front de Mer. Peut-on voir dans la forme triangulaire de ce café des bains une réminiscence du triangle du casino ? Sans doute pas mais on ne peut qu'être saisi par la très grande qualité architecturale de ce café qui sait bien faire son travail urbain en offrant un bâtiment-carrefour qui vous fait comprendre les basculements des fonctions urbaines. Ici nous sommes dans la partie balnéaire et plage, ensuite nous serons sur la partie Port, au-dessus dans la ville. Comment ne pas aimer ce premier niveau totalement de verre dont on devine en transparence les colonnes rouges et soudain un bandeau plus fermé, avec des fenêtres qui sont presque des meurtrières et qui dessinent la courbe de l'établissement ?
On aimera aussi que cette carte postale en couleur nous permette de saisir les volets peints de tons différents sur la façade de l'Hôtel de Paris à l'arrière. La vue doit y être superbe !
Imaginez... Vous vous éveillez tranquillement, vous ouvrez votre baie avec la vue sur le port. Après un petit déjeuner dans la chambre, vous descendez sur le port pour acheter votre France-Soir. Vous décidez de prendre un petit crème au Café des Bains pendant que votre amoureux ou amoureuse (ou les deux) sont partis acheter sous le Front de Mer quelques cartes postales.
À leur retour, vous écrivez votre joie d'être là, le soleil commence à tiédir vos épaules dégagées. Alors, il vous suffit naturellement, sans heurt, à pied, en suivant la courbe du Front de Mer de vous laisser glisser jusqu'à la Poste. L'odeur des sucettes chaudes vous pique un peu le nez, vous en prendrez une au retour. Mais avant, il faut regarder les horaires du cinéma pour voir à quelle heure passe le dernier Bourvil et caler la séance avec les horaires du bain et des marées.
Vous avez utilisé la plus belle ville du monde.





mardi 28 octobre 2014

L'esprit d'escalier

Peut-on connaître une architecture simplement par la qualité de l'un de ses détails constructifs ?
Si j'en crois mes amis Patrick et Miguel, oui !
Voici que tous les deux, sans se passer le mot, m'envoient une carte postale d'un escalier !
Commençons par l'envoi de Patrick Gaïaudo :



Cette carte postale nous montre donc l'escalier du MHK de Kassel grâce à une photographie de Fritz Dressler. Je ne sais rien de cette construction, même pas s'il s'agit d'une construction moderne ou ancienne. En effet, il est impossible de localiser cet escalier au MHK. Pourtant sa forme, le dessin de ses marches, nous font rêver à une construction contemporaine, mais je crois bien que je me fais avoir par l'image et que, d'ailleurs, ce petit jeu pourrait bien être le centre même de l'envoi de mon ami Patrick, se jouant de moi et de mes goûts ! Merci en tout cas, Patrick, pour cette énigme.
Pour cet autre escalier, c'est beaucoup plus simple :



Envoyé par Miguel Mazeri, cet escalier est sans doute l'un des plus célèbres de son époque, l'un de ceux qui marquent la qualité de son architecte. Ici ce n'est rien moins que Bernard Zehrfuss pour le Musée gallo-romain de Lyon en 1975. Merci Miguel !
On notera que l'éditeur joue bien son rôle en donnant au verso toutes les informations sur l'architecte. Comment ne pas être ému par cette ligne superbe descendant d'un puits de lumière ? L'immense et épaisse rampe accentuant d'ailleurs le dessin de l'hélice et provoquant la sensation d'un mouvement vers nous.
Mais j'ai dans ma bibliothèque un très beau livre acheté aux Emmaüs. Il s'agit de Stahltreppen chez Julius Hoffmann éditeur. Ce livre est consacré aux escaliers métalliques et fut imprimé en 1962. C'est une merveille éditoriale qui pourrait à elle seule mériter plusieurs articles ! 
On y retrouve Claude Parent comme quoi, on peut avoir rêvé de rampes et avoir réalisé de très beaux escaliers. On notera également que Robert Doisneau est crédité par trois fois dans cet ouvrage. Cela démontre bien que les photographes prenaient également ce type de commandes plus techniques.
Je vous donne à voir quelques beaux morceaux dans un choix tout à fait personnel !
Allez, ne soyez pas jaloux... Si, si, vous l'êtes.... C'est bien fait !




Architecte : Arne Jacobsen. Photographe : Strüwing.

Architecte : Arne Jacobsen. Photographe : Strüwing

Architectes : Gio Ponti, A. Fornaroli, A. Rosselli, Mailand.

Architecte : Harald Dielmann. Photographe : Freidhelm Thomas.
Architecte : Harald Dielmann. Photographe : Freidhelm Thomas.

Architecte : Arne Jacobsen. Photographe : ?

Architecte : Albert Stenzel. Photographe : Hans Lohrer.

Architecte : Dr Carlo Villa. Photographe : Camera-Color Mailand.

Architectes : Leon Palm, Willy van der Meeren. Photographe : ?

Architecte : Sergio W. Bernades. Photographe : ? 
Architecte : J. J. ven der Linden. Photographe : Jaap d'Oliveira.
Architecte : Alois Giefer.

Architecte : Löpfe et Hänni (?)
Architecte : J. J. van der Linden. Photographe : Jaap d'Oliveira.

Architecte : Georges Johannet. Photographe : Doisneau











Architecte : Georges Johannet. Photographe : Doisneau

Architecte : Georges Johannet. Photographe : Doisneau.
Pour finir, nous nous attarderons sur des escaliers d'architectures de Claude Parent.
D'abord la Maison Soultrait (1956-58) avec ces deux belles vues de l'escalier puis un immeuble de bureaux à Paris, réalisé avec Ionel Schein, équipé d'un escalier en dalles de verre très épaisses et massives.




Architectes : Claude Parent, Ionel Schein. Photographe : Etienne Bertrand Weill.




dimanche 26 octobre 2014

Construire le constructivisme



"... Ne crois pas ce qu'on te raconte. Ce qui se passe ici c'est ce qui devrait se passer chez toi. L'élan bâtisseur, celui que le peuple prend pour lui, en lui, pour lui. Ce n'est pas une plaisanterie, ce n'est pas une utopie. Oh Non ! Viens voir les gars charrier sur leur dos le ciment par wagons entiers ! Le soleil se lève ici. Rien ne le retient et les murs que l'on monte, les fenêtres que l'on ouvre, on les monte, on les ouvre pour lui. Et en sifflant, en suant, en râlant sans doute un peu. Mais tout cela n'est pas pour un patron, pas pour un consortium dont on ne sait rien. L'architecte Seravimov (sic) te tutoie, te demande des nouvelles, mange la gamelle. Tu verrais les plans ! Nets comme dessinés au couteau (celui qu'on a entre les dents), durs comme pour se défendre. La droite,  l'angle, les hauteurs partout. Ça a une de ces gueules ! Pas de décor, le décor c'est notre courage, ce sont nos bras, notre force. C'est l'homme au centre qui rayonne.
Viens voir et laisse dire.
Ce qui se passe ici c'est l'avenir, c'est ce que l'homme libre doit construire.
C'est ce qu'on a perdu il y a longtemps.
Tout est pour nous et j'apprends la langue.
Hier j'ai parlé, hier j'ai donné mon avis. Et on m'a écouté moi l'étranger, on a discuté, on a décidé. Le jour tourne autour de nous, le froid nous mord mais ça nous réjouit car rien ne nous arrête. Tu verrais la vitesse, tu verrais la solidité et les détails. Partout ça coule, ça moule, et surtout ça durcit si fort. Indestructible, cela sera indestructible.
Et c'est immense, je me perds. Hier, je suis tombé sur Anya par hasard. Elle est venue là toute seule, comme ça pour être avec nous. Elle avait fait une soupe brûlante pour nos mains, pour nos bouches, pour nos ventres. Un chant est monté, un chant grave et joyeux, sérieux mais aimé. Le chantier fut suspendu ainsi. Tu aurais vu. Il n'y a pas de matin, pas de soir. Le travail c'est notre nouvelle prière. Ce qu'on construit là c'est nous. Nous sommes. (sic)



À Kharkov, c'est plus clair qu'à Moscou. C'est mieux dit notre vie. La Pravda est belle certes mais elle est trop d'un architecte, trop belle, trop fragile. Ici la masse du peuple existe dans la masse du bâti. J'aime mieux Kharkov, je préfère la masse au dessin. Tu dois avoir peur, tu dois avoir peur de me voir ainsi enthousiaste, n'évoquant pas mon retour. Mais la Vérité, camarade, c'est que je ne reviendrai pas, je ne reviendrai pas, je suis de ce pays maintenant, je suis de ce peuple, je suis du peuple. N'aie pas peur camarade. Je t'écris.
Et les trains sifflent, les enfants défilent, chantent le travail de leur père. Les femmes donnent leurs bras, elles sont notre égal et elles le font savoir. Le ciel est plus grand maintenant et je crois bien, qu'un jour, comme tu le rêves, on y enverra un camarade. Et de ce ciel, il te saluera, il t'enverra un signe. Il sera notre nouveau soleil..."
Courrier anonyme incomplet sur papier bleu plié. Circa 1928.

par ordre d'apparition :
 1 : Carte postale vers 1930. Papier fin, photographe inconnu.
Bâtiments des Services d'État de l'Industrie et de la Planification. Kharkov.
Architecte : I. Serafimov.
On trouve des informations ici.
http://www.c20society.org.uk/botm/gosprom-kharkov-ukraine/
On trouve dans le livre d'Anatole Kopp Ville et Révolution, architecture et urbanisme soviétiques des années vingt cette autre image :


2 : Carte postale Moscou Pravda Street. Pas de date.
Architecte Golossov.














samedi 25 octobre 2014

La pyramide d'usage



Entre les petits pins juvéniles, monte une pyramide blanche et hérissée de pointes.
Elle porte une ambition dans son nom : Babylone !
La carte postale est superbe aussi parce qu'elle nous donne à voir une ville tranquille, ensoleillée et moderne. Aujourd'hui, le Combi Volkswagen ajoute encore à la joie vintage de l'image. Qui aura aussi regardé le mobilier urbain de béton au premier plan ?
Comme nous sommes à la Grande Motte, on pourrait rapidement attribuer cet immeuble à Jean Balladur or il est de Vignal.







Au dos de la carte postale, Yolande donne son avis sur l'architecture. Ce qui est rare.
"Je t'envoie une vue d'un immeuble qui est juste à côté du nôtre, il est très original."
C'est peu mais c'est vrai. On notera que le mot original n'est ni totalement négatif, ni vraiment positif laissant un doute planer sur le jugement, jugement que Yolande, par politesse laisse à sa correspondante.
À la frontière franco-espagnole :



Il fallait montrer la frontière, il fallait montrer ce passage. Mais le photographe des éditions Postales Internacional Color devait aussi montrer la Pyramide de la Liberté. Alors il se passe ce qui se passe, les autos arrivent, les bus font la queue, les cônes de plastique sont là. Et étrangement ce n'est plus le monument de Ricardo Bofill que l'on regarde mais les bras nus posés sur les portières, l'écrasement des amortisseurs de la Ford, la porte ouverte du bus. On regarde cette vie, ce moment, ce ça de l'image qui dit que l'attente due à la géographie politique est l'objet de l'image.
Personne sur les escaliers de Bofill, personne ne monte là-haut sur la Pyramide de la Liberté.
La liberté c'est les vacances, remplir le coffre de Pastis pas cher et de cartouches de cigarettes, c'est avoir bronzé au soleil espagnol, c'est une époque où la climatisation des automobiles fonctionnait en ouvrant plus ou moins les vitres... Et l'adolescent fait un V de la victoire au photographe repéré.
Qui voudrait monter là-haut sous un soleil de plomb ?
Et pour quoi faire ?
Le monument agit comme un énorme signe, un rien inutile, marquant mais pas pratiqué. Comme une ruine moderne, présente certes, belle aussi, mais ignorée à sa fonction. C'est une image.
J'en aime la grandiloquence, j'en aime son vide de visiteur, sa végétation cuite et jaunie, désespérée.
Il faudra l'oublier totalement. Puis, un jour, soudain, se la rappeler cette pyramide, la redécouvrir comme un monument ancien et oublié.
On viendra là voir ce tumulus aussi parce que la frontière et sa symbolique n'auront plus de sens.