samedi 20 mai 2023

Les seconds couteaux de l'architecture sont-ils bien affûtés ?

Ce matin, une fois encore, foire à tout à Elbeuf.
C'est chez moi, je m'y reconnais, je reconnais les gens, les espaces, l'ambiance.
Par deux fois, j'ai failli acheter la base spatiale  Playmobil parce qu'elle me rappelle ma Bulle six coques, mais je me suis retenu.
Peu de choses pour vous mais trois cartes postales qui permettent au moins de se poser la question de comment l'histoire de l'architecture personnelle que l'on se fabrique est oublieuse parfois de noms célèbres ou de second couteaux qui n'ont pas démérité et qui, depuis une carte postale, réussissent au petit matin à vous mettre en appétit.
Si, par exemple, je vous parle de Harald Deilmann ? Je pense que vous êtes peu nombreux derrière votre écran à me dire que vous le connaissez !
Pourtant, cet architecte allemand a une oeuvre très riche et complète mais sa renommée n'a pas beaucoup passé la frontière.
Alors voilà :


J'aime tellement l'ambiance de cette carte postale des éditions Cramers. On ne sait pas si nous sommes à l'aube ou au crépuscule, si la Grosse Mercedes vient apporter ou reconduire des notables fatigués, on ne sait pas si on aime ou déteste cette architecture bien trop clinquante, brillante, tarabiscotée et servie par une mise en scène de jeux de lumière et de jets d'eau.  J'ai choisi pourtant de ramasser cette carte qui nous montre le Casino de Hohensyburg, casino dessiné par le fameux Harald Reilmann.
Les voilà les dégâts du Post-Modernisme flamboyant comme un coffret-cadeau pour bouteille de champagne millésimé. Trop de tout. Trop de fenêtres avec huisserie en aluminium, trop de dalles de granit agrafées en façade, trop de petites formes, de pinacles ne voulant pas dire grand chose. On hésite entre un musée américain pour collection de magnats du pétrole au Texas, une clinique de luxe en province ou des thermes d'une ville d'eau rhabillés en 1980. J'adore ce genre de machine, ça nous change du brutalisme. Sur ce cliché, on ne voit pas que l'architecte a utilisé une structure métallique tridimensionnelle en tubes. Sans doute que cette structure, que le dessin alors épuré de tous ces matériaux sont plus beaux que l'emballage, un peu comme l'était son écriture architecturale au début de sa carrière.
Il y a trois entrées dans l'Architecture d'Aujourd'hui pour Harald Deilmann, ce qui prouve qu'il avait bien une place dans ce moment de l'histoire.
Je vous propose quelques images de son théâtre à Munster dans une pure veine moderniste que nous aurions tendance à préférer...







Avec ce Casino allemand, traîne une patinoire bien française, celle de Morzine. J'ai craqué surtout pour l'utilisation de lamellé-collé ici très spectaculaire par la taille des arches qui couvrent la glace. On sait que l'architecture du sport est surtout constituée du défi de couvrir de grandes surfaces sans appui comme des patinoires, des terrains de basket ou de hand-ball ou, bien entendu des piscines dont on n'imagine pas un poteau tombant au milieu du bassin...



On pourrait ne pas avoir grand chose à dire de cette belle carte postale Combier à part, justement cette utilisation de cette technique. L'ensemble crée bien une belle ambiance, une belle lumière et une certaine chaleur. Le rythme régulier aussi des arches donne un sentiment spatial assez riche. L'éditeur nous fait la grâce de nous donner le nom des architectes : Marullaz et Faublée. L'agence d'architectes Marullaz existe toujours et on trouve de belles chaises bien massives dessinées par René Faublée ici :


Je remercie au passage la Galerie 44 de m'avoir permis d'identifier mon fauteuil que j'ai depuis 25 ans !
Un beau modèle 6772 par Preben Fabricius et Jorge Kastholm ! Merci donc pour l'info !
Mais ce nom résonne chez moi et je me dis que je dois avoir autre chose :



Voilà, bien rangée (pour une fois), voici donc La Chapelle d'Avoriaz à Morzine par René Faublée, architecte. C'est encore Combier éditeur qui régale. Ne trouvez-vous pas que cela ressemble beaucoup à l'écriture d'un Novarina ? J'aime bien son côté rustique-moderne comme ses chaises ! Ce Faublée me semble de plus en plus intéressant...à suivre donc.

On aura, pour 50 centimes, fait une belle promenade et trouvé des réponses. C'est bien non ?

jeudi 18 mai 2023

trouvailles brouillonnes du matin

Ce matin, comme tous les jeudis de l'Ascension, c'était foire à tout à Pont-de-l'Arche.
Voilà quelques trouvailles un rien mélangées, telles qu'elles sont apparues dans les boîtes à chaussures du matin. On notera que les cartes postales, modernes ou anciennes, furent (relativement à la taille de la foire) peu présentes.
On commence avec une série de documents, au format carte postale qui pourtant n'en sont pas ! Mais comme je l'ai déjà dit, traine souvent dans les lots de cartes ce genre de vieux papiers mélangés. Il s'agit pourtant, pour nous, sur ce blog, de documents très intéressants car ils racontent la promotion du ciment dans le tout début du siècle dernier.



Le premier document ressemblant donc à une carte postale est une photographie d'une usine "Hella" à Courbevoie recouverte d'un toit-terrasse en ciment volcanique des établissement Ythier.
Nous noterons donc ici d'abord la belle construction du bâti industriel et la nécessité moderne d'un toit plat, la carte raconte absolument tout des avantages du procédé. On note que la carte est numérotée, il devait donc y avoir une série.
Est-ce que l'avancée de l'étanchéité par ces matériaux nouveaux des toits plats dit toit-terrasse a permis aussi à la Modernité d'inventer une architecture cubique, sans les pentes ?



L'autre carton nous montre un incroyable et superbe point de vue sur un paysage fait de sheds. Sur ce toit immense des silhouettes d'hommes posent fièrement. J'adore cette image malheureusement pas localisée...
Ici, il est question de faire la promotion d'un autre ciment, le ciment volcanique Andernach. Plus de 20 000 mètres carrés tout de même !


Toujours pour le ciment Andernach, voilà un petit dépliant en quatre volets montrant des réalisations à Bruxelles dont la liste est inscrite. Le document est daté de 1909 !



Le dernier document est le plus étrange quant à la construction évoquée : L'Ile des Torpilles ! On dirait un titre de Jules Verne. Une ile artificielle donc, créée pour le lancement de torpilles dans la rade d'Hyères. Pour nous, cette construction résonne comme très brutaliste, comme une plate-forme pétrolière ou le sommet d'un château d'un bâtiment de guerre qui aurait coulé. Une description du matériau (le ciment volcanique) et de son rôle dans la construction sont inscrits au dos.



Une vraie carte postale cette fois, celle d'un bunker à St-Aubin-sur-Mer nous raconte la relation avec ce type d'objets architecturaux. Ici, clairement nommé, il est le sujet de la carte postale, le bunker est bien la vedette de l'image. Ce qui est surprenant, c'est la date d'expédition de cette carte : 1948. c'est à dire que rapidement, ces bunkers furent regardés comme des particularités, des objets dignes de faire image alors qu'ils sont encore chauds. L'éditeur Lorleul avait déjà vu en 1948 le potentiel touristique de ces bunkers, le désir de raconter leur présence. Virilio le dira lui en...1966.



Une carte postale du Village Vacances de la Manne de Bromes-les-Mimosas dont l'éditeur Combier nous donne comme nom d'architecte cette nomination étrange : Togebat-Engineerng à Marseille. On reconnait l'écriture en voutain proche de celle du Griffonnier de l'A.U.A. Beau béton et bois massif. Magnifique dessin.



Pour finir, voilà une superbe vue de Port Barcares au tout début de sa construction. Le plateau de sable semble encore infini et au fond les constructions sont en cours. Vous savez j'aime les cartes postales sur lesquelles les expéditeurs se signalent par un signe ou une croix. Ici, c'est sur la Résidence "Les Barbecues" que la belle croix au stylo-bille est faite. On reconnait bien l'écriture de Candilis. Mais est-ce bien lui qui a dessiné ça ?
On sait, malheureusement, comment cet héritage à Port Barcares ou Port Leucate est aujourd'hui négligé, agressé, méprisé.
Nous reste la vision d'un idéal.
Et que diriez-vous si je vous disais que l'album Odessa des Bee Gees résonne dans mes oreilles depuis ce matin ?

dimanche 7 mai 2023

Ma charge mentale précontrainte



Voilà une carte postale qui m'offre d'une manière bien étrange une image de mon état mental.
C'est ce que j'ose espérer car, au moins, sur cette photographie, la poutre tient encore sous la dite-charge. Elle plie mais ne rompt pas.
C'est donc une image d'espoir.
Au delà de cette question personnelle, on ne peut que se féliciter que l'art de la carte postale ait aussi permis de faire de telles images didactiques du béton armé, d'en suivre ainsi la progression technique, d'en signaler ses qualités.
Quel document tout de même !
J'entends déjà les précieux historiens et les radicaux du document me dire qu'il ne s'agit pas vraiment d'une carte postale, puisqu'il s'agit d'une carte promotionnelle et donc publicitaire pour la Société des Ciments Portland, carte qui servait à passer commande pour ce fameux ciment.
Un carton imprimé, la Poste, une adresse, une correspondance : c'est bien une carte postale.
On note qu'est précisé sous les mots carte postale : copiable...
Mais comment les futurs clients trouvaient ces cartes ? Est-ce qu'un représentant de chez Portland laissait des cartes après ses visites chez les entrepreneurs ? Étaient-elles envoyées vierges par parquet par la Poste ?
Tout est écrit de ce qui se passe sur cette carte postale. On a chargé un portique pour voir comment il résiste. D'ailleurs, à l'oeil nu, on perçoit bien le fléchage de la poutre, on devine sa courbe, ce qui est confirmé par ce qui est écrit mais j'ai éprouvé le besoin de le vérifier en glissant une règle sur la ligne de la poutre. On perçoit alors parfaitement sa courbure. On note aussi que, comme pour prouver la solidité et la confiance en la construction, un homme s'est glissé dessous ! Même pas peur !
Comme l'expérience est datée du 7 mai 1927, je me devais de la publier le 7 mai. Mais, on peut aussi dire qu'en 1927, les qualités de solidité du béton sont admises et surtout très utilisées. Il s'agit donc là plus d'une publicité pour la marque de ciment Portland que pour la technique du béton en lui-même. Que j'aurai aimé assister au moment soudain où tout a lâché. Le sac de trop.









Sur une autre carte postale, elle aussi promotionnelle, on voit cette fois-ci le ciment mis en place grâce à un système de poutres et fermes préfabriquées et mises en place pour construire une charpente. Le texte explique bien le fonctionnement et les qualités et prouve aussi que le ciment (on dit moins béton armé) fait le travail que faisait le bois en quelque sorte. On note comment les fermes sont ajourées et donc allégées. On note aussi la courbe du toit produit par les paraboliques. Mais aucun indice ne nous permet de dire de quel bâtiment il s'agit. On sait qu'il s'agit d'un garage à Paris mais lequel et où ? Un tel toit en courbe de béton, au début des constructions en béton me fait penser au garage de Farradèche à la Motte Piquet mais la hauteur me semble peu convaincante. Au dos, la Société des Procédés Ferrier note son adresse mais ne propose pas cette fois un bon de commande. Pas de nom d'architecte, pas de nom précis de lieu, pas de nom de photographe et même pas de date. Il s'agit donc à la fois d'un document précis, dirigé mais aussi un peu flou comme si la nomination du procédé et de la société était seule utile. Aujourd'hui, on est un peu perdu mais reste une image forte dont les fermes se croisant les unes les autres, leur longueur, leur courbe nous donnent une jubilation esthétique rare.
Que c'est beau le béton et que c'est beau comment ça supporte la charge sans rechigner.
Moi, ça me va comme analogie.
On peut donc dire qu'il existe un corpus de cartes postales promotionnelles qui permet de suivre les avancées et les détails des procédés techniques en architecture. Ce corpus pourrait faire l'objet d'une étude car, tout en permettant de suivre l'histoire du béton armé ou d'autres éléments architecturaux, il permet aussi de voir comme cette histoire se représente et aussi offre une certaine idée des relations commerciales entre les fabricants, les entrepreneurs et les agents de la construction, architectes ou ingénieurs.
On en a déjà vu quelques exemples ici :





vendredi 5 mai 2023

Cyprien Gaillard, le Maître des Horloges (en retard)

 


Je m'amuse toujours du ton surpris de mes collègues lorsque je leur dis que, vraiment, le travail de Cyprien Gaillard ne m'intéresse pas du tout, mais alors, vraiment, pas du tout.
Mais j'avoue aussi que je n'arrive pas très bien à savoir pourquoi ni comment formuler mon dédain pour une personnalité pourtant présente, toujours, sur le devant de la scène, offrant l'archétype de l'artiste contemporain omniprésent et omnipotent, celui qui peut faire remuer le ciel et la terre (des mécénats) pour jouer avec des jouets d'adulte et des caprices d'enfants sur des fonds libéraux.
Et, lors de la création de cette pièce, c'est exactement ce que j'avais ressenti, cette mise en branle d'un désir qui se doit d'exister où rien ne doit contrarier, à grand renfort financier, l'impulsivité créatrice de l'artiste qui, duchampien très en retard, fait de l'oeuvre des autres (quelque soit la qualité des oeuvres et des...autres) un ready-made devant ramasser ses admirations et surtout sa nostalgie bien sentie sur une époque perdue comme pour nous dire combien il la regrette ou combien il s'en amuse. Toute l'ambiguïté du travail de l'artiste résidant dans ce balancement approuvé par la scène artistique contemporaine qui étant souvent incapable de viser l'éternité vise le rassurant monde d'avant-hier enrobé dans un verbiage rempli des signes de son monde codé. Et l'ami disparu, l'hommage attendri... Si, en plus, il y a du sentiment...Nous n'aurions plus rien à en dire.

Mais voilà que quelqu'un a à en dire quelque chose et qu'il le fait bien mieux que moi. J'aime rien tant que de dire à mes étudiants que les joies intellectuelles et les plaisirs de l'analyse viennent justement de ceux qui arrivent à formuler ce que nous ressentons intuitivement, qui arrivent à mettre des mots sur cette sensation première d'un rejet.
Ce monsieur c'est Thomas Clerc.
Je ne paraphraserai pas son texte, il est limpide et juste, parfois même un peu dur et j'aime ça même si aussi on sent son auteur prudent sur son attaque comme pour se réserver un palier de retour en grâce. On ne sait pas de quoi l'avenir de la critique est faite et si Thomas Clerc commence par dire son admiration pour Cyprien Gaillard, on sent bien qu'il s'agit là d'un garde-fou, lui permettant plus loin d'être plus dur.
Alors l'analyse est impeccable, la critique bien sentie, le ton amusé. Reste que, pour ma part, je n'irais pas dans le regret nostalgique d'un Paris disparu, celui romantique d'un situationnisme rêvé et finalement le risque de cet article c'est bien d'opposer la nostalgie chiracquienne de Cyprien Gaillard (celle de Macron ?) à celle Guydeborienne de Thomas Clerc. Moi, Guy Debord et ses bars enfumés dégueulasses ça ne m'a jamais fait tripé. Les planques de révolutionnaires de bar-tabac se prenant pour des Diogène dans un tonneau, je n'en ai vraiment rien à faire. C'est vrai que l'architecture du Quartier de l'Horloge n'est vraiment pas un chef-d'oeuvre, que l'Horloge animée de Jacques Monestier ne suffit pas à le sauver, mais je garde tout de même quelques images de moi, jeune adolescent, heureux simplement d'être à Paris et d'avoir attendu de la voir s'animer comme nous avions aimé aussi regarder la pendule qui égrenait le temps vers l'An 2000, petit provincial que j'étais alors, heureux de croire qu'il était au sommet du rêve de la ville. Que voulez-vous...On vient de loin parfois pour apprendre à grandir et s'autoriser enfin à renoncer aux lumières par trop factices d'une ville comme Paris capable d'offrir à votre jeune émancipation provinciale des éclats un rien faibles et des incendies trop brillants. Je ne veux pas renoncer à ces souvenirs de ma candeur. Ce sera ma différence avec Thomas Clerc.
Je ne suis jamais retourné dans ce quartier. Jamais. J'avoue que l'absence de la sculpture le Défenseur du Temps y est peut-être pour quelque chose. Ce Défenseur du Temps en était finalement bien la raison d'être, une raison d'y passer. Son retour sur place me fera peut-être aimer y retourner et comprendre que du mauvais goût d'une époque on peut tout de même garder de soi une tentation d'admiration attendrie à sa jeunesse. 
Guy Debord, Jacques Monestier, Cyprien Gaillard sont donc maintenant liés dans une sorte de trinité de l'échec politique et artistique. À moins , finalement, que le second degrés de Cyprien Gaillard sur le travail de Monestier et son retour en grâce à sa place-même soit le signe que le libéralisme de l'un comme de l'autre finissent par se confondre.
Je remercie donc Thomas Clerc d'avoir mis des mots sur mon impression et je remercie Claude Lothier de m'avoir signalé cet article.

Que serais-je sans toi ?

J'aurais beaucoup de plaisir de lire à voix haute cet article à mes étudiants la semaine prochaine.

Pour lire l'article de Thomas Clerc sur Cyprien Gaillard et son travail :

La carte postale de ma collection est une édition Gulian qui donne toutes les informations sur la sculpture de Jacques Monestier. La photographie est de Clovis Prévost qui malheureusement ne donne qu'une mauvaise échelle de la sculpture. On notera que la preuve qu'une architecture est vraiment peu marquante c'est qu'elle n'a jamais eu d'édition en carte postale. Je n'ai jamais rencontré de carte postale de ce quartier autre que celle de cet automate. L'écran parfait en quelque sorte, l'horloge à la place de l'architecture.