lundi 28 mai 2018

Nanterre, the First International Ruin Porn Park for Ruins Photography

Dernière minute, le 29 juin 2018 :
une pétition vient d'être lancée pour la sauvegarde de ce chef-d'œuvre !
Si vous aimez ce blog, vous ne devez pas vous poser de question et vous allez signer cette pétition.
MAINTENANT !
MERCI !
Que nos belle architectures ne deviennent pas que des images mais aussi restent des lieux dans le réel de nos vies !
https://www.change.org/p/sauvons-le-foyer-maurice-ravel-et-son-auditorium

 

Je reçois du Comité de Vigilance Brutaliste, je diffuse :

En fait, la ville de Nanterre est en train d'inventer un nouveau type de tourisme en s'appuyant sur le succès de Detroit et de son écroulement économique. On sait comment cette ville américaine est devenue the place to be pour tous les artistes en mal d'utopies inachevées, d'industrialisation stoppée, d'abandons esthétisés. Les safaris photos sur le monde capitaliste épuisé n'en finissent plus et il est de bon ton pour un photographe contemporain d'être allé en pèlerinage à Detroit voir à quoi pourrait ressembler notre monde si, par hasard, la crise pouvait s'étendre. On peut facilement croire que Nanterre et ses conseillers en communications et ses élus à la Culture ont compris l'intérêt économique de ce genre de tourisme qui vient là voir la disparition des utopies. Nanterre a donc inventé le premier International Ruin Porn Park avec trois visites superbes : L'école d'architecture de Nanterre, les Tours-Nuages de Aillaud et on finit la promenade depuis peu par le Foyer Maurice Ravel, dernier chef-d'œuvre ajouté à la liste, dans un état d'abandon qui se rapproche malheureusement de jour en jour de celui de l'école d'architecture... Il faut le dire de suite, à Nanterre, la ville a surtout orienté ses ruines vers les constructions culturelles afin de donner une puissance toute particulière à son renoncement politique et historique. L'ensemble est cohérent puisque ce foyer Maurice Ravel est du même architecte que l'école d'architecture : Jacques Kalisz ! Il y a donc bien dans la politique culturelle de la ruine une cohérence de la part de la ville de Nanterre. Le CVB vous conseille donc de vous dépêcher d'aller prendre vos tickets auprès de la Mairie pour la visite de ce Ruin Porn Tour, car, vu la vitesse de la dégradation de ses monuments et l'inaction instrumentalisée, il se pourrait bien que the First International Ruin Porn Park ferme plus tôt que prévu, il ne restera bientôt plus rien à voir. On notera qu'une fois encore, nous sommes en région Île-de-France, ce qui laisse rêveur sur l'avenir de ce patrimoine...
Vous pouvez aussi lire cet article :
https://www.lemoniteur.fr/articles/le-foyer-maurice-ravel-menace-de-demolition-35439392 

Le Comité de Vigilance Brutaliste


Pour ma part, en 2010, j'avais écrit ça sur le foyer Maurice Ravel, je ne peux pas ajouter grand chose :
Il s'agit du Foyer Maurice Ravel à Nanterre.
Tout est pour moi.
L'architecture au comble de sa jubilation modulaire, de sa structure affichée, de son béton sensible.
Jeux sobres d'une forme qui se décline dans la conscience d'un plan et surtout d'une fonction, confusion visuelle libératrice et ludique qui démontre le plaisir d'un jeu savant d'une forme sous le soleil...
Un vrai lieu.
Regardons ce beau cliché pour Lyna éditeur dont le photographe est notre célèbre J.E. Pinet, photographe de cartes postales pour Abeille-Cartes. Monsieur Pinet se place un peu sur le talus, sur l'herbe pour que le foyer Maurice Ravel semble surgir au détour du chemin, laissant déborder les Tours de la Défense au loin. La carte est datée de 1968 et par le correspondant de mars 1982 !On notera que l'éditeur nomme l'ensemble Foyer Maurice Ravel-École de Musique sans nommer Jacques Kalisz son architecte.





samedi 26 mai 2018

Brasilia nova capital

Il y a les cartes postales esseulées, perdues, que l'on trouve au milieu des calvaires bretons, des chats dans des paniers fleuris et il y a les cartes postales rassemblées en petit livret, portfolio, agissant comme de minuscules ouvrages résumant les architectures et points de vue essentiels d'une ville.
En voilà un exemple qui nous fait tourner la tête :

Ce dépliant un peu sévère, presque triste dans son allure, ne donne que peu d'informations sur son origine éditoriale. Pas de texte, pas de nom d'éditeur, pas d'année, pas non plus de nom d'architectes. Il faut pour avoir les informations regarder une à une les cartes postales collées dans ce livret et soulever leur coin pour lire au verso : Souvenir Publicidade, direitos reservados, R. Tupinambas, 190 conj- 101 B. Horizonte.
Difficile donc de tirer des conclusions sur l'homogénéité de ce petit livret. L'origine des images n'étant pas donnée, on ne peut savoir si l'éditeur est également le photographe ou si cet éditeur a rassemblé des images de provenances diverses, ce qui semble bien le cas, vu leurs types variés : photos de maquettes, plan, photos aériennes... On note que l'ensemble est assez mal imprimé, voire parfois difficile à lire, comme une édition faite en urgence ou avec trop peu de moyens. On note que le collage des cartes postales signifie bien que l'idée de l'éditeur était que le livret reste un ensemble ne permettant que difficilement d'arracher les cartes pour les expédier une à une. Pourtant, je pense que ces cartes postales devaient bien être aussi disponibles séparément comme c'est presque toujours le cas pour ce type éditorial. On note d'ailleurs que les cartes sont numérotées et que ces numéros ne correspondent pas au nombre dans le carnet et laissent rêver à plein d'autres cartes postales ! Mais qu'importe ! Comment ne pas tomber sous le charme indéniable de ce petit document nous présentant les débuts de Brasilia, sa sortie de terre et les rêves de ses maquettes ! On a l'impression de vivre la construction, que nos doigts touchent la terre fraîchement retournée, que Belmondo et Niemeyer vont surgir au fond d'une image !
Je vous laisse avec les images, je vous laisse plonger dans ce décor, dans ce moment. Certaines images restent mystérieuses sur leur sujet comme celle intitulée O Cruzeiro montrant une toile tendue et une foule. Inauguration ? Messe en plein air ? Fête ?
Bon voyage à Brasilia !













mardi 22 mai 2018

L'architecture cadrée deux fois

Alors que je me replonge dans le Fonds de Michel Moës pour relancer son classement, je tombe sur deux cartes postales du quartier de la Défense à Courbevoie. Les voici :



Toutes deux sont éditées par Yvon, évidemment, car c'est bien pour cet éditeur que travailla Monsieur Moës. Au dos, l'éditeur oublie de nommer son photographe mais il note bien le nom des tours visibles sur les deux cartes postales : Tours "Europe", "Aquitaine","E.D.F-G.D.F", "Aurore", et on ajoute sur l'autre carte postale la tour "Vision 80". Ouf ! Qui nous fera une étude de la nomination des tours, des cités et des architectures, mêlant les noms d'origine et les surnoms populaires ? Qui ?
Soyons précis : la vue plus large sur les tours de la Défense possède la nomenclature 12-1156 et la plus resserrée 10-8853. Rien à tirer de ce type de nomenclature, seul le personnel des éditions Yvon pourrait nous aider. Mais...
Oui, il y a un mais...
Alors que je regarde attentivement ces deux photographies, je remarque d'abord l'animation sur la première carte postale. On y voit la vie normale, des gens assis sur les bancs et d'autres qui se promènent. Une femme en bleu regarde attentivement le photographe, elle sait qu'il est là et établit un contact visuel avec Michel Moës qui fait son cadrage, on note que le monsieur ventru assis sur le banc fait de même en se protégeant du soleil qui est derrière le photographe, poussant les ombres derrière les personnages.























































Mais...
Oui, il y a un mais...
Mais sur l'autre carte postale, au cadre largement plus serré sur les immeubles de la Défense, au coin en bas à gauche demeure un tout petit détail, le bras gauche de la jeune femme en bleu ! La position est identique !


Donc, il est facile de refaire le cadrage, carte postale sur carte postale et de saisir que l'éditeur (en accord avec son photographe ?) a recadré le positif pour produire deux images différentes. On note aussi un léger agrandissement de la photographie recadrée.


Voilà qui nous raconte bien le mode de la photographie et d'édition des cartes postales. On sait en effet qu'une image trop animée ne permet pas toujours à l'acheteur de s'y reconnaître et vieillit également plus rapidement, les gens datant et personnalisant les lieux. Mais une carte postale trop vide laisse aussi un peu froid le futur acheteur surtout lorsque l'image est faite de tours. Il faut donc proposer aux clients deux versions et laisser ceux-ci faire leur choix. On notera que le recadrage accentue aussi l'effet de similarité des tours et que le cadrage met en avant leur verticale en opposition avec celle des arbustes, deux régularités qui s'opposent et jouent entre elles.
Je ne sais, tout comme le client sur le tourniquet, laquelle choisir, car si j'aime la radicalité des tours vidées de leur vie, j'aime aussi l'ambiance chaleureuse des gens qui sont là, témoins et utilisateurs. Les habits, pantalon, cravate, jupe courte, mais aussi ce contact visuel avec le photographe me plongent dans des abîmes temporels, j'entends presque le vent qui souffle. Bien entendu, je me demande immédiatement ce que fut la vie de ces gens, témoins d'un moment de l'histoire de l'urbanisme, témoins d'un geste photographique devenu, de fait, une archive. La jeune femme et son compagnon ont-ils eu la chance de se voir ainsi sur les cartes postales ? Ont-ils acheté celle-ci pour s'en amuser avec la famille ou les collègues de bureau ? Ont-ils seulement su que leur présence, là, à l'instant même identique à mon œil sur leur silhouette, devenait une forme d'éternité ?
Une fois encore, la carte postale, par son rôle populaire, par son cheminement entre désir commercial et fantaisie vitale, laisse celui qui sait regarder dans un monde qui n'est plus comme un monde qui serait encore. Une instantanéité éternelle qui nous dit l'importance de croire, oui, croire aux images.







dimanche 20 mai 2018

Premier cri à Pyongyang


Premier cri.
Notre Leader Suprême sera content.
Ce sera une petite guerrière puissante.
Le Parti lui offre déjà les premiers soins, bientôt aussi l'école, les cours de danse rythmique et l'amour du grand Leader.
Le Nord.
Nos rapports sexuels au Nord sont aussi puissants qu'au sud.
Le Peuple Communiste baise aussi.
La maternité de Pyongyang est belle comme un hôtel international en Géorgie ou en Ukraine au début des années 80.
Tu noteras que la carte postale est éditée en français. Tu noteras le vide, le silence autour du jet d'eau, éjaculation inutile et perdue.
Deuxième cri.
La photographie de cette maternité offerte ainsi à la possible jubilation touristique de français en vacances est un signe, une preuve que tout va bien. Nos maternités sont belles au Nord, immenses, solides. Bien équipées.
Troisième cri.
Touriste, tu auras acheté cette carte avec d'autres, éditée par notre Commission Nationale d'Échanges Touristiques de la République de Corée du Nord car il ne t'est pas nécessaire de faire tes propres photographies.
Quatrième cri.
Qui nous racontera comment, image de la Corée du Nord, tu as trouvé ta place, un dimanche matin frileux, dans une boîte à chaussures sur la place d'un petit village de l'Eure en France ?









mardi 15 mai 2018

Laissons les enfants jouer sur les briques

Voici encore une preuve du remarquable investissement des architectes des V.V.F (village, vacances, famille) à une certaine période de son histoire.
Nous verrons également que la sculpture traitée comme un lieu de jeux pour les enfants (à moins que cela ne soit l'inverse) fut aussi l'occasion de très belles interventions.
Nous serons encore à la Grande Motte qui par les cartes postales nous réserve encore et encore l'occasion de jubiler de ces réalisations.
Visitons :


Cette très belle carte postale du V.V.T et V.V.F de la Grande Motte nous montre bien ce travail sculptural étonnant des bassins et fontaines à l'entrée de la construction qui, elle-même, semble rassembler des qualités plastiques et formelles.
D'ailleurs les deux objets, sculpture et architecture jouent de leur opposition. L'architecture toute de lignes droites tendues et fortes, s'amusant d'étagements, soulignant les portées et offrant une circulation ombrée très lisible, s'accorde fort bien des volumes de briques rouges courbées, tordues en escaliers dont on ne sait si on peut vraiment les arpenter.
Cette fontaine est accueillante et d'une modestie formelle qui la rend parfaitement humaine, sensation certainement accentuée par les formes un rien zoomorphes.
La brique nous emmène aussi vers des objets familiers comme des puits et les fontaines des villages, et nous donne l'envie de nous y asseoir.
Et :


Nous sommes au même lieu mais cette fois devant la pataugeoire de la nursery.
Les enfants activent parfaitement le lieu fait d'un travail de courbes, de petites collines, de tunnels ouverts et d'une balançoire que l'on dirait sortie d'un dessin de Miró.


Des petites flaques artificielles offrent à loisir des occasions de se mouiller les fesses, de s'éclabousser.
Les briques enregistrent parfaitement l'eau qui s'échappe du bassin soulignant la vivacité des bambins.
On s'amusera des deux nurses et de leurs belles blouses.
Le petit train est garé là, attendant les bambins pour une promenade. La vie est belle...
On regardera également le très beau dessin du petit mur crépi de blanc.
Vraiment une belle carte postale des éditions Yvon en impression Draeger toujours de qualité.
Il faut aussi parfois rentrer :


Voici le bar du V.V.T.
Tout le jeu formel du mobilier rappelle la ville de la Grande Motte.
On regardera la solidité affirmée des sièges en bois et paille. Et malgré le vide de l'endroit devenu ocre orangé une silhouette féminine est piégée dans l'image.



Certainement une jeune mère heureuse de voir ses enfants libres dans les pataugeoires...
Nous devons ces belles sculptures-jeux à Michèle Goalard et Albert Marchais.

Mon frère Christophe (merci !) m'apporte hier un numéro de la revue Parents de 1970. On y trouve un petit article bien pratique et intéressant pour nous, puisqu'il nous montre cette belle aire de jeux. Au-delà des informations, cela prouve bien que ces lieux ont connu un succès éditorial et qu'ils étaient reconnus déjà à l'époque de leur création comme des éléments intéressants et modernes. On s'amuse que le manque d'herbe soit souligné comme une particularité et que, de jardin de crèche, devant son succès, il devienne jardin public ! Régalons-nous donc :




vendredi 11 mai 2018

Monsieur Robuchon et Le Corbusier sont sur une péniche

Nous avons ici vu la péniche Louise-Catherine de l'Armée du Salut, péniche de béton dont les aménagements furent réalisés par Le Corbusier. L'histoire en est belle jusqu'à ce qu'elle coule lors des dernières inondations de Paris cet hiver... Nous espérons tous son renflouement rapide et une attention plus poussée à son entretien et à sa sauvegarde. Disons... que des mariniers puissent à l'avenir venir de temps en temps en vérifier son amarrage...


Voici une autre carte postale de cette Péniche Louise-Catherine, ici amarrée au Quai du Louvre, donc bien en plein Paris. On remarque que le seul signe visible de sa présence devait être le drapeau dépassant du quai. On notera la qualité particulièrement pauvre de cette édition, dont la photographie est vraiment peu précise tout comme l'impression un peu trop grasse qui écrase les détails. L'Armée du Salut oublie de nommer l'architecte Le Corbusier et le photographe. Sans doute que le plus important dans ce désir d'image était que l'Armée du Salut communique sur l'implantation urbaine, en plein centre, au pied du Louvre pour affirmer sa présence et son action. Comment donc cette carte postale était-elle distribuée ? Sur place ? Envoyée aux donateurs ?
Mais nous pouvons comparer cette péniche aménagée par Le Corbusier à l'une de ses sœurs, également de béton, également transformée pour l'accueil :


Cette fois, cette péniche est baptisée du très beau nom de  Je Sers et elle est le siège de l'Entr'aide Sociale Batelière, elle comporte également une chapelle. On trouve sur sa construction des informations contradictoires affirmant qu'elle fut fabriquée soit à Poses, soit à Amfreville dans l'Eure, donc très proche de chez moi, tout comme celle de Le Corbusier qui aurait été construite, elle, à Amfreville-la-Mivoie mais en Seine Maritime. Une confusion sans doute ? On reviendra là-dessus. D'ailleurs l'éditeur Lumicap nous confirme bien Poses en 1919 comme création de cette péniche. Par contre aucune information sur l'architecte ou l'aménageur de cette péniche dont il serait bien intéressant de regarder les différences et proximités avec celle de Le Corbusier. Je Sers, bien plus close, ourlée de hublots hexagonaux un rien Art Déco (tout comme sa blancheur), veut surtout affirmer son caractère religieux en affichant les immenses croix qui marquent l'édicule d'accueil en proue du bâtiment qui agit lui comme un signal.
En quelque sorte, ces croix immenses font office d'enseigne de la péniche. Celle de l'Armée du Salut, Louise-Catherine, préfère inscrire sur sa coque asile flottant pour informer de sa fonction. L'architecte de cet aménagement de la péniche Je Sers serait Pierre Robuchon travaillant pour la Société d'Entreprises de Maçonnerie et de Béton Armé. On trouve une trace de cet architecte ici :
https://archiwebture.citedelarchitecture.fr/pdf/FRAPN02_BAH24_objet-28171.pdf
Mais voilà, cela ne me suffit pas et j'ai besoin d'aller voir. Et je jubile !
En cherchant pour chacune des fiches de ce Pierre Robuchon, architecte, leur localisation, quelle ne fut pas ma surprise de trouver sur Google Earth, non seulement l'un de ses immeubles construit en 1927 mais encore une plaque avec son nom signant le bâtiment ! Il me faudra l'ajouter à ma collection de plaques d'architectes !


Comme il est émouvant, toujours, de revenir sur les pas d'un architecte, de suivre cette histoire d'indice en indice. Mais resteront des interrogations sur les principes constructifs de cette péniche par ce Monsieur Robuchon qui semble pourtant avoir été un spécialiste du béton armé. Est-il allé visiter celle de son collègue Le Corbusier ? En a-t-il moqué, aimé les solutions ? Comment l'un l'autre ont-ils pu prendre en charge au-delà des différences de programmes les capacités de ces barges de béton ?
Bien entendu, à ma prochaine sortie parisienne, j'irai faire des photographies de cet immeuble de Monsieur Robuchon, architecte et... aménageur de péniche !
Pourrait-on rêver, un jour, de voir les deux sœurs, bord à bord, sur la Seine ?

Pour en savoir plus sur la péniche Je Sers :
http://www.bateaujesers.org/histoire.html
Pour revoir l'article sur Louise-Catherine :
http://archipostalecarte.blogspot.fr/2015/03/le-corbusier-pour-les-hommes.html
Pour voir le Louise-Catherine sortir de l'eau :
http://www.leparisien.fr/paris-75/paris-la-peniche-de-le-corbusier-commence-a-sortir-la-tete-de-l-eau-05-03-2018-7592001.php
Pour revoir les articles sur l'Armée du Salut et Le Corbusier :
http://archipostcard.blogspot.fr/search?q=refuge

mardi 8 mai 2018

En Cachan un béton technique









Ce qui était compliqué c'était bien de faire croire que les dalles de béton pouvaient ainsi se plier d'un niveau à l'autre. Jean-Michel Lestrade n'avait pas participé à ce travail de Robert Camelot, il n'avait pas eu le temps de le faire, trop occupé au Maroc en cette période. Mais il n'avait jamais eu et n'aura jamais dans sa carrière de jalousie particulière pour le travail des collègues, bien au contraire, il était toujours prompt à féliciter tel confrère, à souligner la qualité d'un geste ou d'une solution technique. Parfois, il démontrait, crayon en main sur le coin d'une table ou sur la verticale d'un mur, comment lui, aurait procédé pour ici économiser un appui ou là une coulée de béton. De même, il intervenait peu sur le dessin des architectes, laissant toujours croire que la technique devait les servir, au risque de passer pour une solution et non une vision.
"Mais je ne suis pas l'architecte" était sa phrase favorite pour conclure une discussion.
Il était donc venu voir le très beau travail de Robert Camelot à Cachan et ce superbe restaurant de l'École Normale Supérieure Technique. Il en aima de suite ce jeu plastique des surfaces, des plans, des lignes et surtout l'immense ouverture du bâtiment sur l'extérieur dans une radicalité abstraite. Le décrochement des volumes les uns sur les autres l'amusa un peu, comme un geste à la fois osé et ironique, quelque chose de ludique.

























































Mais Jean-Michel Lestrade était venu à Cachan pour un projet beaucoup plus technique, beaucoup plus complexe, une sorte de prouesse.
Il s'agissait tout simplement d'un chef-d'œuvre français du béton précontraint et du voile mince : le pavillon d'exposition des liants hydrauliques par l'architecte Greber. Ce bâtiment ayant vertu pédagogique et démonstrative des capacités du béton, il en avait l'audace un peu appuyée que nécessite le didactique, vraiment comme un chef-d'œuvre au sens que lui donnent les Compagnons du Devoir, réalisation poussant à bout les capacités, les difficultés, les outils. Jean-Michel Lestrade avait l'habitude de ce genre-là, il travailla alors pour l'Entreprise Bollard et Cie sous les ordres directs de l'ingénieur-conseil Jean-Paul Douay.
C'est bien Jean-Michel Lestrade qui guida Chevojon le photographe pour les clichés du petit opuscule consacré à cette réalisation par la revue La Construction Moderne en 1960. Ayant suivi le chantier, il lui était aisé de faire ce travail, tenant à la fois du constat technique de la bonne réalisation, du documentaire et aussi de la pédagogie, les photographies servant alors aux futurs étudiants-ingénieurs à voir les moments-clefs de cette réalisation. On le voyait ainsi sur le chantier pointant du doigt pour le photographe ici tel détail, là un point de vue. Il donnait ainsi régulièrement rendez-vous à ce dernier pour que l'ensemble du chantier et son avancement soient bien enregistrés.
Les difficultés étant pour ce projet de bien calculer l'épaisseur minimale de la voûte et donc de son pli, de sa courbe mais aussi, volontairement suspendue en équilibre sur deux points d'appui, comment ils pouvaient être dessinés et tenir par une ligne continue en bord de courbure la tension de la précontrainte. L'autre difficulté pour le calcul étant... l'asymétrie de la voûte démultipliant les risques, faisant de chaque point de sa surface un point possible de déséquilibre.
Dans l'agence Lestrade ne reste que peu de documents. L'opuscule de la revue, un seul plan avec les armatures est très endommagé, quelques clichés ainsi que quelques courriers de Jean-Michel Lestrade lui-même (copie carbone) ou des courriers reçus :

Jean-Michel Lestrade à Jean-Paul Douay :

Cher confrère,

tu diras à ton photographe de faire attention à la date de la coulée de la voûte. Je ne peux pas être à mon bureau pour calculer vos extravagances et sur le terrain pour dire à ce monsieur ce qu'il doit cadrer. L'autre jour, il photographiait les pigeons alignés sur les tirants en croyant faire là un cliché intéressant ! J'ai jeté des cailloux à ces sales piafs et remis le monsieur sur le droit chemin. Je lui ai donné rendez-vous pour jeudi. Nous avons donc attendu ce monsieur avec les coffreurs plus d'une heure... C'est lui qui dicte les horaires du travail ou je me trompe ?

Sinon, passe à la maison dimanche midi avec ta dame, la patronne te fera ton gigot. J'ai les premières épreuves des photos à te montrer. Je te charge du tri pour la revue avec Greber. Je ne veux rien à voir avec ce genre de décision.

Jean-Michel

ps : tu as des nouvelles de Sarger ?

Jean-Paul Douay à Jean-Michel Lestrade :

Cher JM,

Tu trouveras les plans des cotes de niveaux intrados et extrados dans le rouleau ci-joint. Le jeune homme porteur de ce tube est mon neveu, ne lui râle pas trop dessus s'il te plait, s'il y est en retard ! Merci de bien vérifier que le quadrillage en 0M50 sera assez dense, j'avoue un doute. Pour ma part, les calculs sont bons. Comme toujours avec toi. J'attends dernier contrôle avant copie chez Bollard pour le chantier. Tire une copie pour archive. Je suis plus serein avec toi.
T'as vu la nouvelle secrétaire chez Bollard ? Je comprends que tu y sois toujours fourré.

JP

Entreprise Bollard à Jean-Michel Lestrade :

Monsieur Lestrade,

merci de passer en fin de semaine pour venir chercher les derniers plans pour Cachan. On vous fera aussi le compte pour la première phase de calculs comme vous nous l'aviez demandé. La facture sera alors établie, le paiement passera par le Crédit Lyonnais.
Le chantier arrivant à sa fin, il nous faudra faire un bilan comptable du reste de vos interventions. Est-ce que ce mardi en début d'après-midi vous irait ?
Vous serez bien entendu présent pour la visite finale du chantier ? Il y aura un repas ensuite, vous y êtes, avec votre épouse et vos enfants bien conviés. Merci de me confirmer votre venue.
Monsieur Greber nous a appelé pour nous remercier du travail, Monsieur Bollard me charge de vous dire que notre entreprise sait ce qu'elle vous doit dans ces remerciements.

Gyslaine Lapouge, secrétaire administrative, en délégation de l'entreprise Bollard.

Les deux cartes postales du restaurant universitaire étaient glissées dans la revue Architectures d'Aujourd'hui. L'écriture au dos n'est pas de Jean-Michel Lestrade et l'auteur en reste pour l'instant inconnu. Il s'agit d'éditions d'Art Raymon dont on attend les témoignages...

Je me joins à la Famille Lestrade pour remercier Catherine et Lucas qui ont fait cette découverte dans les archives de l'Agence.