J'hésite toujours.
Je veux dire que, si le choix m'est donné, entre une carte postale vierge et une carte postale sur laquelle les correspondants ont fait des croix pour se situer, j'hésite toujours.
Cette fois, j'ai pris les deux.
Mon début de collection ayant commencé par ce que j'appelle des cartes postales situées (et surtout pas situationnistes s'il vous plaît, soyons sérieux) je vous présente la première :
Cette carte postale OC Carte Occitane de F. Loubatières nous montre le Parc public de Bellefontaine à Toulouse-le-Mirail, chef-d'œuvre en perdition patrimoniale de Georges Candilis. D'un point de vue de collectionneur lambda, elle est en mauvais état car écrite, marquée sur l'image et présente même des traces de ruban adhésif au verso ! Pour moi, c'est une merveille. Je n'aime rien moins que, sur de telles machines architecturales, les usagers se placent, se reconnaissent, se retrouvent ainsi sur ce fragment de lieu. Ils y figurent en quelque sorte. Et là, par deux fois et par deux méthodes. D'abord on écrit Michèle et Maman puis on ajoute une croix et même un trou d'aiguille ou de punaise. On aime ainsi visualiser le voisinage des correspondants et comprendre le choix de cette carte postale plus qu'une autre. Celle-ci rend lisible l'habitat, elle raconte la pratique, l'usage même du lieu depuis un point de vue qui regarde et non qui donne à voir. Il n'existe que peu de cartes postales offrant à tous la réalité de la vision depuis le lieu. Il ne faut jamais oublier cela, on regarde l'objet de vision et non la vision elle-même. Michèle aurait peut-être aimé trouver une carte postale permettant de montrer son point de vue. Vous me direz que cette carte postale est bien le point de vue de quelqu'un d'autre. On notera que la correspondante ne fait aucune description de son lieu que ce soit en termes d'habitat ou d'architecture. Elle ne dit rien de cet état dans cet objet de Georges Candilis. Ni en bien, ni en mal. Il s'agit simplement d'un constat, constat délégué à la photographie de cette carte postale.
L'autre :
Sur celle-ci, identique en tous points, peut-être même achetée sur le même tourniquet, la correspondante ne se situe pas, n'informe pas, n'ajoute rien à la photographie de cette carte postale du Parc Bellefontaine. Expédiée en 1977, pour un franc tout rond, la carte postale fait son travail habituel : salutations amicales, petites histoires familiales (achat d'un poulet), plaisir de se revoir.
Pourquoi ici l'usage ne déborde pas de son rôle ? N'y-avait-il pas pour Georgette une nécessité à marquer cet espace de sa présence dans ces lieux. Peut-être en est-elle étrangère ? Comment s'y est-elle reconnue ? On ne peut rien en dire. Il y a eu simplement un choix pour cette représentation d'un lieu. La verdure, le parc, l'immeuble comme perdu dedans, le soleil et son ciel bleu, et même avec la tour d'angle un peu de patrimoine ancien qui raconte comment les architectes ont travaillé sur cet espace en préservant du vide, en ajoutant de la densité. C'est la campagne...
Alors je ne sais toujours pas laquelle de ces cartes postales parle le mieux de son usage. Je sais simplement que, entre indifférence à l'architecture et désir de s'y inscrire, entre cadrage décidé et choix inconnu, la carte postale permet encore de vivre un moment avec l'architecture.
Pour continuer avec Georges Candilis, je vous propose cette fois des photographies faites par votre serviteur au Havre. Il s'agit de la Résidence de France, immense ilôt d'habitations d'un tout autre ordre que le Mirail ! Ici, l'architecte Candilis et Jacques Lamy jouent le jeu parfait de la vue sur mer, de l'immeuble de standing, comme un Playtime au bord de mer, avec un certain luxe affiché sans ostentation (le vrai luxe donc...) On reconnaît tout de même ce plaisir à inventer des espaces intérieurs, à faire grappe, à ouvrir le lieu sur la ville et offrir des circulations entre espaces privés et publics même si aujourd'hui la paranoïa sécuritaire nous impose un petit roquet qui fait son travail.
Faites-le travailler ! Justifiez son poste ! Allez-y voir !
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