mardi 29 décembre 2020

Blanchecotte à la neige

 Souvent je me demande ce qui fait qu'au simple regard d'une architecture sur une carte postale, on sent que l'on aime immédiatement la construction, qu'on lui trouve de suite un intérêt. Pourquoi donc comme par magie, j'ai le sentiment qu'il se passe quelque chose.

Quand j'ai vu cette carte postale de la maison familiale de vacances "Joie de Vivre" à Habère-Poche, j'en ai aimé des signes architecturaux mais aussi certainement d'autres signes. D'abord comment la construction barre l'image en une seule et même ligne puissante et jaune, presque dorée dans une neige surabondante et bleue. Il y a là dans le désir du bâtiment de prendre toute l'image quelque chose qui, oui, me rendit sensible à cette construction. Ensuite, bien entendu la répétition du motif architectural, le fait que le bâtiment répète lui-même ses casiers percés dans leurs murs de refend d'un immense cercle produisant sur la façade un très bel effet cinétique. Puis les ouvertures et leurs huisseries donnent le ton d'une modernité affirmée. Cela me suffisait pour aimer ce bâtiment au toit mono-pente parfaitement bien dessiné.

Au dos, (remercions l'éditeur Combier), figurent non seulement le nom de l'Architecte mais aussi son adresse : Claude Blanchecotte, 14 rue du Cherche-Midi Paris. Voilà qui est bien rare autant de précisions. Qui les demanda ? L'architecte ?

On note aussi qu'est précisé que le bâtiment accueille des handicapés physiques et que donc l'architecture tout entière est conçue pour bien les recevoir et faciliter l'usage de la construction. Est-ce là aussi l'une des raisons de l'excellence de son dessin ?

Claude Blanchecotte est facilement repérable sur l'Internet. Il a travaillé en Tunisie pour le Port de la Goulette, il a travaillé pour une église à Boulogne-sur-Mer et aussi pour ses fameux Buildings. Voilà donc un architecte bien typique de cette génération, marqué par la modernité, habile et bon dessinateur, prenant le programme pour l'orienter tranquillement vers sa fonction et lui donner la chance d'une certaine élégance discrète et bien menée. Tout ce que j'aime en quelque sorte montrer sur ce blog. Il nous faudra poursuivre nos recherches pour le faire remonter à la surface quand la neige de l'Histoire aura un peu fondu.


Je n'ai pas résisté à aller voir au 14 de la rue Cherche-Midi pour m'imaginer l'architecte Blanchecotte passer sous le porche de son immeuble avec les plans de son centre de vacances sous le bras...




mercredi 16 décembre 2020

On appellera ça le cinématographe

 En 2013, (oups ! ça fait longtemps!) je vous donnais à voir une carte postale de la piscine Tournesol de Poix en Picardie. Enfin... je vous donnais la petite case consacrée à cette piscine dans une carte postale en vues multiples. On sait maintenant que souvent les photos visibles sur ces cartes en vues multiples existent elles-mêmes en carte. Mais voilà que l'œil habitué de votre serviteur s'amuse une fois encore de pouvoir suivre un déroulement d'images. Je vous montre ?



Cette carte postale des éditions Mage nous montre donc la piscine Tournesol de Poix. Oh, rien que de très banal finalement, une piscine Tournesol ouverte, des baigneurs et baigneuses qui prennent le soleil sur la pelouse, tout cela nous l'avons déjà vu tant et tant de fois sur ce blog. Mais...

Rappelez-vous donc ce morceau :



Ah ! Je vois que vous avez compris ! Je vous ai bien éduqués à mes petites manies ! Vous avez, vous aussi, vu que la jeune adolescente au premier plan a bougé. Le photographe a donc réalisé une série de clichés, il est donc resté assez longtemps pour faire au moins ces deux prises de vues. Mais pourquoi donc ne pas utiliser la même prise de vue pour la carte postale en vues multiples et celle en vue simple ? Pourquoi donc nous offrir les joies de cet ultracourt métrage ? Si on en croit les mouvements des autres baigneurs, le moment de la prise de vue a duré assez longtemps car les changements entre les deux sont nombreux. Pourtant, on notera que le photographe n'a absolument pas bougé, trop heureux semble-t-il de son poste d'observation et de son cadrage. Que conclure de tout cela ? Pas grand chose, je crois, à part le plaisir de se sentir peut-être plus impliqué dans ce moment, comme si la succession des photographies et le mouvement qu'elle génère offraient l'occasion de croire un peu plus à la vie réelle de ces images : on appellera ça le cinématographe.

Cela aussi indique certainement que j'ai une vie suffisamment remplie pour que je passe du temps à voir ces détails. Est-ce que cette manie dit quelque chose de mon attitude face aux images ? Est-ce que cela souligne ce désir de m'y baigner ? Me baigner dans les images, dans les piscines Tournesol, bien entendu.

Pour voir ou revoir toutes (ou presque) les piscines Tournesol de ma collection :

https://archipostalecarte.blogspot.com/search/label/piscines%20Tournesol


mardi 8 décembre 2020

C'est si radieux que le paysage est un rectangle blanc

 On ne pourra pas dire que nous manquons sur ce site de moyens de comprendre comment pouvaient bien être aménagés les appartements de la Cité Radieuse de Marseille ou ceux de ses consœurs. Et je sais aussi, si j'en crois la fréquentation des articles, que vous aimez bien, vous aussi, faire la visite avec moi. Alors pourquoi devrais-je vous priver de ce plaisir ?

Pour être tranquille une bonne fois pour toute, toutes les cartes postales de cet article furent éditées par la Société Éditions de France Ryner. Aucune ne nomme le photographe ni ne précise s'il s'agit d'appartements-témoins ou d'appartements réellement habités. Nous verrons rapidement que cela est varié et qu'il semble bien que le photographe a su passer de l'un à l'autre. Toutes les autres questions posées dans les précédents articles* restent soulevées. On notera par contre que plus on trouve de cartes postales de ces appartements plus on comprend bien qu'il s'agit de faire des séances photographiques. On reste encore étonnés de la profusion de cartes postales différentes pour rendre compte de tout les aspects des intérieurs de cette architecture. Pas de doute, devant une telle profusion, l'objet était déjà bien une icône, demandant des images, images ayant eu un véritable succès éditorial. On s'amuse du choix possible pour les visiteurs d'acheter et d'envoyer au choix la salle à manger, le couloir intérieur ou la chambre des enfants. Ne manque finalement qu'une carte postale de la salle de bain qui reste étrangement manquante à cet inventaire. Ne désespérons ni Billancourt, ni Marseille et accrochons-nous au rêve qu'un jour nous trouverons cette carte postale. Allez. On commence ?



D'abord on notera que le cadrage en verticale est évidemment bien là pour raconter comment la mezzanine travaille l'espace avec la salle de séjour. Il aurait été aisé au photographe de l'ignorer, il fait donc acte de pédagogie et de didactisme pour comprendre cette particularité de la pièce. D'ailleurs le tirage très contrasté offre bien un choc de forme faisant du volume blanc un poids au-dessus de la salle de séjour que seule la petite ouverture permet un peu d'alléger. La hauteur sous plafond est donc ici bien indiquée et cela était sans doute jugé suffisamment spectaculaire pour que le photographe l'enregistre, peut-être aussi dirigé par l'architecte ayant réclamé cette possibilité d'image. Les plus fidèles se rappelleront ce buffet, ce bougeoir car, oui nous avons déjà vu cet appartement. Malgré le noir et blanc on note bien la polychromie sous l'escalier. On note aussi que séjour ici veut aussi dire chambre avec un grand lit... Les fauteuils et le couvre-lit sont fait du même tissu très marqué dans son style. Le petit lampadaire aux trois couleurs primaires ferait bien l'affaire aujourd'hui des antiquaires des années cinquante. Ici bien entendu, le logement est réellement habité car trop de minuscules détails ou de contrariétés à la modernité prouvent un usage privé bien particulier.



Voici donc un autre point de vue sur la salle de séjour. Difficile de croire que le photographe s'est simplement retourné depuis la vue précédente. Je pense bien qu'il s'agit là d'une autre salle de séjour d'un autre appartement. L'encombrement mobilier est à son comble, mobilier qui laisse finalement peu de place à la révolution des espaces intermédiaires et notamment l'entre-deux, celui qui ne sait pas s'il est dedans ou dehors. On note que le lourd mobilier du dedans (fauteuil et banquette) laisse place à deux chaises de camping sur la terrasse. Ce signe est bien amusant, indiquant bien que les habitants utilisent le mobilier comme signe de compréhension de l'idée de plein air de la terrasse, alors même que le lourd fauteuil capitonné n'est qu'à quelques centimètres du dehors. Il faut jouer à être dehors. Sans doute que les Modernes auront préféré le mobilier de camping pour sa légèreté, sa franchise du dessin, sa capacité aussi, après pliage, à disparaître. On aime le goût bourgeois de cet aménagement dont le tapis et le piano sont bien les deux indicateurs d'un style de vie ne voulant renoncer à rien d'une certaine tradition, d'une certaine image de ce que confort veut dire. On pourrait bien voir même dans le choix de cet appartement un désir de montrer que les appartements si modernes de la Cité Radieuse n'obligent à rien dans le choix de leurs aménagements comme si cette Modernité pouvait facilement se plier aux désirs des habitants. Mais dans cette photographie ce qui me touche c'est bien l'immense rectangle blanc fabriqué par la lumière et qui éteint en quelque sorte le paysage. Comme si la vue offerte par la Modernité était un monochrome parfait, comme si, dans ce vaisseau de béton, nous naviguions au milieu d'un vide métaphysique.



Le vide le voici parfaitement orchestré dans cette vue de la cuisine et de la salle de séjour car, oui, il y a bien sur cette image deux fonctions rassemblées, la cuisine étant poussée au fond et réduite pour sa description à l'ensemble mobilier dessiné par Charlotte Perriand. Vous avouerez qu'une telle carte postale est tout de même étonnante dans la projection qui pouvait y être effectuée par les correspondants. Le vide invite à désirer le remplir, chacun comme il veut, chacun, dans son imagination, y posant ses meubles et sa vie. Mais que faire du triangle caché derrière l'escalier de Jean Prouvé ? Vous aussi, avez-vous ce sentiment étrange que, depuis ce point de vue, le plafond est bien bas ? Et n'êtes-vous pas comme moi peu rassurés par le trou noir en haut de l'escalier qui ressemble ici à une échelle de meunier menant vers un grenier mystérieux... Bien entendu, il ne s'agit pas là non plus du même appartement que les précédents ou, alors, avant son aménagement. Une ampoule pendouille mollement dans la cuisine attendant les futurs locataires. Entendez-vous les pas du photographe qui résonnent dans l'espace ? Ce genre d'image devait entraîner aussi des discussions, des débats sur la manière d'y vivre. Malheureusement c'est bien ce qui nous manque aujourd'hui, cette parole. Il aurait fallu que la photographie, dans le génie de son invention, trouve aussi le moyen d'enregistrer les commentaires qu'elle produisait. Une image qui parle, qui témoigne, une image bavarde.



Et revoici l'espace du sol pris sous le spectacle des piliers donnant à l'ensemble les sentiments d'un Karnac ou d'un temple aztèque. Faut-il donc beaucoup de goût des ruines antiques pour être certain que l'émotion spatiale naîtra de cette franchise. L'éditeur de la carte postale se croit obligé de nous donner quelques chiffres sans doute pour que ceux-ci ajoutent à l'interrogation de l'image la puissance de la technique. On sait donc que les piliers sont 34, qu'ils sont creux mais qu'ils reposent sur 15 mètres de béton pour soutenir l'édifice. Ah cette joie d'affirmer en même temps le creux, le vide des piliers et la masse du béton souterrain, joie d'un contraste devant révéler le génie constructif. Car bien construire d'un point de vue technique est toujours un atout pour défendre un bâtiment auprès des dubitatifs. Et c'est beau, diront-ils. Et ils auront raison, beau comme un barrage, beau comme un pont autoroutier, beau comme le dessous d'un buffet de bois massif.



Fallait bien revoir la Cité Radieuse. Que pourrais-je bien dire qui n'ait pas déjà été dit ? Ah si... La seule perturbation de la grille est celle effectuée par du linge qui sèche sur les terrasses. Il y a des moments où, devant l'Histoire, devant le génie, devant l'évidence de la Beauté, on ne sait plus quoi dire.

Je me demande combien encore de cartes postales furent éditées, combien de surprise à laquelle je dois m'attendre pour un jour être certain d'avoir dans mes classeurs l'ensemble des cartes postales éditées sur les aménagements des Cités Radieuses.

En attendant, pour ceux qui voudraient voir, revoir, lire, relire les autres articles consacrés aux appartements des Cité Radieuses :

http://archipostalecarte.blogspot.fr/2014/04/le-carnet-et-le-corbusier.html http://archipostalecarte.blogspot.fr/2013/08/le-corbusier-en-miniature.html http://archipostalecarte.blogspot.fr/2014/10/meubles-immeuble-le-corbusier.html http://archipostcard.blogspot.fr/2010/02/le-corbusier-habitable.html http://archipostalecarte.blogspot.fr/2014/04/le-carnet-et-le-corbusier.html http://archipostcard.blogspot.fr/2010/04/une-folie-marseillaise.html http://archipostcard.blogspot.fr/2012/01/la-photographie-accuse-tort.html http://archipostcard.blogspot.fr/2012/02/corbusier-mets-la-table.html http://archipostcard.blogspot.fr/2011/03/pieces-deau.html http://archipostcard.blogspot.fr/2010/09/le-corbusier-dans-ses-meubles.html http://archipostcard.blogspot.fr/2011/09/le-corbusier-2-dedans-2-dehors.html http://archipostcard.blogspot.fr/2011/08/un-reflet-tres-moderne.htmlhttp://archipostcard.blogspot.fr/2010/04/une-folie-marseillaise.html http://archipostcard.blogspot.fr/2012/01/la-photographie-accuse-tort.html http://archipostcard.blogspot.fr/2012/02/corbusier-mets-la-table.html http://archipostcard.blogspot.fr/2011/03/pieces-deau.html http://archipostcard.blogspot.fr/2010/09/le-corbusier-dans-ses-meubles.html http://archipostcard.blogspot.fr/2011/09/le-corbusier-2-dedans-2-dehors.html http://archipostcard.blogspot.fr/2011/08/un-reflet-tres-moderne.html




mardi 1 décembre 2020

Les fers au cœur


Juillet 58

Monsieur Lestrade,

comme vous le voyez j'ai suivi vos conseils et je suis parti à Alger. Le centre de formation m'avait d'abord offert un poste de soutien technique à l'enseignement des structures et puis ils ont préféré me donner le cours de pratique du béton. Pas la peine de vous dire que je m'y sens mieux. Ici, il y a des types formidables et qui comprennent presque de manière intuitive les coffrages et les solutions rapides et efficaces. Vous aimeriez voir les planches voler d'un niveau à l'autre. Je garde bien votre leçon, celle de bien rentrer les fers au cœur des poteaux. Pas trop, pas trop... comme vous me le disiez toujours ! J'espère que votre famille va bien. Le petit salé aux lentilles de Madame me manque. La carte ci-jointe vous montrera ce qu'on fait ici. Ne soyez pas trop dur, c'est le travail des élèves qui ne feront jamais aussi bien et aussi net que vous. Je tente de rester digne de votre enseignement.

votre dévoué Alain Baroukian. Mes salutations à Madame.

Ps : je me marie le mois prochain, dites bien à Madame qu'elle avait raison, elle comprendra.

El-Affroun, Centre de Formation professionnelle des Ouvriers du Bâtiment, une construction de formation, carte postale éditions Photo-Africaines, Alger accompagnée d'une lettre manuscrite.

Alain Baroukian passa quelques mois à l'Agence Lestrade en 1957 ou il reçut une formation sur les structures béton et leurs calculs. Son nom figure sur quelques notes. Nous ne savons pas ce qu'il est devenu ni quelle formation initiale il avait reçue avant de rejoindre l'Agence Lestrade. On sait que Jean-Michel Lestrade avait eu avec ce centre de formation des échanges de courriers pour un éventuel poste d'enseignant qu'il refusa sans doute à cause des circonstances familiales et de la création de l'Agence. Le post-scriptum de cette lettre reste mystérieux sur la relation entre Jocelyne Lestrade et Alain Baroukian. Un conseil matrimonial ? Certainement...

Walid Riplet, Jean-Jean Lestrade.