mardi 31 décembre 2019

On est chez nous (et en même temps)



On est chez nous.
C'est une belle phrase.
Sur une carte postale peu précise, offrant un panorama urbain tumultueux, voilà que le correspondant inscrit précisément son habitation à Vanves.
Heureux de retrouver son domicile, il écrit que le voyage s'est bien passé et que le retour doit toujours se faire vers ce chez soi ici bien défini, cerné, reconnu dans la nappe urbaine.
C'est savoir se replacer dans le monde et même l'affirmer par deux mots indiquant, si ce n'est une propriété, au moins une identité.
Rien de grave, non, seulement ce joyeux plaisir de placer son espace intime dans le chaos de la ville.
On devine que le photographe des éditions Raymon n'a pas choisi ce cadre pour rien. Il y a au fond, tout au fond de l'image, un élément qui permet d'emblée de situer ce chez nous, c'est la Tour Eiffel. Quand bien même, elle serait petite, loin et un rien floue, elle domine le petit immeuble d'habitation que le correspondant désigne. À elle seule, elle dit le pays, la région et donc la ville. Je tente de retrouver la hauteur depuis laquelle le photographe a fait son cliché et le toit en bas à gauche m'y aide. Mais comment rentrait-il dans les immeubles et comment en connaissait-il le potentiel panorama ? Travaillait-il, lui aussi, avec des cartes ? L'éditeur précise d'ailleurs que c'est bien une vue générale avec Paris à l'horizon et que croyez-vous qui puisse dire ce Paris si ce n'est cette Tour Eiffel ?
Chez nous.
On est chez nous.





















Et le petit immeuble de briques bien typé de la banlieue parisienne, un rien Art Déco, assez beau dans son écriture architecturale se veut tout de même moderne. Devant ce tapis dense d'une banlieue encore verte faite d'une imbrication de constructions, seule l'histoire des parcelles bien étudiée pourrait nous révéler le secret de son organisation. Encore des jardins, on devine même des murs de pierres avec des arbres en palmette. Seule la somptueuse école de Vanves me permettra de reconnaître le lieu et de retrouver ce chez nous qui existe encore.













J'imagine toujours avec beaucoup de plaisir le moment délicat de la reconnaissance de son espace. Le correspondant devant le tourniquet de cartes postales, au café-bar-tabac du coin cherche une carte à envoyer. Surpris, il trouve cette vue où immédiatement son index pointe son domicile. Ce moment est le plus précieux de la carte postale. Toujours.
Je le redis c'est d'abord ce plaisir que j'ai collectionné, aimant trouver sur les cartes postales les signes des correspondants signalant graphiquement leur lieu et sa reconnaissance.
En même temps, ce chez nous est celui de tout le monde : celui de bien d'autres habitants. Sur cette carte postale Yvon, combien d'habitants auraient pu dans le même moment ainsi se retrouver, ainsi se signaler ? Oui, des milliers, des milliers.
Et ceux qui ne sont pas ici chez eux doivent ainsi pouvoir imaginer la vie dans cet espace précis, en tout cas reconnu comme tel par celui qui envoie. C'est ici et ce n'est pas ailleurs.
On est chez nous, là, maintenant, dans l'image que l'autre doit prendre pour une réalité soudaine presque brutale et qui conclura de manière définitive toutes les extrapolations imaginaires de ce que cela aurait pu être d'autre.
Oui, c'est cela qui est à la fois beau et violent. La photographie conclut l'imaginaire.
Il faudra donc à celui qui viendra un jour, à son tour, s'y reconnaître ou du moins y reconnaître l'image.
C'est d'ailleurs exactement ce que je fais en errant, en dérivant comme aurait dit ce planqué de Guy Debord sur Google Map, à la recherche désespérée de ce chez nous. J'ai aussi envie d'y être et de m'y reconnaître.
Je ne sais pas d'où me vient cette pulsion de voir et retrouver ainsi un lieu pointé.
De mon goût pour les cartes chez Jules Verne, cartes toujours marquées d'une croix et dont le paysage autour est toujours lui réduit à quelques rares éléments dessinés : un buisson, un sommet de colline, une rivière. Pourquoi pas la Tour Eiffel ?
Aujourd'hui il est impossible d'écrire on est chez nous.
On veut nous l'interdire.
Impossible aussi de le clamer sans laisser croire que nous voudrions ainsi que les autres soient chez eux et donc pas chez nous.
Pourtant, on est chez nous ne devrait pas exclure mais inviter. Inviter à venir voir, à se perdre librement, à rater un bus, une correspondance de métro, de tourner à gauche à la boulangerie au lieu d'à droite, bref, tout en cherchant chez l'autre, là où il habite, de croire en la liberté de se perdre et même à cet agacement de se perdre.
Puis reconnaître un détail, de relire l'adresse sur le petit papier griffonné au matin avec le code de l'immeuble, d'entendre la dame avec son chien vous dire que non elle ne sait pas où c'est.
Enfin arriver chez nous, vous serez chez vous.
On est chez nous.
C'est aussi une manière de dire que l'on ne bouge plus, qu'enfin le déplacement prend fin. Le point central de la boussole.
Alors, vous, venez.
Venez.
Bonne Année 2020.

Et n'oubliez pas :
https://www.lepotcommun.fr/pot/solidarite-financiere


J'ai comme l'impression que cet immeuble Canton de Vanves aurait subi un bien mauvais épaississement par l'extérieur...?





















dimanche 29 décembre 2019

Sous le chauffe-eau exactement, pas à côté



J'aurais de toute façon acheté cette carte postale.
Je veux dire que même sans les spécificités de la description, j'en aurais aimé l'architecture.
Une villa aux angles marqués, un rien sur la défensive, couverte d'ardoises (ou de lauzes ?) offrant un dessin un rien étrange et raide où le conduit de cheminée semble vouloir faire une séparation, tout cela fabrique une architecture et une allure extérieure que j'aime beaucoup.

Raideur et épaisseur.

Malheureusement, pour ce qui est de l'architecte, nous restons sans information. Yvon, l'éditeur, nous dit bien que cette maison est expérimentale et solaire et qu'elle fut construite par Chaffoteau et Maury, spécialiste des chauffe-eau et du chauffage mais ne nous dit rien de son architecte.
Cette maison fut-elle dessinée par les employés de chez Chaffoteau ?
On devine donc que cette maison avait fonction de démonstration des capacités de l'entreprise à faire du solaire à une époque qui commençait à peine à s'y intéresser après le premier choc pétrolier. On notera d'ailleurs que la forme de la maison reste peu bavarde sur son objectif, n'affirmant pas à tout crin, son aspect expérimental comme pour ne pas faire peur aux visiteurs avec un bidule trop futuriste.
Mais quelle époque ? Quel architecte ?
L'Internet semble muet à part une petite direction vers Guy Royer dont le CAUE 56 nous indique une maison héliophore construite récemment. On trouve aussi un lien vers un article publié en 1979 sur une maison solaire dans la revue Maisons et Décors. Est-ce bien celle-ci ?
Dans mes guides, dans les Archives Lestrade ou même dans l'exceptionnel Architectures en Bretagne au XXème siècle, il n'y a rien...
Dommage. Nous aurions aimé mieux connaître non seulement les spécificités de cette expérimentation mais aussi en quoi celles-ci modifient (ou pas) l'architecture c'est-à-dire la répartition de l'espace dans la maison et donc de la vie.
Le peu de documentation prouve-t-il aussi un manque évident de communication autour de ce projet ? Est-ce ce à quoi devait répondre la diffusion de cette carte postale et comment donc fut-elle à son tour distribuée ?
Et que devient cette maison ?
Elle existe toujours, un peu mal placée maintenant au bord d'un rond-point. Pas si facile à trouver que cela car l'indication de la carte postale reste peu précise. On la reconnaît tout de même, elle semble avoir été agrandie et en bon état, c'est heureux.
Espérons que ceux qui vivent là, sous la chaleur d'une Bretagne moderne et expérimentale savent qu'ils vivent dans une maison ayant une histoire et qu'ils la respectent.
Et si le ou les architectes, les habitants pouvaient nous dire la vie à l'intérieur, nous en serions heureux.

Vous noterez que je n'ai fait aucune blague sur l'idée de construire une maison solaire en Bretagne...
Oups ! C'est fait.

Pour retrouver d'autres belles maisons contemporaines en Bretagne :
https://archipostalecarte.blogspot.com/2013/03/maisons-darchitectes-et-darchitecture.html
Pour retrouver l'Architecture Contemporaine en Bretagne :
https://archipostcard.blogspot.com/search?q=Bretagne
https://archipostalecarte.blogspot.com/search?q=Bretagne







jeudi 26 décembre 2019

Bauhaus Old Wave





































Je suis en train de me farcir les clips du groupe Bauhaus pour essayer de comprendre pourquoi (Diable) ont-ils choisi de se faire photographier au Barbican Center de Londres.
Je sais qu'immédiatement mes amitiés de 30 ans, très au fait de l'histoire du Roquennerolle vont me tomber dessus car, si je feins d'ignorer qui sont les Bauhaus, j'avoue n'avoir jamais beaucoup goûté leur musique ni même d'ailleurs leur genre.

Alors je vois (et j'entends) des caves sombres éclairées violemment, des mines tristes et muettes, des flaques d'eau troublées par des berlines perdues dans les bas-fonds urbains, des femmes en costume raidissant qui sont engoncées dans des dentelles sexy, serrant bien fort les poignées en cuir de la dite-limousine. Si vous ne saisissez pas immédiatement l'allusion sexuelle... et la psychologie torturée des chanteurs...
Bon.
Ils sont beaux, Bauhaus. Non, vraiment. Superbes. Et ce look si marqué fait par des punks ayant retrouvé le costume de mariage de leur père est intéressant. L'hommage au Bauhaus doit se tenir là, dans une sophistication déguisée, une histoire oubliée et à ré-écrire par un savant mélange des influences. Un chic embrumé d'Expressionnisme aux yeux noircis de khôl. Il faut dire qu'ils ont fait des études dans une école d'art.
Tout leur est donc pardonné...

J'ai donc loupé quelque chose vers mes 13 ou 14 ans, à moins que, lucide déjà des seuls effets cosmétiques, j'avais renoncé à cette noirceur fabriquée pour en aimer une autre, plus, disons... personnelle.
Nicolas Sirkis ? Non, je rigole.

Mais revenons à ce désir du Barbican. Y venir avec un photographe qui se trouve être Fin Costello c'est bien raconter quelque chose d'une proximité au genre architectural. N'oublions pas que nous sommes au début des années 80 et que le regard aujourd'hui mainstream sur le Brutalisme n'était sans doute pas autant à la fête et à l'hommage à ce style. On pourrait donc saluer Bauhaus d'avoir eu une vision, une sorte de prémonition qui font qu'aujourd'hui on ne peut que saluer leur présence en ces lieux et leur sens de l'avenir.
Fin Costello choisit un espace ouvert ou la perspective du vide de la dalle accentue bien l'effet inquiétant et démesuré. Le groupe pose assez serré, sauf celui qui doit être le leader, Peter Murphy, qui vient devant l'appareil, tête baissée, regard durci, comme pour nous prévenir que, attention, là, c'est du sérieux, on ne rigole pas. Mais mon œil se laisse tenter par le blond David J. aux chaussures noires et lunettes de soleil.  Je ne sais pas pourquoi.





































Derrière, en noir et blanc, le Barbican se donne en spectacle, un spectacle assez vide comme si nous étions seuls avec Bauhaus. Mais je n'ai rien dit de cette édition. Il s'agit d'une carte postale éditée par "Humour à la Carte" qui ne donne aucune date ni aucun nom de photographe ! Je me souviens qu'à une époque on pouvait, en effet, facilement trouver des cartes postales de ce genre montrant les musiciens, les vedettes, les groupes ou les acteurs de cinéma. Cela a bien disparu me semble-t-il. Je m'étonne tout de même d'aussi peu d'informations éditoriales et seul le numéro de téléphone de l'éditeur est donné. Je découvre aussi que cette photographie imprimée ici en noir et blanc est bien à l'origine un cliché en couleur dont le bleu prédomine vraiment. Fin Costello a-t-il autorisé cette transformation qui engendre une plus grande dramatisation de l'image ? Le bleu originel était pourtant somptueux de froideur.
Il nous faudrait un témoin direct de cette séance de pose pour savoir quels furent les enjeux d'image du groupe et ce qui appartenait au désir du photographe. Qui décida de ce lieu devenu mythique ?
On trouve facilement d'autres clichés produits le même jour sur cette dalle du Barbican. L'édition d'une telle carte postale prouve aussi que le groupe fut reconnu, ayant atteint un certain degré de reconnaissance et même une Fan Attitude pouvant créer un marché pour ce genre d'objet. Ils n'étaient donc pas si Underground que ça les corbeaux chics de Bauhaus puisque disponibles sur des tourniquets que j'imagine surtout parisiens.
Mais bien entendu, difficile de savoir ce que le nom de Bauhaus collé contre cette architecture brutaliste a pu soulever de doutes, d'indignations ou d'admiration. Est-ce là la preuve de l'épuisement et du ratage de la Modernité architecturale s'achevant dans les monstres du brutalisme ? Est-ce, au contraire, une affirmation de filiation, admirative et sereine ?
Il devait ce Barbican agir à l'époque encore comme un échec urbain, un gigantisme désuet, une terreur. Un décor parfait pour un film de science-fiction totalitaire, un Kubrick du Top 50. Après tout, à la même époque, James Bond visite bien le centre Pompidou comme s'il s'agissait du bureau d'une entreprise. La question qui me reste sans réponse est bien celle de la distance historique que le groupe Bauhaus pouvait bien construire avec ce lieu. Admiration un peu décalée pour faire artiste ? Véritable engouement ?
Attitude punk affirmant la beauté là où l'indignation habituelle règne ?
Sans doute.
La vague bien que froide est retombée.
On envie Bauhaus de sa lucidité.
Et moi, je me régale tout de même :







mercredi 25 décembre 2019

Divers/Cités, les grands ensembles

Maintenant, nous pourrions dire que nous avons un autre livre exemplaire de ce qu'il est possible de faire du Patrimoine du logement social en France.
Cet ouvrage de par son exhaustivité, de par la qualité sans faille des analyses historiques, urbaines et esthétiques des cités de la Bourgogne prouve qu'une étude bien menée donne de fait un corps à une histoire qui mérite maintenant un effort vers sa Patrimonialisation.
Même si la conclusion de cet ouvrage sur ce sujet précis reste un peu attentiste, il est tout de même heureux que ces questions soient posées aussi judicieusement et ouvertement.
L'ouvrage est un outil.
Attention !
Il ne s'agit pas là d'un ouvrage poético-arty sur le sujet. On est bien loin de Mathieu Pernot ou même de ce que je fais sur ce blog.
Non, il s'agit bien d'une étude et d'un inventaire.
Pourtant, cet ouvrage me fait l'air de rien (ou bien...) plein de signes. D'abord l'utilisation maximale du Fonds Combier qui vient illustrer avec la générosité de ses cartes postales les visions de ces cités bourguignonnes ! C'est heureux de voir que, enfin, ces cartes postales sont vues aussi comme des documents précis, historiques et porteurs d'une vraie vision. Ce qui me fait regretter immédiatement qu'aucun texte ne soit venu dans l'ouvrage éclairer la relation entre les événements urbanistiques que représentent ces cités et leur publication par ce média populaire. Dommage.
On y retrouve aussi le Group Ludic et c'est toujours plaisant.
L'autre belle surprise c'est une iconographie riche produite par les photographies de Thierry Kunst qui permettent un regard à la fois limpide, bienveillant mais aussi très analytique des lieux.
Sa proximité, son sens du cadrage donnent à l'ouvrage à la fois un sens aigu d'une belle objectivité sans rien perdre aussi d'une grande proximité. Parfois, on frôle les murs avec lui. C'est superbe.

Alors bien entendu si la question des Grands Ensembles, de leur histoire et de leur destinée que l'on espère aujourd'hui liée à une reconnaissance patrimoniale vous intéresse cet ouvrage sera à sa place dans votre bibliothèque.
Parce que vous y apprendrez beaucoup.

On espère maintenant que chaque Région va s'emparer de ce modèle pour produire à leur tour un tel inventaire. Nous avons là un mètre-étalon en quelque sorte.
Bon courage !

Divers/Cités, les grands ensembles, Bourgogne et Châlon-sur-Saône
Cahier du Patrimoine
Libel
ouvrage collectif
28 euros

pour retrouver cette région sur ce blog :
https://archipostalecarte.blogspot.com/2019/02/lwy-station-maya.html
https://archipostcard.blogspot.com/2012/07/beaute-dijonnaise.html
https://archipostcard.blogspot.com/2010/04/la-moutarde-me-monte-au-nez.html
https://archipostcard.blogspot.com/2010/07/groupe-ludic-chalons-sur-saone.html
https://archipostalecarte.blogspot.com/2016/06/hommage-claude-parent.html 
https://archipostcard.blogspot.com/2010/08/sainte-bernadette-de-dijon-de-joseph.html 

pour lire deux autres Bibles essentielles sur le Hard French et la préfabrication :
https://archipostcard.blogspot.com/2012/08/reconstruction-deconstruction.html
https://archipostalecarte.blogspot.com/2014/09/monolith-controversies.html


etc.

Je vous donne quelques exemples qui ne pourront vous donner qu'une vague idée du travail effectué :






































































































samedi 21 décembre 2019

101 youpis et puis...





































Toute occasion de populariser l'architecture du XXème siècle est bonne. Toute.
Il faut donc remercier de suite les éditions du Festin de leur initiative et de la publication de leur ouvrage : 101 architectures contemporaines remarquables en Nouvelle Aquitaine.
L'ouvrage se veut didactique, facile d'accès et égraine donc des réalisations très variées par leur programme ou par leur époque, ce qui constitue une sorte de socle à un Patrimoine à protéger un jour.
Vous comprendrez de suite ma réticence.
Je ne crois plus en ce Label.
Il y a bien longtemps qu'il a fait preuve de son inefficacité et j'ose même dire de sa dangerosité. Véritable faux-semblant de classement, il ne permet pas de protéger définitivement les constructions, il appelle même dans son essence à offrir des aides pour "encourager leur réutilisation (euphémisme...) et leur réappropriation (là on a peur), en accord avec les nouveaux usages (ben voyons...) et les attentes des habitants (démagogie démocratique, et qui donc se charge du relais et des conseils ?)"

On ajoute que le Label permet aux habitants de comprendre qu'il s'agit d'un Patrimoine en devenir et on devine immédiatement que ce Label ne sert à rien puisqu'il rejette la classification et la protection aux calendes grecques du-dit devenir... Dans cinq, dix, vingt ans ?
Au regret de la disparition, de la défiguration ?
En signalant ce Patrimoine, le Label opère de deux manières : il laisse croire que l'attention de l'État est opérationnelle puisqu'il labélise (et donc agit) et dans le même temps permet tout et n'importe quoi, jusqu'à la destruction du si remarquable patrimoine qui, Oups ! Oh ! Pardon... n'était pas... classé...
La liste est longue maintenant de ce processus qui a lieu en ce moment même.
Ce Label construit aussi une hiérarchie de la protection dont personne ne comprend bien les distinctions et de qui les décide.
Pourquoi soutenir aussi vite le classement au titre des Monuments Historiques de la Villa de Koolhaas et ne pas faire de même pour la Cité de Bayonne de Marcel Breuer ? Quel miracle patrimonial a eu lieu à Bordeaux et pas à Bayonne ? Quelle politique ?

Alors... Que dire ? Que faire ? Se réjouir ? Oui ! Oui ! Oui ! Cent et une fois oui.
Je le redis, tout ce qui popularise et signale cette architecture est bon à prendre. Et je suis fatigué, aussi.
Faisons preuve d'optimisme. D'abord soyons heureux de retrouver des architectes que ce blog aime beaucoup : Edmond Lay, Jean Renaudie dont je découvre une superbe villa, Jean Nouvel, Salier, Courtois, Saillol, l'incontournable aujourd'hui Bernard Schoeller et bien entendu Jean Prouvé et la bien triste histoire de l'école à Pontouvre, histoire exemplaire de ce que l'absence des protections et des Labels sur une construction publique et modeste peut produire... Un cas d'école, c'est le cas de le dire... Gestion de l'urgence dans l'insondable manque de culture des élus face au marché des collectionneurs et à la réaction vive des citoyens. Un défaut de signalement comme on dit avec pudeur.

Mon cœur balance pour la très belle et incroyablement brutaliste (au sens premier de Reyner Banham) église de Lacanau, Notre-Dame-des-Flots par Francis Duclos, Patrick Maxwell et Jean-Claude Moreau, qui, par leur pragmatisme atteignent un sommet de délicatesse digne de Peter et Alison Smithson.
Ayant déjà évoqué beaucoup de ces architectures sur ce blog, (seules les villas restent difficiles à trouver en cartes postales), j'ai cherché dans mes boîtes quelques petites pépites dont je n'avais pas d'information et que cette publication informe comme le Sanatorium Alfred Leune ou le Barrage de L'Aigle. Bien entendu, pour 15 euros, vous avez un magnifique guide de 101 architectures ce qui fait moins de 15 centimes d'euro par bâtiment. Avouez que ce n'est pas cher et qu'il vous est donc conseillé vivement de l'acheter. Je ne ferai donc pas ici d'inventaire exhaustif de ses pages !

On notera que les textes sont clairs, accessibles, ouverts et que l'iconographie est riche et pleine du soleil de cette région qui me manque tant. Oui, je sais, je suis un incorrigible mélancolique.
Et cet ouvrage, sous le ciel bas et gris de ma Normandie, me donnera l'illusion d'avoir pris ma voiture et d'avoir sur les routes de la Nouvelle Aquitaine, parcouru toutes ses richesses qui, à n'en point douter maintenant, seront classées RAPIDEMENT et FIÈREMENT par les institutions patrimoniales locales. N'est-ce pas ?

Alors que je termine ces lignes, je tombe sur un article de Sindbad Hammache dans le dernier numéro du Journal des Arts de cette semaine. Il y fait une analyse critique absolument parfaite de ce Label Architecture Contemporaine Remarquable. Je ne saurais mieux dire les doutes de son efficacité et la portée très limitée de son action.
Je vous conseille donc vivement pour poursuivre ce débat de lire son remarquable article.

101 architectures contemporaines remarquables en Nouvelle Aquitaine
Le festin, Hors-série
collectif
15 euros.
Merci aux éditions du Festin pour l'envoi et pour le partenariat.

Pour revoir quelques articles concernés par cet ouvrage :
https://archipostalecarte.blogspot.com/2016/09/lerection-de-francois-hollande.html
https://archipostalecarte.blogspot.com/2016/08/page-45-bordeaux.html
http://archipostalecarte.blogspot.com/2013/03/coup-de-foudre-pauillac.html
http://archipostalecarte.blogspot.com/2013/02/le-club-nautique-de-pauillac-merveille.html 
https://archipostalecarte.blogspot.com/2017/05/la-cite-radieuse-des-pompiers.html
https://archipostalecarte.blogspot.com/2012/12/tetrodons-le-bonheur.html
etc...



On commence ?
Heureux de trouver dans cette revue, la très belle Cité Administrative de Bordeaux. Ce point de vue nous permet de mieux en comprendre les articulations formelles. J'adore les passerelles suspendues entre les deux tours. Et voyez-vous qu'elles ne sont pas terminées sur ce cliché des éditions Iris ? Incroyable urgence de faire des images et des cartes !


On apprend donc que les architectes sont Pierre Calmon et Pierre Mathieu comme nous l'avait déjà parfaitement indiqué Dominique Amouroux dans son guide. 
On notera que l'éditeur Iris ne nomme ni les architectes ni le photographe.

Remercions donc cet ouvrage de m'apporter une réponse à une énigme qui ne m'avait pas permis de publier ces cartes sur ce blog. En effet, je n'avais rien pu trouver sur cet étrange collage architectural :



Nous sommes à Sainte-Feyre devant le sanatorium Alfred Leune. Lors de l'achat, je m'étais posé beaucoup de question sur cet énorme appendice greffé sur une façade. Voilà que page 21, je trouve ma réponse. Cette rotonde, véritable greffe en béton est de Marcel Astorg.
Cela ne vous dit rien ? Marcel Astorg ?
Mais si, rappelez-vous ici :
https://archipostalecarte.blogspot.com/2015/05/danser-chez-marcel-astorg.html


Cette extension daterait donc de 1953 et reste un geste superbe et audacieux. Je vais tenter d'en trouver une carte postale de l'intérieur. En attendant c'est d'abord les éditions du Moulin qui vous en proposent une carte postale puis les éditions Lapie qui vous servent cette carte postale en noir et blanc fortement coloriée. Merci à eux.





































Je finis cette mise en bouche par un beau barrage en action libérant ses eaux. Car, il ne faut pas oublier aussi le Patrimoine technique et industriel.
Voici :
Nous sommes à Mauriac au dessus du barrage de l'Aigle. Les éditions Bosc et Compagnie nous donnent à voir ce moment de relâchement des eaux. On entend le bruit jusqu'ici non ?
L'article nous donne donc le nom des architectes Brochet et Chabbert mais aussi le nom des ingénieurs qui ne sont rien moins que André Coyne et André Decelle. L'article nous donne aussi une anecdote selon laquelle Le Corbusier lui-même aurait tant aimé les courbes des déversoirs en saut à ski qu'il s'en serait inspiré pour les courbes de Ronchamp. Oui, on aime bien les histoires.

lundi 16 décembre 2019

L'Homme avec un grand H (et une bistouquette aussi)

"...Pffff.... Non... Ça ne m'intéresse pas beaucoup ce genre de machin symbolitico-jungien... Et puis ce truc des architectes depuis l'Homme de Vitruve de toujours vouloir associer l'ordre de la nature avec la géométrie, toujours ce truc de planter les pointes des compas dans les nombrils... Non, tu vois Walid ça m'épuise. Tu me diras que de Vitruve à Calatrava en passant par Corbu, ils furent nombreux à vouloir trouver une raison organique à leur architecture ou à leur harmonie. Moi, ça m'emmerde, j'aime la géométrie pour elle-même, pour sa puissance, son ordre et sa parfaite solidité. Je ne me crois pas obligé de la retrouver dans l'aisselle ou le nombril d'un mec, quand bien même, il serait à poil... Et puis cet Homme avec un Grand H il a toujours une bistouquette qui pendouille... Alors quand on verra des architectes dessiner le rapport idéal entre un cercle, un carré et un vagin, tu m'appelleras... Bon, sinon, je sais aussi que ça fonctionne parfois et que ce bâtiment a l'air intéressant. Mais pourquoi ne pas juste aimer les courbes, les rapports entre elles, la simplicité évidente et belle des formes naturelles. L'escargot, lui, il est hermaphrodite... Fais-le, toi, l'article sur Samara. Moi, je préfère penser que parfois, cet Homme avec un grand H et sa bistouquette, il sait inventer des formes et des espaces sans se croire obligé de s'appuyer sur ce genre de discours lénifiant de la "Mère Nature" qui, elle, comme par hasard, puisqu'elle fait tout est une femme..."
David Liaudet


Voilà retranscrit le dialogue de ce matin avec David. Il n'a pas retiré son pouce ni rien retiré de sa relecture.
Alors, j'y vais :




Voici donc une carte postale d'un bâtiment bien étrange dont j'ai eu du mal à ranger dans mon cerveau tous les signes qu'il m'envoyait. Antiquité, maisons-bulles, grottes et j'en passe...
Le chevauchement des coupoles fait penser aussi à Sainte-Sophie et pose étrangement la question du sol car l'ensemble architectonique qui fait ici l'image, cet agglomérat de coupoles, est comme suspendu au-dessus d'une galerie.
Alors...
Il s'agit du Pavillon des Expositions de Samara, centre de l'histoire préhistorique de la Chaussée Tirancourt. L'ensemble est bien moins âgé qu'il ne pourrait le laisser croire, on s'attend à du Hippie de la fin des années soixante, un Antti Lovag perdu dans la Somme. En fait, ce Samara fut bâti en 1988 !
Pourquoi donc encore maintenir une telle écriture architecturale aussi tardivement ?
Sans doute pour trouver dans une forme qui se voudrait à la fois éternelle, primitive et symbolique un sens à sa fonction, et surtout une image.
La Préhistoire dans un carré ? Non mais...
C'est oublier le somptueux Musée de Nemours par Roland Simounet...
En fait, ce Samara est un spectacle offert et comme le dit très bien l'éditeur de la carte postale, il s'agit, non pas d'une architecture mais d'une œuvre. Nous serions donc devant une sculpture praticable et pénétrable et non devant un geste architectural. "Conçu à l'image de l'homme"...
Quel homme ? Blanc ? Noir ? Gros ? Petit ? Hétéro ? Vieux ? Jeune ?
Celui-ci apparemment :

 
Et pourquoi donc un corps idéalisé et maintenu dans une représentation faussement générique serait une forme parfaite à parcourir ? À quoi nous sert de savoir en parcourant le bâtiment que là nous serions dans les bras, ici dans le talon et poussons un peu, là sous l'intestin, le cerveau, la hanche, la couille ?
En quoi cela fabrique, si ce n'est de l'architecture, un abri ou une sculpture ? Est-ce que, justement, l'une des chances de l'architecture et de ses fondations géométriques et techniques ne serait justement pas, tout en s'appuyant sur les forces de les oublier, de les rendre à l'expérience subtile de leur transfiguration.
Je vous laisse avec ce dessin où Bruno Lebel décline jusqu'à l'épuisement le corps d'un homme (dont on ne sait rien) pour le transformer en regroupement symétrique de cercles ou de mandala (ben voyons), l'œil arrive aussi...
Pourtant, il ne faut pas trop que le processus créatif volontariste et appuyé ne cache les qualités sans doute réelles de ce Samara et, au moins, son originalité.
Dans le livret de sa conception, on trouve une belle photographie de son intérieur vide qui me fait immédiatement penser aux décors de Star Wars sachant habilement associer une architecture vernaculaire du désert et un tuyau en inox. Quelque chose d'essentiel, de beau, de rêveur et même de fantasmagorique. Alors, si le texte et ses piètres tentatives philosophiques de nous en traduire sa raison est assez peu probant, nous pouvons reconnaître que la construction, l'œuvre de Bruno Lebel pour Samara ne manque pas d'une certaine et touchante attention à l'essentiel : l'espace.
Walid Riplet

La carte postale est une édition Mage sans nom de photographe ni date. Bruno Lebel y est bien mentionné comme auteur.








Photo Bruno Lebel- Denis Ruon



dimanche 15 décembre 2019

Restany reste à charge

Pierre Restany était une sorte de pape de la critique artistique du XXème Siècle.
Il en avait la barbe du pope orthodoxe, il en avait aussi le goût des icônes Pop surjouées, baveuses de la salive des embrassades des icônes au matin de Pâques par les futurs fidèles de Pompidou.
Barthes aurait dû faire de son image un texte. Ce désir de faire image avec son corps m'a toujours étonné. C'est la représentation, sans doute.

On vous montrera un jour, si vous êtes sages, ce que contient cette armoire...




Comme vous pouviez le lire ici, Jean m'a retrouvé dans les archives de l'Agence Lestrade, un texte de Pierre Restany publié dans un numéro de la revue Domus sur la Biennale de Venise de 1970. Le texte est une charge contre presque tout le monde, à croire que le Pope critique n'aurait pas pu supporter que quelqu'un d'autre que lui soit invité à faire la Messe de l'Art Contemporain Français de l'époque.

Ce possible désir se sent tellement dans ses attaques que cela le pousse à une critique un rien outrée, mal fagotée, où le bon mot remplace la pensée. (Oui, exactement ce que je suis en train d'essayer de faire...)
J'ai hésité à vous en donner la lecture, d'abord parce que je suppose que vous l'avez tous déjà lu, je sais comme vous aimez fouiller comme moi dans l'Histoire mais aussi et surtout parce que, bien entendu, ce texte est une vraie insulte au travail de Claude Parent.
Doit-on diffuser les insultes ? Même celles venant de personnages importants ?
Malgré mon opposition fondamentale à ce que dit Pierre Restany, je trouve tout de même important de montrer qu'à une époque, dans un magazine aussi internationalement attendu, il était possible de prendre des positions aussi clivantes sur une manifestation de cette importance. Et il n'a pas tort sur tout. Sans doute simplement n'a-t-il pas compris tout non plus. La chaleur étouffante de Venise n'aide pas.
On aimait le débat à cette époque même si ce débat s'appuyait sur une mauvaise foi (orthodoxie sans doute) due au regret de son auteur. Cela montrera aussi aux mauvais suiveurs comment il est possible de construire quelque chose en opposition et non en pillage.
Et puis c'est rafraîchissant pour la pensée, lorsqu'on est un admirateur de l'œuvre d'un homme, de voir que d'autres n'y sont pas sensibles. Cette charge de Pierre Restany contre Claude Parent est bien pour moi aussi une manière de me remettre en jambe sur l'oblique de mes certitudes.
Alors les architectes de maisons en carrelage y trouveront sans doute une justesse et même un rire assumé. Car il est drôle ce Pierre Restany avec ses formules à l'emporte-pièce, formules serrées comme une compression de César ou ramassées dans la poubelle des  Nouveaux Réalistes.
Bleu, Blanc, Rouge, te voilà couché.
Allez... Régalez-vous !
Y-a-t-il eu une réponse de Claude Parent à cette attaque ?
(Merci Jean-Jean pour les images. Par contre, faut pas fumer là...)

Photo : l'infame...Mais qui sait qui c'est  l'infame , Restany lui-même ?