jeudi 18 juillet 2024

Jean Prouvé, combleur de vide ?


 
Non, ça ne fait aucun doute (maintenant que je peux regarder cette carte postale à la loupe) : il s'agit bien des éléments de façade Matra de Jean Prouvé que l'on connait bien sur ce blog car nous avons la chance de les avoir admirés souvent à Piacé.

Mais je ne sais pas vraiment pourquoi j'avais encore une petite retenue quant à leur attribution possible. Sinon...cette carte postale pourrait bien être d'un ennui tant aimé par Martin Parr...Voilà un collège, à Bressuire qui ne brille pas par son architecture audacieuse, non....
Devant cette grosse carcasse bien régulière dont la façade fut donc bouchée par des éléments de Jean Prouvé on ne comprend pas bien en quoi cela suffirait à chanter le génie de ce dernier. Certes, il est toujours bien de voir comment on comble un vide et le mur-rideau est bien une belle invention surtout quand le rideau n'est pas vraiment un mur et qu'il est travaillé comme une peau.
La carte postale possède sur son verso le nom de l'architecte : M. Perillier.
Ce Monsieur Périllier on le retrouve d'ailleurs comme architecte du Lycée de Sarcelles dont la typologie est absolument identique. Rappelez-vous ici :

Rien de neuf sous le soleil de la Province donc. On notera juste que le choix de couleurs pour ces panneaux Prouvé à Bressuire est bien plus restreint et bien moins pop : du blanc et un bleu de carrosserie de fourgonnette d'une administration quelconque. Peu enthousiasmant tout cela pour un si génial ingénieur et ferronnier moderne. La commande a dû tout de même sustenter l'entreprise qui les fabriquait.
Je vais aller voir ce que la façade de ce lycée est devenue : ba...plus rien de Prouvé il me semble...
Alors la question reste ouverte de l'intérêt ou pas de ce genre de mobilier de façade et de l'importance qu'il a pu avoir dans l'idée architecturale. 
Le panneau Matra est certes intéressant à bien des égards (celui de la légèreté, de la facilité de mise en place) mais cela suffit-il à en faire un moment d'intelligence architecturale (et avec qui et avec quoi) et surtout, cette mise en place d'un tel mur-rideau a-t-elle profité au génie d'un lieu ? On se le demande en effet. Est-ce qu'on est architecte quand on fournit juste des huisseries ?
Sans doute que dans l'histoire du mur-rideau, il y a bien d'autres modèles de panneaux tout aussi beaux, intelligents et efficaces que ceux de Prouvé et Matra qui n'auront pas l'aura iconique et intouchable du génie devenu bancable. Rien là en tout cas ne signe une particularité suffisamment grande pour que l'histoire de l'architecture ne lui fasse une place à part. Bien au contraire, on aurait envie de dire que la juste place des panneaux Matra-Prouvé dans l'histoire est d'être une réponse de plus à une architecture assez basique, assez fonctionnelle pour que ses vides, son épiderme donc, ne soient, finalement, simplement comblés par un tel type de panneau.
C'est sans doute l'un des pièges du génie de Prouvé : à force de vouloir faire fonction on finit par faire pragmatique au risque d'oublier que l'architecture ne peut se suffire d'une intelligence rationalisée quant bien même elle serait peinte d'orange, de bleu, ou de jaune vif...
Combler le vide en quelque sorte, voilà tout ce qui reste à Prouvé sur cette architecture. (allez...je sais que vous aimez un peu de polémique...)
Bien à vous.
Walid Riplet

Pour revoir Jean Prouvé :

Pour revoir des panneaux Prouvé et/ou Matra :

La carte postale est une édition du Gabier pour Artaud. Elle nomme bien Mr Perillier comme architecte. Pas de nom de photographe, la carte n'est pas datée.




mardi 16 juillet 2024

Joyeux anniversaire la Grande Motte !

Par deux fois, la télévision se fait le relais de la bonne nouvelle : la Grande Motte a 50 ans !
Et il semblerait qu'il faille s'en réjouir officiellement. Dire qu'il y a encore quelques années, il était plus souvent question de la moquer, de la critiquer voir de l'utiliser comme repoussoir de l'architecture moderne ! On se souviendra longtemps de comment les curés de Thalassa nous servaient la Grande Motte comme exemple ignoble de la bétonisation du littoral...Ils n'étaient pas très subtiles, les pauvres...
Et, quand j'ai commencé ce blog, nous étions peu nombreux à chanter la chance de cette architecture.
Je n'oublie pas que mon tout premier post sur mon blog en...2007 était une carte postale de la Grande Motte !
C'est donc depuis presque vingt ans que j'assiste (et les amateurs de belles architectures avec moi) au retournement d'opinion sur ce qui est maintenant devenu un Patrimoine, a place to be, un lieu Vintage et surtout une vraie ville habitée toute l'année.
Tant mieux !
Tant pis pour la génération Thalassa...
Une ville de cinquante ans c'est quoi ? D'abord c'est une ville complète dont les jardins, les aménagements urbains, les architectures, les espaces publiques permettent de mieux comprendre comment Jean Balladur avait bien pensé cet accord entre mer, architecture et paysage. C'est une évidence aujourd'hui. Mais c'est aussi le début nécessaire d'une première réflexion sur sa préservation et une lumière puissante doit être posée sur tout ce qui fait de la Grande Motte sa particularité. En ce sens, tout le monde doit être vigilant à...tout. 
Et dans toutes les échelles : du plan d'urbanisme aux poignets de portes, aux huisseries, aux couleurs, au respect complet et total des dessins des ouvertures et les matériaux, tout doit faire l'objet maintenant d'une attention non seulement des habitants permanents ou saisonniers, des autorités locales municipales mais aussi des autorités patrimoniales régionales et nationales. C'est de leur lourde responsabilité. La Grande Motte, comme d'ailleurs l'ensemble de la Mission Racine, doit dorénavant accéder à cette exigence de l'avenir...attention donc à Port Leucate par exemple.
Ne donnons pas raison aux curés de Thalassa en laissant se dégrader et perdre son sens à toutes ces réflexions urbaines que furent donc les projets de la Mission Racine. 
Exigence partout, tout le temps, respect inaliénable.
Mais l'autre question que je me pose c'est que la Grande Motte profite aussi d'une image fun, joyeuse, ensoleillé. Le Patrimoine au soleil et au bord de mer c'est toujours plus facile à défendre (quoique...) Mais pourquoi ne fête-on pas aussi le Mirail à Toulouse ? Sarcelles ? 
Pourtant en voilà bien aussi du Patrimoine en désérrance...Et le Mirail subit actuellement des attaques honteuses comme bientôt les Tours Nuages de Aillaud à Nanterre...Espérons donc que la télévision française ira y faire un tour et saura aussi célébrer ces mondes qui, sous nos yeux, disparaissent. Doit-on y envoyer Thalassa ? Doit-on mettre un maillot de bain au Mirail ?

Je vous ai déjà tellement montré de cartes postales de la Grande Motte que je ne sais pas très bien comment innover ! Je choisis donc quelques cartes vous montrant la Grande Motte en chantier. On y voit encore des parcelles sans construction. C'est toujours émouvant ce moment d'une ville !
J'aurai bien aimer connaitre ce moment et, en remontant de la plage, sentir le béton frais et l'élan joyeux de la construction d'un nouveau lieu. Quelle chance cela devait être !

Pour revoir La Grande Motte sur ce blog...Ba...Bon courage...Il y en a des posts (plus de 40...)


Pour revoir Jean Balladur :


Pour revoir Thalassa...euh...non...merci...

Par ordre d'apparition :
Carte postale Yvon, imprimée en 301 Draeger (un must!), photographie de Alain Perceval, pas de date.
Carte postale Société des éditions de France, expédiée en 1973, pas de nom de photographe.
Carte postale Estel, pas de nom de photographe et pas datée.




mardi 9 juillet 2024

Kanye West/ Tadao Ando, la plus belle ruine du Monde.

 






Oh mais comme c'est amusant ! Sur une page Facebook dédiée à l'architecture du XXème siècle et à "sa protection" (qui ne consiste qu'à une certaine forme de désolation des errements du Patrimoine), on trouve un post dédié à l'affaire Kanye West et sa Villa dessinée par Tadao Ando. Il se trouve que Kanye West a ravagé la Villa pour la modeler à son désir et que donc il aurait usé et abusé de son droit de propriétaire face à la pureté imaginée du travail de Ando dont nous serions tous des admirateurs zélés.

Mais c'est quoi ce désir de pureté ? Pourquoi soudainement tout le monde crie au saccage, à la honte, au non respect de "l'oeuvre" ? Oui. Soyons clairs. Donc c'est quoi ce sentiment de pureté ?

Vous l'entendez la petite musique ?

Tadao Ando travaille pour cette clientèle, il ne fait que trouver des clients qui projettent dans ses propres phantasmes des investissements sur ses idées architecturales, comme un démiurge dont il faudrait pour chacune de ses créations ne rien dire, ne rien renier et donc ne rien remodeler. Mais si l'architecture c'est ce qui fait de belles ruines comme l'affirmait Perret, alors nous devrions remercier Kanye West pour son travail de mise en avant de la ruine de Tadao Ando. Et quoi ? Il est propriétaire Kanye. Propriétaire. Vous voyez ce que cela veut dire non ? C'est sans doute cela qu'il faudrait questionner vraiment. Et à quoi me sert de savoir qu'une oeuvre pour milliardaire, quelque soit sa beauté, est maintenue dans son état de grâce puisque, de toute manière qui profitera alors de cet état de grâce ? L'idée alors qui pointe c'est qu'il ne faut pas plus moquer Kanye West de ce qui serait (selon cette page Facebook) sa bêtise ou son inculture que de se rire d'un architecte qui se voit débouter de son droit à l'image de son oeuvre (et son état de grâce) par ceux-là même dont il est le laquais.

Fabriquer les plus belles abstractions architecturales qui soit ne permet pas de fermer la réalité à son usage. Ando ne crée pas des sculptures minimalistes dont l'usage serait la simple contemplation auto-centré de son génie. Et, bien que ce soit une "villa"  pour riches, elle reste une maison dont les usages et les ajustements de la vie qui vont s'y dérouler doivent rester à la discrétion de ceux qui y vivent vraiment. Renée Gailhoustet explique cela clairement pour ses constructions. Ça s'appelle habiter : la politesse des maisons.

Et puis, vous le sentez le parfum d'une pureté un peu dérangeante ? Comme si il fallait un diplôme de droit de vivre dans un chef-d'oeuvre. Et qui pour le distribuer ce diplôme de bonne conduite dans une oeuvre architecturale de bon goût ? Qui ? 

En fait, Kanye West fait un geste génial en mettant en lumière ce désir de pureté d'une certaine catégorie culturelle. Il permet de lire comment on fabrique des intentions sociales, des appropriations culturelles sur un bien. Si la propriété est privée, pourquoi donc vous étonner de ce retournement ? Tadao Ando n'est pas une victime de ce monde libéral, il en est l'un des acteurs, l'un des serviteurs, un complice. Il produit une oeuvre pour rêver la vie des gens riches qui devraient se plier à son goût de l'austérité plastique comme si il fallait s'excuser de la valeur de son oeuvre par le prix d'une architecture brute et radicale. La radicalité, voyez-vous, ça ne va pas à tout le monde et ça ne permet pas de se racheter une bonne conduite morale quant à la clientèle qu'on vise et qu'on sert. La rigueur morale ne s'obtient pas par la qualité de banchage d'un béton ou des traces émues et amourachées des maçons.

La pureté des formes de Ando n'est pas le gage de sa pureté morale. Pour qui tu travailles Tadao ? Qui sers-tu ? Et de qui exiges-tu la protection de ton oeuvre et au nom de quoi ? De qui ?

Alors, bien entendu, il arrive que la création déborde le créateur, que le génie doive être préservé et que, d'une certaine manière, c'est vrai, beaucoup de l'histoire de l'architecture est faite d'une appropriation culturelle du beau au nom de tous. Personne en effet ne dort plus dans la chambre du Roi à Versailles et personne ne prend son petit déjeuner sur la terrasse de la Villa Savoye ou ne se baigne encore dans la piscine de la Villa Cavrois. C'est bien dommage. Les lieux sont morts. Mais ce qui me déplait foncièrement dans ce moment, c'est la certitude que, pour tout ce petit monde du Patrimoine, Kanye West aurait tort. Qu'il n'aurait pas, lui, compris le génie de Ando. Quel mépris non ? Peut-être qu'elle est invivable cette architecture de Ando ! Peut-être que l'usage de l'habiter y est impossible, qu'elle n'est qu'une idée formalisée et formaliste sans autre attention à ceux qui devront la vivre ? Qui veut vivre dans une idée ? Qui veut vivre dans une sculpture de bon goût pour que AD Magazine y fasse de belles images et puisse, Oh Lala, jouer les offusqués alors que la revue sert les intérêts culturels d'une toute petite caste des accédants à ce type d'architecture ? La bourgeoisie culturelle n'aime pas les intrus. Kanye West leur met le nez sur la ligne blanche. Il a bien raison. On devrait le remercier d'avoir fait la plus belle ruine d'architecture contemporaine. C'est le juste retour de flamme d'une  lutte culturelle et de sa vengeance froide et glacée.

Il ne manque pas d'éducation, Kanye. Il en a une autre qui n'est pas la vôtre.

Pendant ce temps-là, On grignote le Mirail à Toulouse, sous les yeux de tous et surtout des responsables locaux, nationaux, internationaux du Patrimoine. Et il y a bien moins de monde pour s'en offusquer, pour le regretter. On privatise La Cité Radieuse. L'architecture pour les pauvres c'est moins clinquant, moins digne d'une colère affectée. La voilà qui arrive la honte des engagements patrimoniaux sélectifs des sachants tout heureux d'avoir retrouvé en Kanye West enfin un ennemi de classe culturelle. Allez...le poing levé, le nez blanchi, la gorge sèche. Vas-y Kanye ! Défonce-la cette villa, défonce-les ! Venge-nous.

Bien à vous tous.

David Liaudet



https://www.admagazine.fr/article/kanye-west-remixe-tadao-ando?fbclid=IwY2xjawD6BehleHRuA2FlbQIxMQABHY5-AgQimY3X2k1hsI6CiJ9r-gILg5KlEaKvktToBuyb-mWwiMJWTgl6ZA_aem_h83F42xIg-N-jkY3ayMKww






samedi 6 juillet 2024

Dubuisson avant Dubuisson



Non mais ce n'est pas vrai !
Voilà un peu mon interjection ce matin en cherchant des informations sur les architectes de la Reconstruction de Saint-Lô suite à l'achat d'un petit lot de cartes postales de la ville.
Et dire que j'ai failli laisser ces deux-là avec un peu de dédain je l'avoue, puis je me suis (avec joie maintenant) heureusement ravisé ! Car...oui, ces deux cartes postales de l'hôtel Mercure nous montre bien l'une des premières constructions de Jean Dubuisson ! On est en 1953 !
Quand je vous dis qu'il faut toujours tirer le fil de l'histoire, toujours bien regarder et apprendre, toujours finalement aussi ne rien négliger surtout quand une carte postale ne vaut que quelques centimes et qu'elle vous permet ainsi de saisir un beau morceau d'histoire sur l'un des plus grands architectes du XXème siècle.
Alors, il y avait aussi bien des raisons à mon premier mouvement de dédain. On ne peut pas dire que l'écriture de cet immeuble soit ni spectaculaire ni très signifiante de l'oeuvre de l'architecte à venir. Et les très légers signes d'une modernité m'ont tout de même fait changer d'avis : distribution des ouvertures, longueur régulière, blancheur et maigreur. J'aimais surtout le rapport des masses entre le pont du premier plan et donc l'hôtel dessiné par Dubuisson. On dirait qu'il est posé dessus. Ce qui a donc changé mon avis c'est bien le travail du photographe des éditions C.A.P. Quel bonheur !
Je ne trouve pas grand chose sur cet immeuble mais on note qu'il est tout de même bien référencé par Archiguide (merci!).
Aujourd'hui, il est toujours debout et semble en bon état à part une immonde vérandalisation* pour le restaurant  La Plage...tentant, sans doute, de faire une terrasse au plus proche de la Vire. Il faut le dire, on peut, en effet, regretter que le bâtiment de Dubuisson soit ainsi poussé un peu loin de la rivière et laisse devant lui une esplanade un rien vide servant de parking. C'est assez curieux d'un point de vue urbanistique. Les chambres donnent donc sur un parking. On comprend donc ce mouvement cherchant à récupérer la proximité avec la Vire.
On admire un peu plus loin le magnifique bâtiment qui était alors un garage Citroën (maintenant tendanceOuest) ! Incroyable !




La belle béquille qui dessine son profil est superbe ! Peut-être que le génie de Dubuisson se tient ici. On voit mieux comment l'architecture alors tente de récupérer la pente pour faire glisser les deux constructions l'une sous l'autre. 
D'ailleurs...est-ce bien encore du Dubuisson ? Oui ! 
Voilà donc une belle découverte comme je les aime. Il me faudra sans doute aller un jour dans cette ville si bien reconstruite et en admirer les architectures. Il existe d'ailleurs un parcours dans la ville pour ce faire créé par l'Office de Tourisme de Saint-Lô. Quelle belle idée ! Bravo ! J'espère qu'il nous fait passer devant ce beau morceau juvénile de Jean Dubuisson ! Oui ! 
Très belle plaquette à télécharger ici : 

* véranda + vandalisme = vérandalisation. Néologisme inventé par Charlotte de Charette pour Royan (merci Charlotte !)

Pour revoir Jean Dubuisson sur ce blog :
etc...






vendredi 5 juillet 2024

Les triangulaires de Guillou



 Ah ! Voilà bien l'occasion pour certains de crier à nouveau à la traitrise des images et particulièrement de la photographie !
Comment, en effet, depuis ce point de vue, comprendre vraiment la volumétrie de ce restaurant universitaire de Nantes, restaurant dessiné par le célèbre (et breton) Yves Guillou ?
Ce qui surprend si bien c'est comment l'extrémité du bâtiment semble n'être qu'une lame sans épaisseur.
Bien entendu, le restaurant universitaire n'est pas ainsi aussi étroit dans cet espace et la pointe à l'arrière nous explique mieux, par sa transparence, ce que nous devrions comprendre de cette architecture.
Cela donne au bâtiment de Guillou une véritable écriture presque post-moderne ou du moins High-Tech, écriture qui n'arrivera que bien plus tard pourtant.
Ici, un beau mur-rideau bien fin vient remplir la carcasse de béton en formant donc des branches triangulaires, comme une étoile permettant sans doute d'ouvrir largement les point de vue, produisant aussi un jeu plastique avec les croisements des regards d'une pointe à l'autre : quelque chose de ludique et de cinétique.
On peut donc assez facilement penser que Guillou avait prévu ce jeu optique, ce plaisir du développement de l'épaisseur par la circulation autour de la forme. 
La carte postale est une édition Artaud qui ne nous donne pas le nom du photographe qui a attendu un drôle de moment lumineux pour faire son cliché. L'ombre du premier plan ne laisse que peu de chance à la lumière de faire jouer la transparence des fenêtres qui semblent bien sombres. Peut-être aussi que le verre prenant trop le soleil et le renvoyant ne permettait pas d'attendre que celui-ci frappe et revienne depuis la surface vitrée en éclats trop puissants.
Dans mon Fonds, je retrouve assez facilement Guillou avec une autre carte postale que j'aime tout particulièrement pour la qualité assez étrange de son édition au-delà bien entendu de la forme architecturale qui est ainsi proposée.
L'église de Caudran. 


Tout est si propre, si net, si tendu que l'on pourrait croire à une photographie de maquette. Monsieur Marigny l'éditeur a-t-il vu ce glissement plastique possible ? En tout cas, l'église de Caudran est bien attribuée sur cette carte postale à Guillou. On admire une fois de plus comment l'architecte semble aimer les triangles, les angles pointus, les masses. Ici c'est tout le toit qui fait architecture se posant sur le sol. Il ne reste de verticales que la petite bande de pierres sous le porche creusé dans l'épaisseur et ce bandeau blanc immaculé qui dessine un A majuscule dont on ignore le sens. C'est d'une grande beauté cette image et cette architecture. Ça ne rigole pas....Là aussi, difficile de dire ce qui dessine vraiment le lieu entre l'image et l'architecture. Il ne fait aucun doute que Guillou fait une architecture d'images, prompte à faire des formes pures sous la lumière, une photogénie qui pourrait prendre le pas sur le sens des espaces. Cela se veut spectaculaire et moderne en offrant pourtant comme base une certain registre formel assez traditionnel (le toit en ardoise en double pente) ici surjoué, sur-dimensionné, exubérant, on dirait presque baroque. Comme si la Modernité ne pouvait rester ancrée dans la tradition qu'en hypertrophiant ses caractéristiques. C'est assez curieux et assez représentatif de l'époque. 
Promis, dès que je le pourrai, je vous montrerai l'intérieur absolument magnifique.

Pour voir ou revoir Guillou :

lundi 1 juillet 2024

Le retour de Paul Vimond

 Il est toujours intéressant, au hasard des trouvailles, de retrouver des architectes découverts il y a longtemps et déjà un peu oubliés alors qu'ils ont eu un rôle important dans la construction de la France d'après-guerre. L'histoire de l'architecture aurait donc du mal à imprimer dans nos têtes certains noms, certains travaux, comme si la clarté ou la complexité de son déroulement ne savait pas laisser la place à des personnalités n'ayant pas obtenues une certaines reconnaissances hors des milieux spécialisés.
Paul Vimond est de ceux-là.
Malgré une carrière incroyable et une quantité de réalisations très grande, je n'arrive pas à retenir son nom et il me faut vérifier dans mes archives que j'ai bien déjà parlé de lui, un peu par chance, depuis une carte postale il y a quatre ans.
Et le voilà de retour avec une superbe carte postale dont la qualité de l'espace urbain essaie d'être démontrée comme si le photographe tentait de mettre tous ses atouts sur une même image : on dira un programme.




D'abord la carte postale est dans un état absolument parfait, elle est toute neuve. Il s'agit d'une édition Iris pour la Compagnie des Arts Photographiques (CAP) qui, malheureusement, ne nomme pas son photographe. Pourtant, ce dernier fait tout le travail de compréhension de cet espace nouveau : la Z.U.P de Cherbourg-Octeville. On note que Paul Vimond y est nommé architecte en chef de la zup Cherbourg-Octeville. Et ce qu'on voit est superbe d'espaces ouverts, de netteté, de lumière, de projection dans un paysage. Le photographe cadre en mettant au premier plan la belle grille des immeubles dont la composition est si moderniste et abstraite. Jeu très subtil des ouvertures, des creux et des vides d'une très délicate polychromie jouant ici admirablement avec le ciel. On est en hauteur et le terrain au pied des petits immeubles est travaillé pour faire émerger des niveaux, des pentes permettant de voir l'horizon. On essaie de comprendre si nous ne serions pas à l'ombre d'un immeuble à notre gauche. C'est un promontoire que nous montre le photographe, un espace vide, un balcon sur le monde, on voit bien au fond la gare maritime de Cherbourg et le port et...la mer....
Les enfants jouent dans leur espace si caractéristique de celui du Hard French, terrain de sable, jeu en forme de cocotte en papier géante (un toboggan, le même qu'à Port Leucate !), puis le parking, puis la ville, puis la mer. Une sorte de déclaration de l'urbanisme moderne, une sorte d'application à la lettre de la distribution de ces espaces de la ville nouvelle. Je m'amuse des caravanes aussi parfaitement alignées sur le parking que les immeubles sur leur pente, comme un avant-gout des vacances, un certain sens de l'égalité : vue sur mer, vue sur les immeubles, un entre-deux poétique et populaire. Où pourrions-nous laisser ainsi sa caravane sur un parking en bas des immeubles aujourd'hui ? Où, aujourd'hui, pourrions-nous laisser des enfants si jeunes sans surveillance jouer au pied des immeubles ? Cette limpidité des espaces est bien ce qui a fait la qualité de cette architecture et de cette école du logement social. Une école ayant tenté de faire rapidement et qualitativement aussi de la ville, de la ville certes parfois un peu loin des centres anciens mais offrant tout de même un lieu avec des qualités évidentes, du moins, depuis cette image.
Alors il n'est pas question ici de faire une analyse de comment on a vécu dans cet espoir et cette réalité, ni de juger depuis une représentation les qualités de vie d'un espace, mais, après tout, on peut aussi voir cela non pas comme une propagande éhontée d'un monde parfait (ah la critique des images...) mais bien comme un cadre tout de même documentaire. Il y a, dans tout, du documentaire.
Je laisse aux sociologues parachutés (ils le sont presque toujours) le soin de l'analyse des signes et des témoignages pour compléter cette image. Je fais ce que je peux. Et le photographe de cartes postales aussi.


Sur une autre carte postale cette fois des Éditions Normandes le Goubey on est descendus en ville, on a tourné notre regard vers la hauteur. La ville semble plus complexe, plus tassée, comme un collage de strates, comme si le photographe avait voulu tout mettre dans la seule image et surtout raconter les articulations urbaines, chanter les dispositifs de la mobilité moderne : train, auto. Comme si la ville moderne devait démontrée ses jonctions avec le monde. La mer doit être dans notre dos. La Zup est ainsi reléguée là-haut, tout là-haut, presque loin, presque comme une citadelle, un château-fort.
Mais à qui s'adresse cette carte postale ? Cette représentation de l'espace urbain ? Aux habitants bien évidemment ! On imagine peu ou mal un touriste achetant ce genre de carte pour parler de son séjour touristique à Cherbourg...Est-ce que Jacques Demi, ses acteurs et son équipe technique ont débarqué de Paris dans cette gare ? J'aimerai tellement.
En quelque sorte, cette carte postale nous dit : tout va bien ! La ville est moderne ! On t'attendra à la gare. 

Pour revoir Paul Vimond sur ce blog :
Pour le connaitre un peu mieux :

dimanche 30 juin 2024

Le cercle de l'anarchie en ce jour

 Aux Emmaüs, j'achète un petit lot de cartes postales, heureux de voir que, enfin, les Emmaüs se décident à remettre en vente des cartes après des années de bouderie ou de ventes dites exceptionnelles qui n'avaient d'exceptionnelles que l'inflation absolument ridicule  des prix...


Dans ce lot, je suis immédiatement intéressé par cette carte postale du Bar-Tabac le chien qui fume à Elbeuf que je connais bien. Ce qui me séduit c'est bien, comme souvent, le moment presque palpable, tremblant de la reconnaissance. En effet, le surgissement en image d'un lieu dans nos mains, de sa représentation en un instant figé et dans un temps disparu reste l'un des mystères de notre joie. Je fais semblant alors de penser que ma joie vient de mon gout pour l'architecture et ici celle de la reconstruction d'Elbeuf assurée par François Herr et Marcel Lods, architectes. D'ailleurs si l'on regarde la carte postale, j'y retrouve bien ce vocabulaire de la reconstruction avec les plaques de béton préfabriquées jointées et les superbes cadres de fenêtres et de vitrines très ourlés qui viennent en sailli des plaques be béton. C'est bien-là le vocabulaire de la préfabrication de ma ville, celui qui m'habitua enfant à cette qualité de la reconstruction. Ce qui m'étonne sur cette carte postale c'est l'état de crasse et de saleté des murs alors même que le bâtiment, au moment de la prise de vue n'est pas si vieux. Mais l'atmosphère encore très largement industrielle d'Elbeuf à cette époque et les chauffages au charbon ont fait vieillir sans doute prématurément les bétons donnant à l'image une allure un peu triste. La carotte, enseigne d'un vendeur de tabac, est elle aussi bien abimée...

La couleur et la joie de cette image viennent de la présence des clients et des chaises en plastiques colorées si année 60. Mais un détail fait résonner cette image avec notre journée : le graffiti du sigle de l'anarchie si proprement fait, d'une netteté que je trouve éclairante. On imagine la colère du propriétaire du bar, on imagine aussi le mouvement du bras parfaitement déroulé pour faire un si beau cercle ! Bravo !


Tous les elbeuviens ont un souvenir de ce bar. Nous y allions acheter des cartouches de Gauloise pour notre père. Cette carte postale des éditions Kettler me touche donc tout particulièrement. Je suis chez moi. Malheureusement, tout ce qui en faisait sa particularité architecturale a disparu sous une vitrine banale ayant ruiné la belle articulation de l'angle entre la rue des Martyrs et la rue de Roanne, rue dans laquelle j'habitais enfant.


Dans le même lot, je trouve une belle carte postale du Ciné-Théâtre (le cinéma) d'Elbeuf, cinéma si important pour moi. Il fut bien dessiné par Marcel Lods mais aujourd'hui il a était agrandi avec peu de subtilité sur le devant, c'est à dire que ça a flingué la belle gestion de la transparence de l'entrée qui faisait de l'attente des spectateurs un spectacle à part entière...Comme chez Tati. La boite de verre et de métal si légère n'existe plus...Mais le cinéma a résisté à la vague des grands cinémas de zone commerciale. C'est déjà ça.

Pour revoir Marcel Lods sur ce blog :

https://archipostcard.blogspot.com/2012/11/territoire-marcel-lods.html

https://archipostalecarte.blogspot.com/search?q=Lods

Pour revoir Elbeuf :

https://archipostalecarte.blogspot.com/search?q=elbeuf