samedi 30 juin 2018

Les Grandes Terres habitées

Je me plains souvent que les correspondants n'évoquent que peu les architectures qu'ils choisissent d'envoyer en carte postale. Comme si la photographie faisait à elle seule l'argumentaire de ses qualités bonnes ou mauvaises. Alors, quand par chance, (rappelez-vous ici la Cité Radieuse) la correspondante écrit un commentaire sur ses cartes postales, on en profite. D'abord, je vous donne les rectos comme à notre habitude :



Ce lieu de la critique architecturale est donc l'ensemble des Grandes Terres à Marly-le-Roi, très bel ensemble des architectes Marcel Lods et Jean-Jacques Honegger. Je vous laisse lire ce très complet dossier qui vous racontera l'histoire, les particularités techniques de ce remarquable ensemble. Je ne pourrais faire mieux et plus concis :

http://www.culture.gouv.fr/Thematiques/Architecture/Publications-et-audiovisuel/Publications/Les-Grandes-Terres-a-Marly-le-Roi

Je vais bien entendu vous transcrire le texte de cette correspondante qui s'étale sur deux cartes postales qui furent donc envoyées ensemble sous enveloppe dans un désir évident de faire le tour de la question de son logement. On note aussi que la date d'envoi est 1978, ce qui est bien tard après la construction, ce qui relativise aussi la sensation de Modernité de sa réception.
Lisons :
8/11/78
J'ai trouvé ces 2 cartes dans un tabac qui donneront une meilleure idée de notre cour. Nous avons "droit" à 3 fenêtres et un balcon, chaque fenêtre représentant la largeur des pièces, soit 2M45 pour les chambres et 1M80 pour la cuisine. Le séjour est plus grand, puisque la cloison d'une chambre a été abattue, ce qui est bien dommage car je suis ainsi obligée de mettre mon séchoir à linge dans le séjour, n'ayant pas de place dans la cuisine. Et j'aurai aimé avoir un petit coin pour moi.
Ce qui compense la petite surface, ce sont les arbres devant les immeubles. Il y a un gros marronnier devant la cuisine et l'on voit les arbres d'une allée devant la grande pièce. De plus, c'est évidemment plus calme, la rue passant de l'autre côté de l'immeuble. Nous habitons l'immeuble "jaune" en bas à gauche, côté jardins. Vous voyez au milieu les tennis et le carré, le centre commercial. De l'autre côté du parking se trouve la station de bus pour le lycée. Bonne rentrée. Bons baisers. CH. 

Alors ? Ce qui me frappe d'abord c'est le ton mi-enjoué, mi-troublé. On note par exemple l'utilisation des guillemets pour le droit à 3 fenêtres, on pourrait en déduire une ironie. Dans le désir de donner précisément les dimensions, on note aussi comme un regret d'une petitesse des lieux, ce que la cloison supprimée confirmerait. On comprend que ce sont les habitants précédents qui ont dû la faire sauter car la correspondante trouve cela dommage. Il était donc possible de la faire sauter cette cloison, pour gagner de la place pour un séjour. On aime bien entendu comment la correspondante évoque la place prépondérante du jardin et de la construction de la vue sur le paysage, vécues comme une prolongation de l'appartement, une chance de projection vers l'extérieur. J'aime aussi que la correspondante, pour identifier son immeuble, utilise la couleur jaune des stores en tissu. Je le redis une fois encore : qui nous fera une étude des stores textiles dans l'architecture moderniste ?

























Les cartes postales trouvées au Tabac du coin sont de Lyna éditeur pour Abeille-Cartes. Aucun nom d'architecte ou de photographe. Je pense que ces cartes sont bien plus anciennes que 1978, elles ont donc traîné sur le tourniquet du Tabac, ce qui explique l'étonnement et le désir de le préciser en évoquant la trouvaille... J'aime que le texte commence par notre cour, ce qui ramène l'immeuble à une habitation plus traditionnelle, celle d'un immeuble urbain. On devine aussi un désir d'appropriation de cet espace, celui du devant l'immeuble, comme un vrai territoire revendiqué.
Voilà en tout cas qui nous permet de vivre un peu mieux l'architecture au travers d'un témoignage direct. Il est heureux que ces deux cartes postales aient pu rester ensemble...
Je suis certain que Marcel Lods aurait particulièrement aimé celle vue du ciel, lui qui aimait prendre des clichés de ses architectures depuis des avions ! Il aurait pu insister sur la parfaite composition de son plan, de son paysage. On note aussi sur ce cliché aérien la belle église dont on reparlera bientôt.

Sur Marly-le-Roi, on peut aussi aller revoir cet article :
http://archipostalecarte.blogspot.com/2015/04/sur-des-tabourets-de-madame-perriand.html 

Je vous donne également l'article paru dans l'Architecture d'Aujourd'hui de 1957 :

































































































































































mardi 26 juin 2018

La honte sans miracle à Lourdes






































C'est l'une des raisons, Louis, pour lesquelles je ne vais que rarement voir ce que c'est devenu.
Souvent, le temps fait son ouvrage, souvent, le temps fait son outrage.
Tu vois, l'image suspend un moment, retient un état qui semble inaltérable justement parce qu'il fait image, comme si, étrangement, la photographie protégeait à jamais les lieux. Mais finalement, il suffit de quelques années, de quelques fautes, de quelques errements commerciaux sans génie pour que ce qui semblait une belle construction, solide, marquée par son temps, abstraite et bien dessinée devienne un machin, une erreur sans style, un local propre faussement moderne pour clients sans regard. Bref, comme j'aime à le dire, Louis, une honte.
L'Hôtel de Padoue, je l'ai aimé de suite quand dans ma main son image a surgi au milieu des cartes postales anodines. C'est, Louis, sa façade qui m'a plu, sa radicalité moderne traînant encore un Art Déco adouci, presque simple, timide. Peut-être d'ailleurs que cette timidité tendue de blanc lui donne toute son allure sur cette carte postale sans nom d'éditeur. La construction bien droite dans son cadre et dans son ciel parfait fait jouer la façade sans ombre de toute sa volumétrie des balcons aux pans découpés, filant sur la longueur, créant comme une seconde façade en retrait, libérant le coin de l'hôtel en une tour retenue dans la masse. Tu noteras, Louis, comment l'architecte a bien su articuler sa construction sur son îlot, comment il a su lui donner du sens, projetant le plus possible d'ouvertures par des fenêtres généreuses, l'hôtel est littéralement percé de part en part. Tu noteras aussi, Louis, comment en jouant avec des aplombs ou des corniches, l'architecte détermine bien le socle puis l'hôtel et ses chambres et enfin son dernier étage, construisant ainsi une dynamique de l'œil qui s'achève sur un PADOUE géant. Simple, beau, élégant.
J'hésite à te montrer ce que cet Hôtel de Padoue est devenu. Comment en est-on arrivé là ? Comment une telle attaque est possible et pourquoi ? Comment a-t-on pu (on ici c'est la chaîne incroyable des administrations locales, des architectes de bas-étage, des promoteurs à retour sur investissement) inventer sur une telle réussite une construction aussi vulgaire ?
Vulgarité, c'est bien de cela qu'il s'agit. Même pas un désir radical ou une force puissante qui auraient pu par son geste dire quelque chose sur l'héritage. Non, juste ce pragmatisme de l'ordre, celui du commerce, du confort des étoiles que le pauvre pèlerin confondra avec de l'architecture.
Vois-tu, Cher Louis, c'est bien notre époque.
Ce manque de regard qui cède aux investisseurs la permission du tragique. C'est à cela que tu dois t'éveiller. Tu te dois, à ton âge, de saisir ce risque, de comprendre comment lutter contre cela. Tu verras, souvent c'est triste, désespérant cette bêtise contemporaine, surtout que cette vulgarité des promoteurs, des agents patrimoniaux absents, touche aussi des bâtiments importants que l'on croit intouchables. Va voir, Louis, comment la Maison du Peuple de Clichy est attaquée par Monsieur Ricciotti, l'un de de nos plus grands architectes, l'un de nos plus puissants modèles de radicalité. Va voir comment, même lui, (pour faire tourner son agence ?), ose le compromis avec la vulgarité marchande, comment il se plie, il se couche.
Il se couche.
Tu comprendras alors qu'il faut beaucoup de chance à nos belles constructions, qu'il faut surtout beaucoup d'éducation pour que l'architecture, celle manifeste de son temps, ne soit pas seulement retenue, Cher Louis, dans les images.
C'est pour cela, Louis, que ta jeunesse (candeur mêlée d'espoir) te permet encore d'aller voir et que tu me verras maintenant toujours plus heureux de rester chez moi derrière LES images.
Amuse-toi bien à Marseille. Tu sais ce que tu dois y voir, en retenir.
Même le Mucem de Monsieur Ricciotti.
Même.

La bise depuis mon écran.

On notera que la carte postale ne nomme pas l'architecte de cet Hôtel de Padoue et que je n'ai pu le retrouver. On notera que je ne désire pas vous donner le nom du ou des architectes ayant requalifié cet hôtel.




















mardi 19 juin 2018

Le Corbusier et l'incendie campagnard

Ce samedi 23 juin aura lieu un événement important dans le paysage corbuséen : la réouverture de l'espace Le Corbusier, Norbert Bézard à Piacé, dans la Sarthe.
Restauré, réaménagé, présentant de nouvelles pièces de Norbert Bézard ou de Perriand et Prouvé, l'espace ainsi réouvert vous permettra toute l'année de comprendre les enjeux de cette collaboration entre un céramiste Nobert Bézard dans la campagne et un architecte révolutionnaire, Le Corbusier.
Toute l'année vous pouvez donc en descendant vers Bordeaux et Frugès depuis Paris, vous offrir une halte à Piacé pour voir comment Le Corbusier savait aimer les gens, savait travailler aussi sur l'espace des campagnes françaises, un peu loin de l'image que l'on a souvent de lui, celle essentiellement d'un homme des villes. Tout corbuséen qui se respecte se doit de passer à Piacé.
En plus, le parcours d'art contemporain s'est étoffé (29 pièces !) et il est lui aussi ouvert toute l'année, vous permettant de vous promener dans la verdure à la recherche d'œuvres d'artistes contemporains allant de Pierre Huyghe à Florence Doléac, de Lilian Bourgeat à Jean-Benjamin Maneval et sa célèbre bulle six coques.
N'oublions pas que dès ce samedi 23 juin vous pourrez voir aussi une exposition exceptionnelle des multiples et des éditions de Claes Oldenburg ! Incroyable !
Mais si vous aimez les gens, le feu, si vous aimez croire que l'art contemporain c'est aussi la fin joyeuse d'une pièce, vous viendrez assister à la mise à feu de l'œuvre de Séverine Hubard, mise à feu ici n'est pas un effet de langage... L'incendie de cette œuvre, tout comme celle de Pascal Rivet en 2015, viendra clore la journée d'inauguration et lancer la nouvelle programmation ! C'est la fête !
On vous attend !
Tout est...GRATUIT !
(sauf le cochon grillé, faut tout de même pas pousser....)

Pour toutes les informations pratiques vous pouvez aller là :
https://www.piaceleradieux.com/actualites/ 






dimanche 17 juin 2018

Piscines Tournesol, inventaire engagé paysagé

Elle pourrait être la forme parfaite de la carte postale de piscine Tournesol, une sorte d'absolu :


Nous sommes à Auby dans le Nord et le photographe des éditions Combier cadre parfaitement l'objet. La Piscine Tournesol dans sa livrée orange, la plus courue, la plus significative de son époque, semble bien posée là, esseulée, comme atterrie soudainement. On connait bien ce type de représentation de la piscine Tournesol qui ne permet pas de l'individualiser, ne laissant au contexte de son atterrissage aucune chance de s'exprimer. On pourrait être n'importe où. Les deux arbres en contre-jour ne permettent pas d'identifier la localisation.



















Cela signifie bien que le piège possible de cette image est bien l'édition, à la fois de l'image mais aussi de l'architecture représentée. La preuve ?


Devant ce détail de la piscine de Saint-Laurent-du-Var, j'ai cru reconnaître lors d'un dernier rangement dans mes classeurs celle d'Auby...
Je vous donne la carte postale en entier :


Elle nous permet de voir par deux fois la piscine Tournesol de Saint-Laurent-du-Var, une fois bien contextualisée dans le paysage urbain, mêlée aux autres aménagements sportifs puis plus proche, nous montrant donc le détail de son fonctionnement et de son usage.


Cette image est la preuve de l'attachement à ce genre d'objet architectural, toujours jugé digne de représentation en carte postale. Ici les éditions Gilletta font le travail, la carte est expédiée en 1984 et ne nomme pas l'architecte Monsieur Schœller.
Pour ce paysage de Bar-sur-Aube :


Sur le trottoir, à hauteur d'homme se promenant le long de la chaussée, le photographe cadre la ville au loin, la route qui y mène et la piscine Tournesol. Là aussi, l'image donne peu de chance d'une identification très marquée, le paysage ressemble à beaucoup d'autres, une sorte de typologie française. Mais pourquoi cadrer ainsi ? Pourquoi une route, sa chaussée, sa droiture traversant la ville et son équipement sportif pourraient représenter une ville et ses particularités, suffisamment en tout cas pour croire qu'elle fait sens, donne raison à l'idée d'un pittoresque local ?


L'image est coupée en deux, la petite cité moderne à droite et son équipement moderne et sportif, au loin la ville ancienne, son clocher qui sert de visée à la route, entre les deux les arbres, les fleurs, le petit bonheur des aménagements paysagers des villes. On note comment aussi, maintenant, la nostalgie nous fait aimer le panneau Elf d'une station-service ou d'un garage. Mais comment le photographe a bien pu se décider pour ce point de vue ? A-t-il laissé sa voiture sur le bas-côté, derrière lui ? Est-il venu à pied depuis le centre ville, photographiant à l'envi ce qui lui semble significatif ? Trouvant dans la couleur des fleurs rouges le point joyeux de son image, lien entre la vieille ville et la nouvelle ? Est-ce que vous entendez comme moi le bruit des autos qui nous frôlent ?
La piscine de Bar-sur-Aube a tout perdu de sa beauté. Tout.
Celle de Saint-Laurent-du-Var est devenue blanche.

L'inventaire en cartes postales des piscines Tournesol est un travail. Merci de ne pas venir vous goberger des images sans autorisation, (que je donne gentiment si on prend le temps de me la demander) :
http://archipostcard.blogspot.com/search/label/piscine%20tournesol
http://archipostalecarte.blogspot.com/search/label/piscines%20Tournesol



























lundi 11 juin 2018

La fatigue à Ronchamp

Parce que Ronchamp n'est pas seulement une église mais un programme religieux plus complexe, Le Corbusier n'y a pas seulement dessiné une chapelle mais bien un ensemble offrant d'abord, cela va de soi, le lieu de culte mais également un abri pour les pèlerins, sujets premiers de cet espace spirituel.
Le pèlerin est un être en mouvement désirant un but, dont le cheminement intérieur se matérialise dans le concret du cheminement réel. Arrivé à destination, il doit trouver à la fois l'objet de sa quête mais aussi le repos. Non pas que la fatigue soit un élément du programme du pèlerinage, même si elle est une manière de se débarrasser de l'harassement des pensées négatives, mais elle est présente, subtile, comme une présence du corps, ce sac de peau comme disait Corbu qu'il faut bien emmener avec soi en haut de la colline salvatrice. La joie est là, ne nous y trompons pas. Oh ! La belle joie que cette fatigue utile, achalante, digne !
Pour elle, il fallait un abri, et à Ronchamp, c'est Le Corbusier qui le dessine. Souvent oublié des représentations de Ronchamp, souvent même oublié de notre cinéma intérieur que nous nous fabriquons de Ronchamp, l'abri des Pèlerins est pourtant bien un élément essentiel de ce mouvement vers la colline sacrée. Il est, de plus, d'une beauté brutaliste stupéfiante, jouant de tous les contrastes avec la Chapelle. Il est donc assez étonnant d'en trouver une représentation en carte postale même si il faut relativiser cette surprise :


En effet, dans un lieu aussi fréquenté, il est normal de vouloir offrir finalement toutes les représentations. Le pèlerin depuis toujours a été friand des objets liés à son pèlerinage et il a toujours été un fétichiste de son propre mouvement. La représentation n'y échappe pas et vouloir revenir avec l'image de ce mouvement, vouloir en communiquer le but atteint enfin est très normal. Et puis la très grande fréquentation entraîne forcément la possibilité aussi de multiplier les angles des points de vue, presque certain qu'il y a là la possibilité de jouer avec l'ensemble des représentations de chacun. N'oublions pas non plus qu'il existe des cartes postales de second regard, celles fabriquées pour les habitués d'un lieu, leur permettant d'échapper aux représentations habituelles et de ne pas répéter leur désir d'images. Plus un lieu est fréquenté, plus il a de chance de proposer des angles et des images originales et variées, c'est la loi du marché qui autorise cette générosité des points de vues. On enverra l'abri des Pèlerins soit à une personne à laquelle on a déjà envoyé la Chapelle l'an dernier, soit à une personne connaissant le lieu, soit aussi, évidemment, parce que finalement c'est bien là que le correspondant arrive.
Cette carte postale est une édition de la Société Immobilière de Notre-Dame de Ronchamp. Elle ne précise pas son photographe qui pourrait bien évidemment être Charles Bueb. On note que l'abri est photographié en contre-plongée depuis le chemin en contrebas, laissant tout de même à la Chapelle la chance d'apparaître à gauche de la photographie, cela, bien clairement, pose le désir de la localiser. Cela permet aussi de jouer du contraste entre les lignes courbes de la Chapelle et les angles de l'abri, tous deux pourtant, semblant darder le ciel gris. Tout le vocabulaire corbuséen est de sortie : disposition des ouvertures, leur retrait dans l'épaisseur du mur, les traces des planches dans le béton banché, les aplats de couleurs vives, le déversoir épais des gouttières, la forme tenue, serrée, compacte d'un dessin très lisible.
Je pense soudain à la cantine de Marçon par Wogenscky. 
On notera enfin, que la carte ne fut pas expédiée, sans doute achetée comme souvenir, comme une note que l'on fait d'un lieu, vertu de la Veduta.
Mais avant d'arriver, le pèlerin perçoit-il cela :


Cette carte postale du même éditeur nous montre à peine la Chapelle, perdue au milieu des branches, posée sur le haut de sa colline. Bien entendu, il s'agit d'une image dramatique, au sens où elle joue avec notre désir de nous raconter l'histoire du moment du surgissement du lieu du pèlerinage, de son but, enfin, là-bas, au loin, presque déjà là. Ce point de vue permet aussi de comprendre comment le rocher sculpté par Le Corbusier semble naturel, comme un fruit, un caillou, la carapace d'on ne sait quel crabe de montagne échoué là. Là également, cette carte postale s'adresse sans doute à un client ayant déjà joué au pèlerin, ayant déjà usé son œil sur une image plus attendue et cherchant un point de vue plus original, moins resserré sur l'église mais plus sur l'événement même du pèlerinage lui-même. Un regard averti en quelque sorte, délaissant la représentation de l'objet architectural au profit de la représentation de l'événement.
Une fois encore l'éditeur oublie de nous nommer quel photographe-pèlerin a ainsi vu Ronchamp. Dommage d'avoir perdu le corps qui va avec cet œil, écartant les branches, un peu loin du lieu, regardant avec émotion la chance de Ronchamp comme nous avait écrit Claude Parent dans sa préface pour notre livre sur Charles Bueb.

Sur Ronchamp :
http://archipostcard.blogspot.com/search?q=Ronchamp
ou encore :
http://archipostalecarte.blogspot.com/search?q=ronchamp







vendredi 8 juin 2018

1023 endormis au moins

Il ne fait aucun doute que certaines représentations de l'architecture font l'architecture. Sans doute que cadrée, condensée, nettoyée et isolée la construction représentée prend une force que son analyse ou sa visite pourrait contrarier voire contredire.
En voici un exemple :


Quand cette carte postale m'est tombée dans les mains, le spectaculaire était bien au rendez-vous ! Comment ne pas jubiler d'une telle densité urbaine fortement cadrée et retenue que l'image accentue certes mais aussi ne fait que révéler finalement. Regardez le traitement du triangle flou et gris en bas à droite de l'image...
Car le piéton (et donc le photographe ?) pour bien saisir depuis le trottoir le travail de Monsieur René Coulon, l'architecte de cet hôtel Méridien à Paris n'a que deux solutions : soit pénétrer le bâtiment, soit, effectivement, prendre de l'altitude, tant l'insertion dans l'îlot est insaisissable depuis la rue ! Ici, l'exploit de cet hôtel est bien la manière dont il se glisse entre les trois rues, laissant du bâti ancien à sa place, créant ainsi dans l'îlot des passages et même des vides dont il doit être bien spectaculaire de pouvoir les arpenter ! 1023 chambres ! 1023 resserrées ainsi, rassemblées !



La jubilation de l'image vient bien de la révélation de cette forme cachée aux yeux du piéton qui lui, ne peut percevoir qu'une immense façade linéaire sur le boulevard Gouvion Saint-Cyr ou identique mais courbée sur une autre rue, la rue Waldeck Rousseau. Comment diable les deux sont reliées ? C'est ce que montre cette carte postale des éditions Guy expédiée en 1981. Il ne fait aucun doute que cette carte postale est une édition vendue sur place pour ses clients. D'ailleurs le correspondant nous le dit, il écrit depuis sa chambre en face du Palais des Congrès de Monsieur Guillaume Gillet. L'hôtel Méridien étant un hôtel d'affaires, la proximité avec ce Palais des Congrès est sa raison d'être. L'éditeur nous raconte aussi que l'hôtel Méridien possède donc 1023 chambres insonorisées et climatisées, avec télévision, radio, bar, téléphone. Il y a aussi deux restaurants et une galerie marchande, pas moins de 10 salles de réunion de 30 à 100 places...Ouf...Et Monsieur Coulon, l'architecte est bien nommé.
Que penser d'une telle architecture dont l'essentiel tiendra dans l'exploit de densifier au maximum le programme sur son îlot tout en permettant tout de même d'inventer quelques chances spatiales, quelques moments architecturaux pour que la lumière entre dans le bloc, pour que l'hôtel soit aussi un moment architectural intéressant ? N'oublions pas que ce type d'hôtel doit aussi se présenter comme un événement en soi où les services sont multiples et efficaces. René Coulon a donc décidé de faire deux barres sur l'alignement des rues, alignement sans doute obligatoire dans le règlement urbain puis de poser au centre une sorte de tour triangulaire trilobée venant réunir les deux barres, tour ouverte qui fera patio et qui viendra se déformer sur la courbe de la rue Waldeck Rousseau et du Boulevard Pereire. L'ensemble reste tenu par une grille de façade identique partout, indifférente aux événements spatiaux, donnant l'unité et peut-être un peu d'ennui ou d'austérité sérieuse affirmant le caractère de travail de cet hôtel. On n'est pas là pour rigoler ! Le blanc associé à ce brun chaud finissent de donner à cet hôtel ce charme suranné des grosses machines pompidoliennes auquel répond parfaitement Gillet et son Palais des Congrès ou le beau mur-rideau aux verres cuivrés de l'immeuble Maillot 2000 de J.C Daufresne, architecte et que l'on voit d'ailleurs aussi sur la carte postale.
Voilà un morceau de ville parfait pour les nostalgiques Vintage voulant passer à Paris une nuitée sentant bon Eau Sauvage et le cuir des Citroën DS Pallas.
Éric Lapierre dans son merveilleux guide nous indique que l'hôtel date de 1966 (ce qui me semble bien tôt) et évoque, pour sa façade une grande tenture tendue...Oui, c'est bien vu !
Nous retrouverons sans doute Monsieur René Coulon pour d'autres architectures. Il est d'ailleurs très présent en Normandie.
Dans un numéro de l'Architecture d'Aujourd'hui de 1972 (voilà) on trouve un tout petit encart nous montrant un dessin et une photographie d'une chambre. Le dessin nous permet de bien lire la forme générale de l'hôtel car il le dépouille en quelque sorte de sa gangue du Paris ancien. Un peu de clarté, ça fait du bien !