vendredi 30 juin 2023

Royan la résurrection

C'est fait !
Et c'est superbement fait !
Le Palais des Congrès de Royan est enfin restauré, reconstruit, réhabilité, sauvé, défendu, visitable. C'est assez rare en France ce genre de résurrection d'un bâtiment ayant échappé par miracle à l'autodestruction du Patrimoine par sa ville elle-même pendant des années. Casino, Poste, Portique, Front de mer et disparition de la Maison Prouvé volatilisée...
Le voilà donc revenu de l'enfer des transformations et des rajouts, le voilà retrouvant toute sa splendeur dans un luxe inouï des intentions. On ne peut qu'applaudir à cette somptueuse restauration. Ouf...
La surprise c'est la couleur et aussi bien entendu le vrai sens de son architecture admirablement lisible de nouveau. On avait oublié la transparence et le filtre entre les deux façades, on avait oublié la promenade architecturale et le déploiement des étages par la mise en scène des escaliers. À  ce titre, le Palais des Congrès de Royan est vraiment remarquable. La leçon de son exploration par les escaliers et les paliers (parfois dedans, parfois dehors) est vraiment unique dans son genre. Faites-en l'expérience, celle de son ascension, vous obligeant à entrer, sortir, entrer à nouveau comme si la bâtiment n'était qu'une succession de plateaux pour faire travailler l'œil et les pieds.
On est heureux de lire aussi les volumes s'encastrant, la manière dont le volume global fut creusé, enfoncé et déployé tout en étant tenu dans sa forme globale d'un parallélépipède. Courbes et angles se tapant tranquillement l'un dans l'autre. 
Je fus très ému en fait. Très ému de le revoir et j'oserai même dire de le voir pour la première fois. Bien entendu, mon œil cherchait les images de mes cartes postales et je fus étourdi par cette présence revenue. Mais aussi, et cela est assez amusant, dès le deuxième jour, l'évidence : j'avais l'impression de l'avoir toujours connu comme ça ! C'est bien entendu la culture des images qui me permet cette familiarité retrouvée. Étrange sentiment ! Parti le grand pan de verre qui a sans doute protégé le bâtiment, laissant passer l'orage du désamour, parti le bloc ajouté à l'arrière (je regretterai ses toilettes absolument superbes...)
Quel travail et quelle leçon pour tous les autres sites d'architectures modernes et contemporaines aujourd'hui menacés. La preuve que pour pas si cher que cela, on peut redonner du sens à ce type d'architecture et cela dans sa pureté et l'exceptionnalité admises une fois pour toutes, sans le maquillage de la requalification.
Remercions donc les municipalités successives de Royan et les architectes de cette résurrection pour leur travail admirable.

Pendant l'inauguration, il a été évoqué les prochains chantiers de Royan : Casino, Portique, Front de mer, galerie Botton. Les dates sont posées, les chantiers vont démarrer. le Casino sera bien reconstruit à l'identique et sera livré vers 2028, le Front de mer sera dégagé dès l'année prochaine, (la pelleteuse est déjà sur place) et le Portique sera aussi reconstruit à l'identique, les études des appuis sont en route. Pour la Galerie Botton les démarches sont en route également. Pas plus de précisions mais ça avance.
On est heureux de ce dynamisme non ?

Pour ceux qui voudraient connaître mieux l'histoire de l'architecture à Royan, bien entendu il ne faut pas oublier l'inauguration du très beau et utile Centre d'Interprétation de l'Architecture et du Patrimoine de Royan installé judicieusement dans le rez-de-mer du Palais des Congrès. Pas de doute que le dynamisme de sa direction va permettre à ce lieu de connaître tout le succès nécessaire à sa fonction. On est heureux qu'un tel lieu en collaboration avec le Musée de Royan permettra aux prochaines générations de comprendre l'importance de la plus belle ville du monde dans l'histoire de l'architecture. Hâte d'y venir voir de belles expos et pourquoi pas d'y venir avec mes étudiants...
Et une autre surprise nous attend...Surprise, je dis...
Pour fêter ça, je vous donne quelques photographies de ce jour d'inauguration. Vous retrouverez plein de belles cartes postales de ce Palais des Congrès ici :


Etc...etc...etc...

Rappelons le nom des architectes de ce Palais des Congrès : C. Ferret, P. Marmouget, J. Bruneau, A. Courtois.
Rappelons les noms de ceux en charge de sa restauration : 

























Royan gay, les pompiers en forme d'architecture

 Je fais faire coup sur coup deux articles sur Royan. Voyez-vous, j'en reviens.
Le premier sera un rien ironique et amusé (pour ne pas dire... envieux), l'autre sera plus sérieux et surtout aussi incroyablement ému.

Le premier :

Chaque fois que je vais à Royan, je me demande mais pourquoi donc plus aucune carte postale sérieuse des monuments de la Ville n'est éditée ? Pourquoi, alors même que la Ville fait un travail incroyable d'inventaire, de sauvegarde et qu'un tourisme d'architecture commence à poindre et que donc, logiquement, un marché est à prendre, pourquoi mais pourquoi aucun éditeur ne se décide à faire une belle série sur le Royan des années 50, exactement comme à l'époque ? On trouve bien quelques cartes au graphisme très Spirou-bande-dessinée qui se veulent un peu chics et un peu arty mais aucune carte ne revendique simplement le fait d'être une carte postale efficace de Notre-Dame, du Marché ou du Front de mer voir de quelques villas emblématiques. Alors, je le répète, pourquoi ?
Voilà qu'il arrive une surprise un peu étonnante...
Dans le fond d'un tabac-presse, je trouve sur un tourniquet de grandes cartes postales bien intrigantes à l'érotisme fabriqué sur le fantasme habituel du pompier.
Ces cartes postales ont le mérite de nous montrer une certaine interprétation de l'architecture et de la relation que l'on peut avoir avec elle, de comment on peut avoir l'architecture moderne et contemporaine dans la peau.
Reprenant de façon un rien outré le travail de Liu Bolin (on pourrait presque regretter cette proximité très serrée pour ne pas dire autre chose) les photographies nous montrent donc les pompiers de Royan torse nu posant devant des icônes de l'architecture de Royan : marché, villa Grille-Pain, Notre-Dame, etc...
S'imprégner ainsi d'une représentation de l'architecture me fait penser à certains de mes amis qui se font tatouer leurs architectures fétiches sur le corps devenant ainsi des guides vivants de leurs amours. Bien entendu, il ne fait aucun doute que les auteurs de ces clichés ont perçu à la fois la valeur patrimoniale des bâtiments mais aussi, inévitablement, le fantasme érotique associé aux corps des pompiers. La sensualité et l'archétype d'un corps musclé sert donc littéralement d'écran de projection à un érotisme architecturé. C'est assez étonnant...
On notera qu'en termes de relation au Patrimoine, j'ai rarement vu quelque chose d'aussi limpide quant à l'attente de cette projection sur un certain public ! 
Quand il faudra faire la Grande Histoire de la représentation de l'Architecture ou de sa relation à l'érotisme, nul doute que la série des pompiers de Royan figurera en tête de la recherche.
Les cartes postales sont vendues au profit des pompiers de Royan. Il faut donc ne pas hésiter à les acheter, les regarder, les envoyer à tous vos amis et amies ayant pour ce genre de palpitation un goût certain.
Les cartes sont bien maintenant dans ma collection...
On regrettera leur trop grand format et la qualité un peu pauvre de l'édition et du papier.

Les cartes postales sont signées de Yoshi Power Shot (?) comme photographe et de Vanessa la Mouche des Marquises comme maquilleuse et artiste Body Painter (sic!).









dimanche 25 juin 2023

Dominique Perrault et le syndrome Lucien Hervé

 Je me suis demandé combien d'entre vous se rappelleraient avoir lu un article sur la Bibliothèque François Mitterand dessinée par Dominique Perrault, article publié il y a... dix ans !
Même moi, je fus surpris de cette décennie passée comme ça, l'air de rien, sur un article et donc sur une architecture.
Une décennie ce n'est pas rien, pourtant, si je m'écoute, je n'ai pas le sentiment autant que ça que nous nous éloignons à grand pas de la naissance de cette très belle architecture. Cela démontre bien que c'est compliqué de faire histoire et que la proximité contemporaine que l'on a avec une construction est bien plus profonde qu'on le croit et maintient le bâtiment dans une proximité temporelle étrange comme si la naissance de ce bâtiment restait très proche, très familière.

Les trois cartes postales datent de 1998. Ce qui est bien loin des productions ici, sur ce blog, habituellement présentées. Mais on est déjà en 2023, cela fait donc 25 ans. Ces cartes postales ont déjà 25 ans, c'est fou.
Me dois-je ici faire une analyse de cette architecture ? Me dois-je de dire encore, dix ans après, que j'aime ce lieu, sa pensée, sa poésie ?
Qu'ajouterais-je donc à la masse des esprits critiques ayant exprimé leurs opinions sur ce bâtiment ? Pas grand chose sans doute.
On notera tout de même qu'en 1998, on faisait donc éditer des cartes postales de la Bibliothèque Nationale de France, site François Mitterand. Y en a-t-il encore des cartes postales de cette bibliothèque ? On notera que ces cartes postales sont toutes éditées par la Bibliothèque elle-même et qu'elles se refusent, ces cartes, de vraiment jouer le jeu de la carte postale puisque leur dos n'est pas divisé. Comme s'il fallait pour faire plus chic et moins populaire, graphiquement digne du lieu (et de son rôle) se refuser à imiter et jouer la carte postale traditionnelle...Tout de même, c'est la B.n.F ! On ne peut pas tomber aussi bas ! Déjà on vous propose une carte postale, ne vous plaignez pas...
On mettra de beaux bords blancs pour encadrer ces photographies de photographes. So chic.
On note aussi l'effort éditorial des photographes de ces cartes postales à faire des photographies qui ne soient pas des photographies de cartes postales. On fait d'abord une oeuvre, on propose un regard, on invente un sentiment sur le lieu en ne voulant pas tomber dans le cliché du cliché. Au risque de produire une photographie de photographe, de vouloir absolument faire une représentation distanciée comme si le regard des photographes sur l'oeuvre de Perrault était plus important que l'objet lui-même : on appellera ça le syndrome Lucien Hervé.
Peut-être que la photographie d'Alain Goustard montrant la salle de lecture est la plus objective même si, on sent que l'obturateur, laissé un peu trop longtemps ouvert, a permis de faire fuser les points blancs des luminaires et monter le fond du jardin. On invente une ambiance feutrée, délicate, tendue et même un peu mobile. On peut au moins admirer le design de la décoration intérieur très sobre, très classique, sans extravagance. L'objet c'est le livre et l'étude, pas le lieu.
Les photographies de l'extérieur sont de Marcus Robinson et sont prises de nuit. Ça fait beaucoup de bleu ! Un peu trop ? L'ambiance se veut étrange, entre chien et loup, un mystère du surgissement urbain, un mystère de la forêt bruissante en ville. C'est très beau.
On pourrait dire qu'on ne voit pas l'architecture. On pourrait bien reprocher cela au photographe. On dira que l'architecture de Dominique Perrault au travers des images de Marcus Robinson permet d'exprimer un sentiment d'étrangeté, que, peut-être, dans la construction de son vide intérieur, cela démontre la difficulté de faire de cette architecture hardie une image. Que c'est une expérience plus qu'un lieu. Sans doute.
La carte postale a souvent joué le rôle du retour possible sur l'objet. Elle propose souvent un registre d'une objectivité améliorée, plus idéalisée. Ici, il s'agit d'un travail de fiction, de narration s'appuyant sur une construction et une pensée architecturale. Je ne suis pas certain de comprendre qui y gagne et quelle valeur ajoutée est censée apporter ce genre de vision artistique.
Qu'importe ! Attendons encore dix ans et sans doute qu'alors j'aurai compris !








vendredi 23 juin 2023

Le Brutalisme de pacotille d'un tsunami breton



Dans le mouvement général voyant dans tout voile de béton courbé et mur aveuglé un brutalisme récemment réinventé, on peut dire que trainent des icônes maintenant admirées, comme si la Grande Motte et son retour d'affection avaient essaimé des miettes partout sur le territoire.
La Grande Motte est bien devenue le mètre-étalon du bétonnage bon chic bon genre dont le répertoire formel passe maintenant à la postérité sans toujours le génie de ce lieu. Il était temps et on s'en étonne même encore un peu.
Alors voilà, la série de vagues de Mazy de Pierre Doucet à la Baule, si elle n'est pas en passe de devenir à cause de la pauvreté architecturale de sa conception, une pièce essentielle de l'architecture moderne ou contemporaine, elle est bien en passe, par contre, de devenir une icône pour Instagram ou excités du bocal vintage. Oui, oulala, que c'est marrant et typique cette architecture ! Oui, oulala que c'est osé, curieux même un peu moche... Oui, oulala qu'est-ce qu'on aime ça contre le monde entier du bon goût d'un régionalisme bretonnant.
Comment résister en effet au dynamisme de l'ensemble, à la volonté bien plus sculpturale qu'architecturale de ce mur devant la mer ! Un peu comme Grandval et ses choux si iconiques et pourtant si pauvres, les vagues de Mazy de Pierre Doucet seront bien des codes visuels, des logotypes de la Baule, des machins graphiques pour faire passer la pilule des années Giscard, de la mort des années 70 trop riches, trop secouées, trop démentes.
Vas-y Coco ! Mets-moi du Plexiglas fumé sur les balcons, des grands cercles sur les façades aveugles pour les décorer ! Vas-y Coco, ripoline-moi tout ça en tons grège, en marron glacé, en beige sable ! Vas-y Coco, fais-moi un belle barre avec gel dans les mèches pour la coiffer ! Faut qu'on soit ébouriffés, on est au bord de mer, Bordel de merde !
Est-ce que l'hédonisme excuse tout ? Sans doute. Et, rassurez-vous, je les aime bien ces machins architecturés un rien surjoués. Pour ma part, je trouve que ça manque gravement de massivité, que les voiles sont trop fines, que les pointes sont comme des morceaux découpés dans du balsa. J'aimerais voir l'arrière de ces barres.
Ba voilà...Y a rien à dire... C'est moche.



On assiste donc bien à une image, pas à une architecture. Rien n'est ici réglé d'autre que la superposition d'appartements onéreux avec façade sur mer et avec un petit effort pour un style communicationnel et sans doute publicitaire.
"Habitez la vague !"
"Vue sur mer depuis votre balcon comme sur un navire"
"Ne regardez plus la mer, habitez-la !"
Des conneries comme ça, sans doute imprimées sur un catalogue de promoteur roulant en Cx Citroën intérieur cuir ou dans les pages pub du Figaro Madame.
Cette architecture sera donc sauvée par le biais de sa forme un peu rigolote, un peu originale, marquant son époque. Pourquoi pas d'ailleurs, ça compte aussi. Ce n'est pas pire que les délires tarabiscotés et hétéroclites du style balnéaire du début du XXème.
On verra comment l'écologisme, la montée des eaux, l'air marin permettront ou pas à ce type d'écriture de tenir le cap et de ne pas subir l'épaississement par l'extérieur... Ça risque d'être sauvage pour  le syndic des vagues de Mazy ce XXIème siècle...
Pour l'instant, rien n'a bougé.
La carte postale est une édition Yvon datée de 1979 mais de 1982 par l'expéditeur. On en remarque les couleurs saturées, l'importance du bleu, les points rouges des autos.
C'est beau.
Mais qu'est devenue la petite sculpture d'entrée visible bien à gauche sur la carte postale ?


jeudi 22 juin 2023

deux écritures des Écritures

 Ce qu'il y a de bien avec les cartes postales mal rangées, trouvées au hasard, c'est qu'elles proposent au fil des rencontres des collages, des comparaisons, des visions différentes.
C'est comme cela que ce matin, je vois surgir deux églises, deux Notre-Dame qui n'ont rien à voir en termes d'écriture architecturale mais qui sont peu ou prou de la même période.
Notre-Dame-de-Grâce de Guernouët par l'architecte Ganachaud nous propose finalement une image d''église bien traditionnelle, reconnaissable où la volumétrie au moins ne propose rien de bien extraordinaire, on dirait même qu'il y a là un effort pour ne pas heurter et bien maintenir l'idée générale de ce que ce doit être une église. Un fronton, un transept, un clocher coiffé d'une sorte de lanterne ouvragé qui servira de signal, de dignité. Ici, évidemment, l'époque oblige un peu à une simplicité qui s'appuiera sur un Art Déco finissant. On réduit les formes, on les simplifie au maximum (degrés économiques ?) pour fabriquer une silhouette moderne, adoucie, tranquille, si on veut, épurée...
Aucun désir d'extravagance, bien au contraire mais une forme d'honnêteté  à l'époque, celle juste après la guerre, qui ne saura pas quoi faire justement de ce style hésitant entre Art déco, modernité et régionalisme franc. L'écriture est belle certes. C'est bien fait certes. C'est équilibré certes. Mais bon... On reste un peu perdu devant ce genre de machine trop proprette peut-être pour moi. La carte postale est une édition Combier qui oublie tout simplement de la situer ! La carte est datée de 1964 mais l'église Notre-Dame-de-Grâce fut construite en 1952.
L'autre église c'est Notre-Dame des Ailes à Luxeuil-les-Bains. La carte postale des éditions Combier nomme bien tous les protagonistes : J.P et J Chauliat, les frères architectes avec F. Davy, Et R. Treille. Le vitrail serait de Mlle Boutier. Voilà qui est dit.
Ici, ah que c'est moderne !
C'est presque une typologie de l'église moderne de l'époque (1956-57). On préfère projeter le clocher pour en faire un campanile tellement fin qu'on dirait une aiguille (mais où sont les cloches ?), on éparpille les volumes, on fabrique un dais en voile de béton, on propose un épiderme lisse et blanc fendu d'ouvertures abstraites.
Faut-il forcément céder à cette Modernité affichée et déclarative ?
C'est bien fait, bien équilibré même si je trouve que la pente du toit est un peu affectée ou que le petit volume de droite ressemble un rien à un préfabriqué scolaire. On le dirait ajouté, collé.
L'échelle est aussi moindre que l'église de Guernouët. Petite folie, cette Notre-Dame est l'occasion de s'amuser à être moderne.
Comme un bonheur ne vient jamais seul et que je suis tout de même assez organisé dans ma mémoire, je retrouve, un peu perdue, une autre carte postale de Notre-Dame des Ailes dans mon classeur Vatican 2. La carte postale des éditions de l'Europe ne nomme pas les architectes mais propose un autre point de vue très spectaculaire de ce beau morceau architectural.
La croix touche le bord de la carte postale, juste à temps dans le cadre... Ouf ! On est sauvés.
Pour les plus curieux d'entre vous, ceux qui aiment les liens entre les lieux, je me permets de vous rappeler que le nom de Chauliat architecte est aussi accroché à cet autre programme bien différent et bien bousculé en son temps !

et voilà les images :




mercredi 7 juin 2023

Revue Profane, sur la bouche

 Je reçois un joli petit cadeau de Éric Monin : le dernier hors-série de la revue Profane. 
Ce dernier numéro est tout à l'image d'une certaine conception du regard (oui...) sur l'architecture et l'urbanisme puisqu'il se consacre entièrement à un élément bien trop souvent méprisé et oublié. En effet, qui parmi nous parcourt la ville en observant les plaques d'égouts et plus généralement, toutes les plaques de fontes posées sur le sol, promesse d'un monde sombre et souterrain que nous sommes nombreux à méconnaitre ? Ces portes de l'enfer urbain, dernier portail nous protégeant des eaux usées, des fantasmes de crocodiles dans les tuyaux ou de maladies affreuses, restent toujours le dernier signe d'une civilisation que nous connaissons avant un Monde enfoui qui lui, de Dante à Jules Verne, est l'objet de tous les mystères.
Mais les étudiants en architecture de l'ENSAPL de Lille ont bien de la chance d'avoir des professeurs et professeuses qui leur demandent de s'agenouiller dans la ville pour mieux la connaitre. Comme dans Indiana Jones, le pénitent doit s'agenouiller pour passer l'épreuve de l'enseignement ! Et on imagine bien la tête de ces étudiants et étudiantes devant ainsi sur le bitume se pencher pour réaliser des frottages et des relevés de ce matériel très prosaïque qui offre à la fois un rempart contre la crasse et des figures abstraites cinétiques, des signes qui ne sont pas pourtant des oeuvres d'un Vasarely pour les pieds. 
Car, ce que raconte ce numéro de la revue Profane c'est que tous les éléments de la ville, des plus modestes au plus exigeants forment bien, comme des indices, la matière de la ville et comment elle est constituée. On sait comment les réseaux forment et sont formés dans un jeu de ping-pong entre les cheminements et les constructions. On sait qu'il y a des monuments cachés sous nos pieds quand nous circulons dans la ville, on sait comment la fiction ( de Jean Valjean à les Gaspards de Pierre Tchernia), les légendes urbaines ont exploité cette méconnaissance de ce monde.  On sait aussi que l'architecture nous fait plus souvent lever la tête que regarder nos pieds. Le magnifique Sols de l'architecte André Bruyère pour Venise fut à ce titre une révélation pour tout le monde. Alors, il est bien normal de s'intéresser à cet élément urbain qui est à la fois modeste (car édité et répété) et solide (car la fonte porte bien une histoire industrieuse). On peut donc vouloir lui rendre hommage par une revue.
Dans ce numéro, on retrouve des plumes que nous croisons souvent sur ce blog et qui sont des amis d'histoires au moins, amis et amies dont j'use le travail dès que possible pour mon blog : Éric Monin, Richard Klein, Caroline Bauer !
Mais je me permets de dire que j'ai tout particulièrement goûté dans ce numéro le très bel article de Denis Delbaere. Je vous laisse le découvrir.
Dans l'article de Richard Klein mettant en avant un Loos qui, d'après un caricaturiste, aurait admiré une plaque d'égout pour construire son architecture, j'y vois les auteurs des Simpsons caricaturant Frank Gehry s'extasiant sur un mouchoir en papier froissé jeté sur le trottoir et qui y projette son futur Opéra. Et comme graveur que je suis, bien entendu que les plaques d'égout ont toujours été des matrices et une tentation que d'ailleurs on explique ici :
Pour ma part, celui qui a le mieux expliqué ce monde du dessous reste le génial Macaulay dont nous avions parlé ici :

Je vous conseille donc vivement de vous procurer ce numéro de la revue Profane qui, en plus, est un bien bel objet graphique. On entend les crayons qui frottent les plaques.
Merci encore à Éric Monin pour son envoi et ce moment de plaisir.
David Liaudet

Pour trouver et acheter cette revue : 
Profane, hors-série N°2, Sur la bouche.
passez commande ici :