lundi 13 mars 2023

à vous de voir.

 On utilisera deux cartes postales de l'un des plus beaux exemples de recherches architecturales et urbaines en France, l'un des exemples les plus menacés donc (cela va de soit en France aujourd'hui).
On va essayer de comprendre comment et pourquoi le photographe de cartes postales multiplie ainsi des points de vues aussi peu différents et du sens que cela peu avoir, si, par hasard, il y a du sens.
Car, on le sait bien maintenant sur ce blog, la question de la représentation de ce type d'architecture est toujours vue aujourd'hui sous l'ordre de la méfiance socio-politique et anthropologique des images, images perçues comme douteuses, complices d'un ordre politique voire même responsables des errements supposés de la production du logement collectif en France dans cette période.
On voit même des historiennes du logement social continuer de soulever des détails comme des indices de ce qui aurait été cette erreur en lieu et place de lire les images pour ce qu'elles sont, tranquillement, prises pour des cartes postales, certes dans un genre mais bien loin de vouloir porter une volonté politique qui n'est souvent pour elles qu'un sens commercial.
Il s'agit d'abord de bonne volonté et d'esthétique (une certaine idée du Beau déterminé par l'histoire du paysage en peinture), de reconnaissance des lieux pour l'acheteur, une projection possible parfois oui légèrement assumée comme flatteuse sans que personne vraiment ne se fasse avoir avec ce petit arrangement avec le réel : une politesse en fait, un peu comme on fait le ménage à fond pour la visite de la famille au repas du dimanche.
Nous serons donc à Bagnols-sur-Cèze ( Marcoule) devant la Cité H.L.M des Escaneaux, véritable (et je pèse mes mots) chef-d'œuvre de ce type et de ce que ce type justement aurait pu être comme modèle. Je ne ferai pas ici l'historien, (c'est un métier) et je préfère vous laisser lire le très bon article du Moniteur ici. Je ne le paraphraserai pas non plus, rien ne sert ici de faire semblant, la recherche en histoire de l'Architecture et de sa représentation a assez de paraphraseurs et paraphraseuses dans les revues et sur les sites pour que nous passions vite sur cette question. Mais la place historique de cette Cité des Escaneaux tient bien aussi en partie à la manière dont elle fut diffusée par l'image, représentée et même conçue comme productrice d'images et c'est cela qu'il faudrait étudier plus en profondeur : c'est là que la carte postale trop longtemps négligée comme mode de représentation par les historiens du logement social doit reprendre maintenant sa place.
Nous travaillerons donc avec deux cartes postales du même éditeur, de la même période, peut-être même du même jour (sans aucun doute d'ailleurs), cela coupera de fait tout désir d'éteindre la confusion d'un regard concurrentiel au profit de la recherche de l'image parfaite :


C'est donc un photographe resté anonyme travaillant pour Combier éditeur qui a produit ces deux clichés. On pourrait aussi assez facilement se poser la question d'une présence potentielle de deux photographes sur le même point de vue, le même jour mais cela semble bien au vu des témoignages de photographes un rien peu usité. Non, il s'agit bien d'une recherche du meilleur cadrage par un photographe venant ici pour offrir le point de vue le plus représentatif de ce qu'il perçoit. On jouera, comme dans Télé 7 jours, quand ce magazine était encore un magazine culturel avant de devenir un magazine People et que, nous pouvions jouer avec les chefs-d'oeuvre de la peinture au jeu des 7 erreurs.
D'abord, au vu des détails, on est certain que les deux photographies furent prises le même jour certainement à quelques minutes d'écart. Les automobiles disparaissent (ou apparaissent ) : une 2cv, une Peugeot 403 break, une VW Coccinelle, un camion-benne. Ce camion signe d'ailleurs un fait : la Cité des Escaneaux est encore en chantier, la grue au loin (et qui ne bouge pas) prouve bien cela. On peut d'ailleurs penser que ce point de vue permet au photographe de faire un cliché en camouflant par les immeubles et barres déjà construits le reste de la Cité en chantier. On le sait, les photographes de cartes postales n'aiment pas beaucoup l'état du chantier mais veulent en même temps être les premiers à proposer des cartes ce qui les oblige donc à trouver des points de vue laissant penser que l'objet est fini. L'autre indice temporel et de l'instantanéité des deux prises de vue c'est que les balcons et les fenêtres sont bien animés de la même manière : rideaux tirés ou non, linges, ouvertures ou non. La lumière assez égale est bien pratique pour faire un cliché neutre que la mode aujourd'hui des Atlas en tout genre dirait objectif....
Ici, il s'agit surtout de servir une certaine neutralité et de laisser voir d'abord l'architecture contre toute tentation romantique d'un soleil ombrageux faisant le spectacle avant l’Architecture. Et comme on est en noir et blanc, il faut servir d'abord la composition et le rythme graphique pour une lecture précise des façades. Ce qui apparait aujourd'hui comme un vrai choix éditorial et que le photographe semble bien vouloir enfoncer comme désir d'image c'est l'importance accordée à la prairie qui prend un gros tiers du premier plan. On note que le photographe est très bas sur le sol, les herbes apparaissent même floues sur le premier plan. Pas de doute, le photographe sait bien qu'il créera avec ce premier plan un plan flou au profit d'une profondeur de champ (sans jeu de mot) au service des bâtiments. Mais... en descendant ainsi, il utilise aussi la montée des bâtiments pour camoufler au mieux la grue à l'arrière plan ! Voilà en partie la raison de ce point de vue rasant les herbes folles. Certains y verront un peu vite l'idée de faire croire que le photographe jouerait à nous faire penser la présence de la nature autour de la Cité. Certes cela est possible, inscrire ainsi le surgissement de la Modernité, ex nihilo, dans un décor encore champêtre il y a peu, est bien un point de vue possible mais il permet aussi de composer une image assez claire, découpée en trois tranches : ciel, construction, premier plan. Cela compose une forme d'image ici très horizontale alors même que la Cité des Escaneaux aurait pu réclamer des vues laissant le surgissement des verticales des bâtiments prendre le dessus. Il s'agit donc bien d'un choix, allonger sur l'horizontalité de l'image les barres pour, simplement en faire tenir le plus possible dans la même image afin que chaque habitant ait la chance de retrouver par une croix au stylo-bille la fenêtre de son logement. Il s'agit là d'un choix d'optimisation du point de vue à des fins commerciales. Les deux clichés montrent donc ce travail du photographe cherchant cette rentabilité de l'image face au collectif des logements. 
C'est sans doute pour cela que le photographe fait ce déplacement vers l'avant puis vers la droite pour caler la tour dans l'espace vide des barres. Cela nous permet bien entendu de faire avec lui et avec les architectes la promenade cinétique du mouvement des bâtiments entre les vides de la composition architecturale allant de l'apparition et de la disparition des constructions selon la position du regardeur. C'est bien là un hommage à la réalité des qualités de la Perspective jouant des volumes, de leur fuite et des effets de zoom. C'est, en ce sens un travail de composition et non un leurre politique ou une dénonciation de l'urbanisme ou de la rigidité pseudo-autoritaire de la Perspective. Le photographe travaille avec et j'ai même envie de dire pour la Perspective. Il est avec elle, jouant habilement des creux et des pleins, de la lumière plate comme sur une gravure de Hans Vredeman de Vries.
Mais ce mouvement vers l'avant et vers la droite ferme l'image et fait oublier la tour qui était présente sur la première carte postale. La voilà l'hésitation de ce double cadrage : soit maintenir cette tour à droite, soit faire venir celle du centre ! Il faut que chacun puisse acheter sa tour et son logement ! Il faut donc bien produire deux clichés qui pourraient pour nous sembler presque identiques mais qui permettent bien à l'habitant de trouver dans le lot de cartes postales disponibles celle sur laquelle figure son logement !
Évidemment, ce que l'on peut conclure c'est que le regard des photographes sur les architectures modernes et contemporaines doit toujours être analysé seulement quand on est certain de posséder tous les clichés édités qui seuls peuvent permettre de voir et comprendre ses choix éditoriaux. La lecture des négatifs pourraient aussi ajouter à ce choix et comprendre enfin ce qui fait qu'un éditeur fera une série sur un lieu ou une image unique devant porter tout l'ensemble urbain au risque d'exclure certains habitants de la chance de leur projection dans l'image. Et surtout, il faudrait pouvoir entendre la discussion intérieure du photographe sur les lieux, tentant de tout tenir en même temps : une représentation idéalisée permettant de faire comprendre un lieu et le désir exhaustif et plus large de tout montrer. Le problème du cadre étant bien évidemment qu'il sélectionne. Il ne faudrait pas confondre la connaissance de cette sélection avec une censure ou une coupure autoritaire. En fait, le photographe de cartes postales, pris dans des enjeux éditoriaux (il est souvent indépendant des éditeurs) se doit de trouver le point de vue qui fera que sa rentabilité rencontrera sa justesse de réduction. Certes cela peut apparaitre comme une césure mais il n'y a là rien de violent. Bien au contraire, c'est une chance de représenter, c'est à dire de présenter à nouveau, une nouvelle fois, un ensemble de signes qui formera l'image si ce n'est idéale au moins représentative d'un objet architectural et urbain.
C'est un travail, une compétence avant d'être une idée du lieu. Il s'agit de servir les lieux, les images et donc les gens.

Pour finir : quelles seront les images dans le futur de cette expérience exceptionnelle ? Que restera-t-il à photographier et diffuser d'un ensemble architectural totalement abandonné aux errements incultes des politiques locales sur ce Patrimoine ?
Des images habituelles de destruction ? De réhabilitations en 3D avec des arbres en infographie, le ciel bleu et des piétons de pacotille venant de banques d'images imprimés sur des bâches ?
Des photographies au ciel blanchi produites par des artistes contemporains en safari sans sens de l'histoire se gobergeant de la ruine des idéaux, photos imprimées du Dibond pour centre d'art en recherche d'hétérotopie officielle et inclusive ?
À vous de VOIR ce merveilleux travail de Candilis, Josic et Woods.

Pour revoir certains articles sur Candilis et Bagnols-sur-Cèze :

Etc... Bon courage...


1 commentaire:

  1. Sur un plan d'urbanisme de Charles DELFANTE entre 1953 et 1959, et de Raymond Coquerel (urbaniste de l'Etat) et à la clef un premier Grand Prix d'urbanisme pour ces urbanistes et pour l'équipe de Candilis...trop de commentaires oublient les urbanistes...

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