mardi 31 décembre 2019

On est chez nous (et en même temps)



On est chez nous.
C'est une belle phrase.
Sur une carte postale peu précise, offrant un panorama urbain tumultueux, voilà que le correspondant inscrit précisément son habitation à Vanves.
Heureux de retrouver son domicile, il écrit que le voyage s'est bien passé et que le retour doit toujours se faire vers ce chez soi ici bien défini, cerné, reconnu dans la nappe urbaine.
C'est savoir se replacer dans le monde et même l'affirmer par deux mots indiquant, si ce n'est une propriété, au moins une identité.
Rien de grave, non, seulement ce joyeux plaisir de placer son espace intime dans le chaos de la ville.
On devine que le photographe des éditions Raymon n'a pas choisi ce cadre pour rien. Il y a au fond, tout au fond de l'image, un élément qui permet d'emblée de situer ce chez nous, c'est la Tour Eiffel. Quand bien même, elle serait petite, loin et un rien floue, elle domine le petit immeuble d'habitation que le correspondant désigne. À elle seule, elle dit le pays, la région et donc la ville. Je tente de retrouver la hauteur depuis laquelle le photographe a fait son cliché et le toit en bas à gauche m'y aide. Mais comment rentrait-il dans les immeubles et comment en connaissait-il le potentiel panorama ? Travaillait-il, lui aussi, avec des cartes ? L'éditeur précise d'ailleurs que c'est bien une vue générale avec Paris à l'horizon et que croyez-vous qui puisse dire ce Paris si ce n'est cette Tour Eiffel ?
Chez nous.
On est chez nous.





















Et le petit immeuble de briques bien typé de la banlieue parisienne, un rien Art Déco, assez beau dans son écriture architecturale se veut tout de même moderne. Devant ce tapis dense d'une banlieue encore verte faite d'une imbrication de constructions, seule l'histoire des parcelles bien étudiée pourrait nous révéler le secret de son organisation. Encore des jardins, on devine même des murs de pierres avec des arbres en palmette. Seule la somptueuse école de Vanves me permettra de reconnaître le lieu et de retrouver ce chez nous qui existe encore.













J'imagine toujours avec beaucoup de plaisir le moment délicat de la reconnaissance de son espace. Le correspondant devant le tourniquet de cartes postales, au café-bar-tabac du coin cherche une carte à envoyer. Surpris, il trouve cette vue où immédiatement son index pointe son domicile. Ce moment est le plus précieux de la carte postale. Toujours.
Je le redis c'est d'abord ce plaisir que j'ai collectionné, aimant trouver sur les cartes postales les signes des correspondants signalant graphiquement leur lieu et sa reconnaissance.
En même temps, ce chez nous est celui de tout le monde : celui de bien d'autres habitants. Sur cette carte postale Yvon, combien d'habitants auraient pu dans le même moment ainsi se retrouver, ainsi se signaler ? Oui, des milliers, des milliers.
Et ceux qui ne sont pas ici chez eux doivent ainsi pouvoir imaginer la vie dans cet espace précis, en tout cas reconnu comme tel par celui qui envoie. C'est ici et ce n'est pas ailleurs.
On est chez nous, là, maintenant, dans l'image que l'autre doit prendre pour une réalité soudaine presque brutale et qui conclura de manière définitive toutes les extrapolations imaginaires de ce que cela aurait pu être d'autre.
Oui, c'est cela qui est à la fois beau et violent. La photographie conclut l'imaginaire.
Il faudra donc à celui qui viendra un jour, à son tour, s'y reconnaître ou du moins y reconnaître l'image.
C'est d'ailleurs exactement ce que je fais en errant, en dérivant comme aurait dit ce planqué de Guy Debord sur Google Map, à la recherche désespérée de ce chez nous. J'ai aussi envie d'y être et de m'y reconnaître.
Je ne sais pas d'où me vient cette pulsion de voir et retrouver ainsi un lieu pointé.
De mon goût pour les cartes chez Jules Verne, cartes toujours marquées d'une croix et dont le paysage autour est toujours lui réduit à quelques rares éléments dessinés : un buisson, un sommet de colline, une rivière. Pourquoi pas la Tour Eiffel ?
Aujourd'hui il est impossible d'écrire on est chez nous.
On veut nous l'interdire.
Impossible aussi de le clamer sans laisser croire que nous voudrions ainsi que les autres soient chez eux et donc pas chez nous.
Pourtant, on est chez nous ne devrait pas exclure mais inviter. Inviter à venir voir, à se perdre librement, à rater un bus, une correspondance de métro, de tourner à gauche à la boulangerie au lieu d'à droite, bref, tout en cherchant chez l'autre, là où il habite, de croire en la liberté de se perdre et même à cet agacement de se perdre.
Puis reconnaître un détail, de relire l'adresse sur le petit papier griffonné au matin avec le code de l'immeuble, d'entendre la dame avec son chien vous dire que non elle ne sait pas où c'est.
Enfin arriver chez nous, vous serez chez vous.
On est chez nous.
C'est aussi une manière de dire que l'on ne bouge plus, qu'enfin le déplacement prend fin. Le point central de la boussole.
Alors, vous, venez.
Venez.
Bonne Année 2020.

Et n'oubliez pas :
https://www.lepotcommun.fr/pot/solidarite-financiere


J'ai comme l'impression que cet immeuble Canton de Vanves aurait subi un bien mauvais épaississement par l'extérieur...?





















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