lundi 30 mai 2016

Cette joie porte le nom d'Architecture

Parfois, je suis perdu dans mes allers-retours entre la photographie plasticienne et la photographie de cartes postales, ne sachant plus au fond, laquelle des deux me donne l'idée d'aller revoir l'autre.
En voici un exemple parfait :



Le lieu : Auderghem en Belgique.
L'objet : Résidence Europa II
L'architecte : Josse Franssen
Le photographe de la carte postale : R. Bauters.
À l'évidence la carte postale est à l'origine une photographie en noir et blanc colorisée. Il doit donc exister une version uniquement noir et blanc de cette carte postale. Mais ce qui nous intéresse ici, c'est le choix du point de vue du photographe R. Bauters. Si j'en crois mes connaissances, (Claude Lothier et Sylvain Bonniol confirmeront ou pas) pour réaliser un tel cliché il faut être en face à une hauteur équivalent à peu près à la moitié de l'immeuble photographié. On est, en quelque sorte en regard.

 

On pourra interroger ce désir de frontalité qui plaque littéralement la façade au fond de l'image comme une chose plate et continue, une grille sans profondeur car sans fuyantes visibles et affirmées, mises à part les très minuscules diagonales de l'auvent sur le toit terrasse, très beau d'ailleurs.
Il va de soi que ce  désir d'image est celui d'un désir de saisissement total et complet de l'immeuble et de son architecture, d'en donner la chance à chacune des fenêtres et donc des appartements de se situer sur la carte postale. Il s'agit aussi de raconter l'architecture, donc dire sa planéité parfaite, implacable, solide comme un écran et aussi comme une superposition de vues à prendre depuis le dedans de la barre. Certes la colorisation affecte un peu l'ensemble, en rompt un rien la dureté. On remarque comment les coloristes ont choisi de laisser en noir et blanc les bandes verticales des balcons... Pour tenter l'imitation d'une colorisation affirmée par l'architecte ou pour en atténuer la dureté ? Les vues contemporaines ne nous permettent pas d'y répondre. Par contre il est assez aisé de retrouver à peu près dans quel immeuble le photographe a pu s'installer pour faire son cliché.
Il est toujours intéressant de se rendre sur les lieux, de voir l'épaisseur, de comprendre la symétrie des deux façades principales car si la photographie de la carte postale discute d'une grille moderne, nous rappelle que l'architecte belge Josse Franssen fut un chantre des C.I.A.M et d'un modernisme parfaitement usité, il ne faut pas confondre trop vite l'image et la réalité de la construction.
Par contre, avec la frontalité de Andreas Gursky, celle de la barre de Dubuisson à Paris, celle qui vient résonner dans mon imaginaire et se confronter à une image populaire, je crois bien que le photographe cette fois, fait de la grille la totalité de l'architecture de Dubuisson. Cette réduction essentialiste, ce suc de l'architecture dénote une appropriation historique de la référence à De Stijl faite à la fois par Dubuisson et Gursky, comme si, l'un et l'autre, parfaitement heureux qu'une façade puisse ainsi aussi durement, aussi frontalement n'évoquer que cette réduction. Toute l'architecture, tout le plan, tout serait alors tenu à l'intérieur, invisible, imperturbable. Il pourrait bien y avoir chez Gursky regardant Dubuisson un regard volontairement dégagé des questions de l'Architecture pour n'en percevoir finalement que le piège visible de sa grille. L'orthogonalité bien régulière, heureuse d'elle-même, serait la complicité aimante (aimantée ?) d'un photographe et d'un architecte. Qui attrape l'autre ? Là où le photographe Bauters prend en une seule fois, sans montage, par le seul recul l'architecture au piège de son cadre, pour l'avoir totalement, Gursky fabrique, distille à grand coup de montage, une image. Mais l'un comme l'autre, le photographe de carte postale comme celui des galeries ne font que dire en quelque sorte que l'œil est parfois trop petit et que seules, distance et mesures, permettent d'en tenir les qualités. Ils n'y sont pour rien. Franssen et Dubuisson savent eux, qu'il y a dans les barres plus grandes que les fonds d'œil une joie indicible que la perspective bien comprise ne dénonce pas mais sert, ouvre, et surtout reconnaît. Cette joie porte alors le nom d'Architecture.

 

 

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