La carte postale, dans son âge d'or, fut à la fois un objet de correspondance, de messages, d'images mais aussi d'événements. On peut parler sans crainte d'un média. Il y a une telle quantité de cartes postales éditées que tout semble possiblement imprimé, du plus connu des monuments à l'objet le plus fruste en passant donc par, non plus des lieux, mais des événements.
Quoi de plus événementiel que la pose d'une première pierre pour une église dans une époque à la fois moderne et encore bien inscrite dans une religiosité prégnante. Tout l'événement bourgeois y est condensé : présence de personnalités, religion, construction nouvelle, sens du temps et même du temporel, instantanéité radicale (on édite alors très vite entre l'événement et l'image).
Revoyez cet exemple :
Alors pourquoi donc la pose de la première pierre de l'église du Raincy par les Frères Perret y aurait échappé ?
Eh bien non... régalons-nous !
Pour une fois donc j'aborderai un chef-d'oeuvre de l'architecture par son avenir et non sa présence car, de fait, on ne voit rien... puisque tout est à devenir. Au mieux, les plus courageux étudieront la parcelle pour comprendre comment l'église y fut projetée mais sinon quoi dire d'autre que nous sommes dans l'attente du surgissement de l'édifice. Comment alors la foule des curieux et des invités se faisait-elle une projection mentale de ce que serait ce lieu, cette église ? Avaient-ils vu les dessins et la maquette ? Et où ? Avait-elle conscience, cette foule, de l'importance et de l'originalité des Perret les architectes ? Cette foule est-elle aussi venue pour ça, pour voir la tête de ceux dont l'audace architecturale serait bientôt visible ? Quelle part de curiosité, de nécessité, d'émotion, et aussi de vraie sens de la foi furent les moteurs de leur curiosité à ce moment ?
Qui sont donc toutes ces personnes ? J'essaie d'entrer dans cette foule avec mon compte-fil mais on n'y voit rien de particulièrement signifiant. On y reconnaît la silhouette du prêtre, on s'amuse des gens qui regardent par dessus le mur mais, bien entendu, difficile d'y reconnaître les architectes. Tout le monde est chapeauté et tout le monde piétine un sol retourné. Mais déjà un détail m'étonne et me surprend, détail que je crois reconnaître : une pièce en bois sur lequel des bottines enfoncent leur talon sans vergogne.
On dirait bien un coffrage.
En effet, il ressemble bien à celui des courbes du plafond mais pourquoi serait-il déjà construit alors-même qu'aucun des murs n'est monté ? C'est étrange. On note aussi que la foule évite au centre de l'image un espace et se place tout autour. Pourquoi donc ? Y-a-t-il là un trou ? Et surtout, depuis quelle hauteur est juché notre photographe ? Un échafaudage ? On ne sait, il faudrait un autre point de vue.
Je reste toujours amusé que quelques jours à peine après cette pose de la première pierre, les personnes photographiées ont pu trouver cette carte postale, s'y reconnaître sans doute, avoir plaisir donc de dire à quelqu'un au loin : "j'y étais."
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