Il est vrai que je vous montre trop peu souvent des architectures de Pingusson. Les plus anciens et fidèles lecteurs se rappelleront peut-être d'un article publié en...2008 mazette !
Pourtant souvent son nom est donné par les architectes comme modèle, comme maître. En tout cas, je me souviens bien de Claude Parent l'évoquant lors d'une conversation et ce n'était pas la première fois que je voyais un architecte si heureux de le nommer.
Sans doute que son sens à la fois de la spatialité mais aussi de sa projection en image n'y est pas pour rien, l'esthétique ici étant comme une conséquence de l'intelligence, une poussée, un épiderme.
Dans les grandes machines impressionnantes de l'architecte, il y a bien entendu l'Hôtel Latitude 43, véritable icône de la période, monstre implacable dont je ne sais pas pourquoi, au moment du tri de ces cartes postales, je me suis mis à imaginer que la magnifique Chambre d'Amour d'Anglet pourrait en être aussi l'héritière : une masse fendue de fentes horizontales à peine bousculée par une verticale. On note aussi la similitude de la ligne générale brisée. Bien entendu, l'influence maritime, celle des paquebots et de leur rationalité n'est pas très loin non plus.
Le langage populaire a vite fait de nommer paquebot les immeubles s'étirant à l'infini de leurs lignes.
Mais avouez qu'en voyant ça :
Cette magnifique carte postale, d'une abstraction totale, se refusant à toute reconnaissance du programme ou même d'implantation est assez caractéristique, finalement, de la leçon de Pingusson. On sent bien qu'il faut faire propre, radical, enveloppant aussi. C'est peu dire que l'effet de masse ici prend le dessus sur la transparence, les ouvertures repoussées formant bien plus des ombres que des passages. Bien entendu, il en va là encore de la responsabilité du photographe de voir dans cet Hôtel Latitude 43 ce genre de perte de contrôle. Il joue. On n'aura jamais fini de parler des responsabilités ni du jeu de ping-pong entre le travail de l'architecte et celui du photographe et on pourra toujours se poser, devant ce genre d'image, la question suivante : mais qui a construit ça ? Le photographe ou l'architecte ?
L'architecte bien entendu...
On notera que le photographe reste anonyme et que peut-être il est confondu avec l'imprimeur puisque au verso de cette image spectaculaire (et qui se veut comme telle) ne figure que l'origine de l'hélio : J. Le Martigny à La Seyne-sur-Mer.
Mais, même si cela est efficace dans le registre de l'esthétique poussant presque le bâtiment à un logotype, on peut se demander si cela nous aide vraiment à voir l'architecture et ses qualités. Non. Il s'agit bien là d'un travail de complicité entre le photographe croyant avoir compris la leçon de l'architecte et celui qui regarde, se disant que cette réduction est aussi assez parlante pour comprendre que l'on a autant affaire à une œuvre qu'à un objet : en quelque sorte, une pareille réduction graphique ça signifie.
Car les collègues de ce photographe n'ont pas tous pris ce pli du refus du programme :
Le voilà donc de loin notre Latitude 43. Les éditions Condoyer ont opté pour un recul bien prononcé pour que la masse rentre dans le cadre. Et encore... pas complètement. Mais vous me direz que plus l'objet est grand plus le recul pour le cerner doit l'être aussi ; étrange mouvement qui, pour montrer mieux, réclame qu'on s'en éloigne au risque qu'il disparaisse dans son paysage, déjà mangé par les arbres, le blanc du ciel et les autres constructions. Comment faire ? On aura au moins une idée de la masse et donc aussi de l'ambition du projet. C'est là, à ce moment de la vue, à ce moment du texte que le badaud s'exbaudit : "mais c'est un paquebot !"
Nous prendrons la voiture de sport décapotable, une anglaise, nous monterons le chemin et nous arriverons ici :
Et immédiatement, tout comme moi, vous maudirez les arbres de nous empêcher ainsi de voir l'architecture... Mais qu'on les coupe Bon Dieu !
J'aimerais être écrasé par la blancheur de cette Latitude 43, j'aimerais être écrasé par sa géométrie et non flouté par les ombres trop sombres des arbres maigrelets. J'entends d'ici ceux qui chanteront le surgissement soudain dans la clairière du monstre et que, à trop voir trop vite, on perd la leçon de paysage de Poussin. Oui, oui.
Mais que voulez-vous je m'intéresse à l'architecture, c'est à dire au bâti. La nature arrangée à son pied, si elle participe à sa mise en scène ne me convient guère surtout depuis une image. Sur place, je ne dis pas. Faudrait voir. Faudrait voir. On voit tout de même qu'il y a là, dans ce détail, peu de choses à raconter, je veux dire que les choses prennent leur place dans la rigueur de la modernité. Formes simples se joignant, redents, balcons, cubes, points, lignes et plans. On dira ici : pureté.
Cette carte postale Lecompte possède deux trous de punaises. Oh ne croyez pas que cela me gêne ! Non au contraire ! J'aime l'idée qu'elle fut punaisée sur un mur, dans l'intérieur d'un placard. C'est la preuve qu'il y avait nécessité de la regarder encore et encore et encore. De l'avoir, comme on dit, sous les yeux. C'est bien la preuve que Latitude 43 était une leçon, un souvenir, une étape, un attrape-coeur.
Qui sait, un amour naissant pour l'architecture.
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