Pourquoi donc, immédiatement, cette image me dégoûte ?
Pourquoi la vision si parfaite d'une petite famille au pied de son pavillon me donne la gerbe ?
Est-ce seulement l'architecture de ce pavillon où la fausseté est toute entière sur la façade ? Où le désir d'une histoire familiale n'est qu'imitation ?
Le marronnasse des tuiles, celui des poutres et des volets donnent déjà les couleurs des cercueils en plein chêne qui viendront bientôt mettre tout ce petit monde dans un autre type de boîte.
Est-ce aussi l'agencement parfait de la famille qui me répugne ? Comme si la géométrie de l'amour devait déjà se réaliser là, sur un gazon neuf, à l'ombre d'un thuya. Les enfants blonds : le petit garçon avec entre les jambes l'érection triomphante de la grande échelle de son camion de pompiers et la petite fille, parfaitement symétrique sous ses couettes nouées imitant la fonction de la maman derrière elle et jouant à la poupée.
Tous les organes de la reproduction du laid sur la même image.
Le tracteur en plastique bleu, jouet du garçon sans doute, viendra faire semblant de rappeler que nous somme peut-être, encore, à la campagne, alors que la maison est sur un lotissement, perdue au milieu de ses semblables alignées pas trop loin de l'école qui ferme une classe, d'un rond-point menant au Super U ou à la Nationale, seule promesse d'une vie plus urbaine, celle du Bricorama où Papa ira acheter sa perceuse, celle de la jardinerie où Maman choisira un parasol joyeux mais pas trop, chic mais pas ostentatoire.
Le rouge baigne les jambes du père qui boit son verre que l'on devine servi par la mère. Le rouge est aussi, en diagonale sur la robe de la petite fille. Le bleu marial est sur les jambes du garçon, ce bleu ira aussi très bien sur la mère lisant un magazine de mode. La liaison des couleurs se fera sur les bandes du ballon. On devine que la composition est voulue, parfaitement construite. Solidifiant l'idée de la famille.
Entendez-vous le voisin qui tond sa pelouse ?
Alors, bien entendu, ici, nous ne devrions nous inquiéter que de l'architecture épouvantablement inutile de ce pavillon que le constructeur appelle "maison".
Une jolie maison pour y vivre heureux.
C'est le slogan.
C'est sans doute vrai d'ailleurs. L'économie mondiale, le manque complet de culture architecturale, les politiques d'urbanisme locales, le prix des terres et les revenus agricoles trop faibles font que la lèpre pavillonnaire est bien une réponse valide au désir de maison, au désir de patrimoine. Il faut bien qu'au moins nous laissions quelque chose à nos enfants.
Mais, au fait, pour quoi en faire ?
Des propriétaires ?
Le bus tous les matins vers le lycée, la deuxième voiture pour Madame qui aura passé fièrement son permis et l'aura obtenu du premier coup, la fille devenue adolescente dépucelée dans le garage un matin de juin, le père aux chaussures de sport à velcro qui rentrera saoul d'un apéritif chez les voisins, le fils de quinze ans embrassant pour la première fois Romain, le départ vers les grandes écoles à la fin des années 90 des deux enfants, la maison vide aux étages, la chambre de la fille qui deviendra un bureau, celle du garçon une buanderie encore encombrée du camion de pompiers en panne, tout cela l'image le raconte déjà.
Plus heureux.
La maison vendue en 2018. Les parents séparés finalement épuisés par leur rêve idéal devenu trop réel.
L'adresse de ce constructeur est, ironie du sort, rue Ecce Homo...
Voici l'Homme, celui perdu prenant pour nous tous le martyr, celui dont personne ne veut prendre la responsabilité d'être le bourreau.
Voici l'Homme sur mille mètres-carrés de terre agricole à jamais souillée, sur un paysage raté d'une France devenant simplement l'écho d'elle-même, sur une image, rien qu'une image de bonheur où se qui comptera sera, toute sa vie, de coller au mieux à cette image.
Ce constructeur de pavillons ne construit finalement que cela, des images. N'y cherchons donc pas d'architecture.
Y être arrivé, enfin et mourir, sans la couronne d'épines, le plus doucement possible, en ayant un peu joui. Un peu tout de même.
Plus proches, plus sûrs, plus heureux.
Finalement ce qui est pour moi le pire, c'est que cette image ne porte aucune émancipation possible, aucune voie de travers, aucune échappatoire.
Ces enfants sur cette image sont maintenant trentenaire, au moins. Ont-ils répondu à cette injonction du bonheur, l'ont-ils reproduit ?
Le gilet jaune sur le dos, sont-ils, enfin, sur le rond-point, heureux ?
Je le souhaite vraiment.
Oh bordel, qu'est ce que j'aime ce blog quand ça dézingue ! Et oui, avec un peu de chance, grâce au port du gilet haute visibilité, ils ont goûté à l'architecture temporaire sur un rond-point en construisant des cabanes de Zadistes :)
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