mercredi 9 mars 2016

La photographie à l'heure de la reproductibilité mécanique, on en discute ?

Si on considérait l'édition régulière et ininterrompue de cartes postales sur des constructions comme la preuve même de l'importance de ces constructions, on pourrait dire qu'à Villeurbanne certaines œuvres architecturales sont vraiment importantes mais également, toujours dignes presque 80 ans après leur édification de faire une image juste de la ville.
Les "célèbres gratte-ciel" de Villeurbanne font bien partie de cette catégorie. L'éditeur Cellard qui édite cette carte postale nous indique lui-même le degré de célébrité des immeubles qui ont, en effet, marqué l'urbanisme de cette ville.
La modernité affichée à leur époque continue donc de maintenir un étonnement et un désir de reconnaissance qui en font maintenant, on pourrait dire, un élément pittoresque de la ville. Il faudrait pouvoir dépasser la question picturale pour trouver un terme affirmant le désir d'image plus général. Iconique est un peu fort ?
Mais on peut aussi s'interroger sur le passage de cette modernité dans le champ du Patrimoine pour d'autres constructions de Villeurbanne n'ayant pas démérité mais n'ayant pas su trouver un idéal à tenir, une originalité forte, un sens de l'image qui font que, à part à l'époque même de leur construction, la nécessité de s'y retrouver dans une carte postale n'a pas trouvé preneur.
C'est le cas pour cette tour :




L'éditeur Combier a bien su à l'époque de la construction de celle-ci en avoir le désir et surtout l'opportunité d'en faire une édition pour offrir une autre image de la ville de Villeurbanne mais sans doute aussi pour que ceux qui vivent là ou aux alentours puissent communiquer sur cette actualité moderne autrement que par les traditionnels gratte-ciel de l'architecte Leroux !
L'éditeur Combier est comme à son habitude précis. On a l'adresse exacte (rue du 4 août), le nom de l'immeuble "Résidence France" et même le nom des architectes, messieurs C. Fournier et R. Levasseur. Ne nous manquent que la date de construction ou d'édition et le nom du photographe.
Mais voilà, si aujourd'hui vous alliez à Villeurbanne et que vous soyez hébergés dans cette Résidence France, vous auriez bien du mal à en trouver une carte postale ! Au mieux, vous pourriez en effet trouver une carte des fameux... gratte-ciel !
La disparition de représentation de cette tour doit bien nous dire quelque chose de la manière dont on considère une actualité architecturale et sa diffusion, la manière dont s'usent rapidement aux images des constructions moins avancées, moins d'avant-garde et le désir de les représenter et de les faire siennes. La modernité et l'éblouissement du surgissement de cette tour n'ont pas vécu très longtemps alors que l'avant-garde s'est solidifiée dans une modernité puis dans une originalité patrimoniale permettant à l'œuvre de Monsieur Maurice Leroux de tenir la ville sous sa représentation et même ne pouvoir être représentée que par ce type d'images qui pourrait rapidement devenir un cliché. Mais voilà, voyez-vous, je ne crois pas à l'usure des images à l'heure de leur reproductibilité. Non.
Ma formation de graveur et d'imprimeur d'estampes m'a toujours permis de penser que c'était là un raccourci ignorant de la force des images.




Car  lorsque j'ai reçu par la Poste cette carte postale contemporaine de Villeurbanne, je n'ai pas été ennuyé une seconde. J'ai d'abord redécouvert à nouveau l'architecture, j'ai à nouveau eu le désir d'y être, j'en ai apprécié la réalité mais aussi, ont surgi sans appel mes propres souvenirs et images mentales que je garde de ce lieu. Ce surgissement mental, cette projection, ne sont jamais usés mais vivants, solides et même impérieux. Je m'y attache et je ne me sens absolument pas leurré par eux.
Surtout que s'y ajoutent la vérité de celui qui me l'envoie, la fraternité de partage d'une image et de son lieu puisque cette carte postale m'est bien à moi adressée... Je la reçois avec ma culture des images, avec la reconnaissance d'un expéditeur sachant que je m'y retrouverai, une personnalisation du contact qui épuise immédiatement et rend caduc toute usure de l'image même si celle-ci est imprimée à des millions d'exemplaires, même si celle-ci joue à l'imitation du cliché.
Fabien Yvon, celui qui m'envoie cette carte postale de Villeurbanne est alors pleinement un complice de l'image et de cette représentation. Il a autant de rôle que l'image même, il y ajoute tellement que cette carte postale perd immédiatement tout risque du cliché. L'objet-image devient alors quelque chose comme un organe permettant d'être extralucide, d'avoir le don d'ubiquité, de m'y reconnaître comme choisi autant que l'image.




Une petite croix bleue faite au stylo-bille permet à Fabien d'être de l'image, il m'en ouvre la porte de sa proximité, se situe, dit bien la vérité de sa représentation, vérité soutenue par la réalité de pouvoir s'y reconnaître. Acte culturel et en même temps personnel, marquer ainsi une carte postale d'un signe graphique est la preuve qu'elle n'est pas si épuisée que certain pourraient rapidement le dire et le penser.
Pour ma part, je pourrais donc affirmer que je regrette vivement pour la Résidence France qu'elle n'a pas eu la chance de pouvoir ainsi être autant et avec la même permanence mécaniquement reproduite...
Merci Fabien pour cet envoi.
La Résidence France ne manque pourtant pas de qualités architecturales. On aime depuis cette photographie son isolement, son surgissement. On aime sa façade se courbant vers l'intérieur sans doute pour prendre davantage la lumière, on aime la façade hérissée de petits balcons. On aime aussi son assise sur le sol et le curieux couronnement de béton qui semble vouloir faire une liaison avec le ciel comme un diadème de Miss France agrémente sa coiffure trop ambitieuse. On reconnaît peut-être dans ce R. Levasseur l'un de ses architectes Robert Levasseur qui a beaucoup construit en... Normandie et dans le Nord de la France.


1 commentaire:

  1. Merci pour cet article bien documenté ! J'effectue une analyse architecturale de cette résidence en ce moment pour le compte du CAUE du Rhône. Je me permets d'ajouter la date de construction de cette tour et des autres immeubles de la résidence : 1965 - 1967. Je dispose d'un certain nombre de photos si jamais vous souhaitez étoffer votre article. Des céramiques de l’artiste Robert Charlier (cité dans votre blog pour une résidence à Nanterre) sont présentes dans le hall d'entrée de la Pagode (nom iconique de la tour).
    Thomas Boutefeu

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