vendredi 11 mars 2016
Détruire dit-elle
- Alvar, tu as lu ce courrier venant du Maroc ? Demanda Émilie.
- Non... Que veulent-ils ?
- Détruire, dit-elle.
- Ah ? Fais voir.
- Tu vas vraiment répondre à cette demande ?
- Et pourquoi pas.
- Il s'agit tout de même d'une construction de ton grand-père !
- Non ! Il s'agit d'une construction d'un architecte, Grand-père était l'ingénieur-structure.
- Je te trouve soudainement bien prompt à répondre, cela m'étonne de toi, Alvar.
- Tu sais bien que je ne confonds jamais le travail de mon grand-père et celui des architectes. Et cet hôtel appartient à la seconde catégorie. Tiens... Passe moi le dossier Maroc, s'il te plaît, là, en haut à gauche, à côté de celui sur le Brésil.
Alvar aida Émilie à descendre l'imposant carton rafistolé grossièrement depuis sa chute, puis ils fouillèrent tous deux, mêlant leurs mains dans les piles de papiers en tous genres.
- Rappelle-moi le nom de cet hôtel ? Demanda Alvar.
- Hôtel Salam à Agadir.
- Agadir ! Vraiment... Oula ! Faut peut-être être prudent tu as raison. Je sais que Grand-père travailla avec Zevaco et Azagury là-bas. Faudrait pas les aider à détruire ça.
- Tiens, voilà les demandes et plans. C'est dans un état...
- Posons ça sur la table, étale bien, tiens prends ce morceau de brique pour tenir le papier bien à plat.
- Alors qui a dessiné ?
- Pas de nom... Merde... Va falloir enquêter. Oh, regarde là !
En pointant son doigt sur un morceau du calque bleui, Alvar signala à Émilie un dessin d'enfant. On voyait une maison au toit à double pente au crayon de couleur rouge rageusement raturée et par dessus dans une perspective malhabile un cube surmonté d'une demi-sphère avec une porte d'un noir profond comme épaissi au feutre large. Il y avait aussi deux silhouettes féminines dessinées si on en croyait les triangles évoquant des robes et surmontés de cheveux longs.
- Qui a dessiné ça Alvar ? Ton père, ton oncle Gilles ?
- Non ! regarde bien Émilie... regarde là... il y a écrit "mamies" avec un S immense. Le seul qui a pu dessiner ainsi sur un calque du grand-père en ajoutant ce détail... C'est moi !
- La vache ! Il supportait que tu fasses ça !
- Oui, j'ai des souvenirs d'être sur les genoux de mon père et qu'il me laisse avec les crayons faire ce que je voulais, enfin... Surtout sur les calques anciens et ceux avec des erreurs. Ici, un calque ancien.
- Tiens, regarde... Une carte postale du fameux hôtel.
- Fais voir... Ah c'est pas si mal non ? J'aime bien comment la façade s'amuse avec ces ouvertures jouant à des tiroirs ouverts ou fermés ! Qui a envoyé cela ?
- Personne... Pas signée. Pas datée. Mais regarde... regarde un peu !
Émilie glissa la carte postale sous le calque et comme par magie, le dessin du petit Alvar venait se poser sur la petite construction au premier plan de la carte postale.
- Tu as décalqué Alvar ! Tu avais décalqué la carte postale !
Pendant que Émilie continuait à fouiller dans le carton à la recherche d'autres documents sur l'hôtel, Alvar peu ému par ce détail appelait Mohamed son père.
- Non, non, je ne vois pas Alvar, je ne sais pas... Un hôtel à Agadir ? Non, je sais que Papa a travaillé là-bas avec Zevaco mais pas pour un hôtel, enfin, je crois pas. Il est certain pourtant qu'il a dû avoir ce chantier après son intervention sur les bâtiments de Zevaco ou de...
- Oui... Azagury... Mais Papa, ce n'est certainement ni l'un ni l'autre, vu la construction. On me demande d'intervenir pour la destruction, ils veulent les plans pour lire la structure pour, tiens-toi bien, un dynamitage !
- Eh bien... Donne-les ! Mieux, va sur place et assiste au spectacle ! Si Papa a dessiné ça avec attention et intelligence, qu'ils fassent au moins une destruction propre et nette qui rendra hommage à sa structure.
- Bon, tu crois... Ok... je les appelle. Je te prends une place pour venir avec moi...
Un silence dura plusieurs secondes. Alvar pensa même que la ligne était coupée.
- Papa ?
- Tu sais bien que je ne peux pas aller là-bas... tu sais bien pourquoi...
- Oui, pourtant j'aurais aimé faire ce voyage au Maroc avec toi. Une fois au moins.
Un autre silence, aussi long.
- Ok, ok.
- Pardon, j'ai bien entendu ?
- Oui, je viendrai avec toi au Maroc. On ira faire sauter cet hôtel ensemble ! On va en faire une fête familiale !
..................................................
..........................................................................
Tout était prêt depuis le matin même. Alvar et son père avaient reculé derrière une malheureuse barrière de planches qui leur semblait bien fragile mais on les rassura plusieurs fois sur le fait qu'il n'y avait aucun risque en étant là. Un bruit soudain, un mouvement lent mais propre puis l'hôtel Salam s'écroula tranquillement sur lui-même laissant venir vers Alvar et Mohamed Lestrade un nuage gris presque amical.
- Eh bien, messieurs, rarement vu une explosion aussi propre ! Faut croire que structurellement c'était bien conçu ! Ça a tombé tout seul. Bien à sa place. Votre père, Monsieur Lestrade, il avait bien bossé.
À ces paroles émises par l'un des responsables de la démolition, le père et le fils se regardèrent en souriant ne sachant à qui ce "Monsieur Lestrade" s'adressait. Ils comprirent tous les deux que maintenant qu'une explosion avait su les réunir ici au Maroc, il faudrait en faire d'autres, celles-ci sur le chemin de l'histoire familiale.
Le lendemain, la voiture des ingénieurs père et fils passa devant le tas de gravats et se dirigea vers Casablanca.
https://www.facebook.com/ArchitectesDAgadir/videos/661511183982629/
La carte postale est une édition ITTAH Color, la photographie est de ITTAH à Casablanca. Pas de date, ni de nom d'architecte.
Inscription à :
Publier les commentaires (Atom)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire