lundi 21 mars 2016
Jouir d'un va-et-vient
Disons que parfois les images offrent des radicalités bien plus appuyées que le réel :
Cette carte postale de l'église St Jean-Bosco est en fait une carte postale de la maquette de la future église qui sera construite à Mons-en-Barœul.
Tout dans cette carte postale, tout, sa photographie en noir et blanc, l'objet même, le fond gris tendu, le cadrage optant pour un point de vue ignoré du piéton et donc du croyant, le reflet sur le socle brillant et bien entendu le dessin général de l'architecture de cette église, tout donc, concorde pour fabriquer une image étrange, à la beauté parfaite dont, sans doute, la fermeture complète de la forme éclatée ajoute encore au mystère de sa réalité.
Comment devant un tel objet architectural, comment construire mentalement ce que sera la visite du lieu, comment produire avec un objet d'une échelle réduite, la compréhension des enjeux spatiaux ?
Le faut-il ?
Devant certaines maquettes d'architecture, on reste coi, jubilant à la fois d'être mis au dehors d'une forme close et jouissant dans le même moment du possible de cette forme dans le réel. Je pense aux effets de sidération devant les blocs de bois pleins et solides des maquettes des réalisations de Claude Parent et Paul Virilio. La massivité des maquettes, véritables objets-sculptures n'offrant aux yeux que le dessin de la masse, s'obstinant à nous refuser le détail réaliste pouvant les confondre avec le modélisme ferroviaire, donne bien plus à vivre qu'à voir, même si, bien entendu, cette sidération est aussi une manière de saisir le surgissement (miraculeux ?) d'une architecture qui n'est jamais, jamais simplement une enveloppe.
Ici, l'abstraction de cette maquette d'architecture dont l'architecte n'est rien moins que Jean Willerval me permet avant même d'avoir parcouru l'édifice d'en saisir, sinon la réalité, un désir : une fragmentation faite de triangles emboîtés, des saignées entre les blocs, le jaillissement soudain d'une flèche, un jeu subtil d'une forme qui jouera des ombres, en quelque sorte un imaginaire formel comme on parle d'un paysage.
Mais il s'agit d'une image... Et, je vois venir la rhétorique habituelle de sa tromperie, je vois venir le doute qui devrait toujours nous saisir, doute porté par ceux qui ne savent pas être au monde et pensent (c'est un grand verbe) que l'image est inconséquente, voire même perfide et que son rôle est toujours de nous induire en erreur par nos sens, eux-même agents d'une puissance mystificatrice.
Pourtant, ici, il faut simplement admettre que tout est désiré, que tout dans cette image est construit, volontaire. Il s'agit d'évocation. Car, voyez-vous, (voyez-vous ?) il ne faut jamais oublier celui qui regarde, celui qui ajoute et aussi celui qui jouit de cette évidente construction de l'esprit. Je ne sais pas si je serai déçu de la réalité de cette église. Je ne sais pas si je n'en préférerai pas la maquette. Mais qu'importe ! Oui, qu'importe ! J'aurai alors la possibilité de me réjouir non pas d'une forme affadie dans le réel mais de deux objets de pensée, de deux formes sous la lumière, se répondant l'un l'autre non pas dans un concours de réalisme mais dans la jouissance du va-et-vient entre projet et construction. Oui.
Jouissance du va-et-vient.
Et cela, grâce à l'église.
On aura compris que cette carte postale est une édition de souscription sans éditeur mais avec un nom de photographe : A. Maillet. Remercions-le pour ce superbe travail qui m'a offert un moment parfait de rêve d'architecture.
Pour ne pas vous maintenir artificiellement dans une déception du réel due à l'image, je vous offre une autre image :
Cette fois, nous sommes à Dijon, et les fidèles lecteurs auront reconnu cette église Sainte Bernadette réalisée par l'architecte Belmont et Jean Prouvé. Sur cette édition dont la photographie est de Fasquel, on retrouve bien, on reconnaît bien la construction. Qui s'interrogera sur le premier plan régulier fait d'une terre fraîchement retournée offrant un socle à la construction ? Qui s'interrogera sur la présence de cette petite foule et de ce groupe d'hommes venus regarder l'église ? Qui sont ces hommes tous en noir regardant le campanile qui est d'ailleurs encore en construction ? Qui sont-ils ? Des architectes, des commanditaires, des ingénieurs venus voir l'avancement des travaux ? Monsieur Belmont et Monsieur Prouvé sont-ils là, dans ce groupe ? Est-ce parce que ce groupe est en visite que le photographe réalise ce moment photographique ? Est-ce l'occasion d'immortaliser en même temps le chantier presque achevé et la visite de ceux qui en sont à l'origine ?
On sent que quelque chose de sérieux se passe, que le moment est choisi... Suis-je en train de me faire prendre par l'image ? Mon désir de fiction prend-il le pas sur la réalité ?
Nous reste à admirer au moins d'un point de vue documentaire le bâti, le construit et surtout ici l'impermanence du chantier. Je me régale d'un détail, d'un punctum, d'un ça, pour faire chic.
Je vais et je viens, depuis l'image jusqu'à mon plus profond désir fictionnel. Tout glisse à merveille, tout est désir. Je vis de ce désir.
Inscription à :
Publier les commentaires (Atom)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire