samedi 18 juillet 2015

Vers Alvar




















Le silence se fit d'un coup dans la piscine. Comme un vide immense, soudain.
Momo mit un moment avant de bien réaliser ce que venait de lui dire Sidonie.
Momo décida de mettre sa tête sous l'eau, d'aller jusqu'à la rupture de sa respiration et, il en était certain, lorsqu'il réapparaîtrait, la nouvelle aurait disparu et sa vie reprendrait son cours normal.
Mais non.
Le chlore ne lave pas des paroles et Sidonie reprit elle aussi son souffle.
 -  Tu entends ou quoi ? Je suis enceinte !
 - Mais quoi ? Enfin, je veux dire, un bébé, tu es certaine, enfin... Je sais pas moi... Mais bon enfin... Enceinte ?
 - Oui... je le sais depuis hier de manière certaine.
 - Mais on doit faire quoi ? Là, maintenant, enfin on fait quoi... On est censé faire quoi ?
 - Rien...
 - Tu veux dire que... qu'on va avoir un enfant à élever ? Mais bordel on n'a que 18 balais tous les deux ?
 - Ba, ça mon vieux, apparemment ça donne plus tôt de bons résultats...  Qu'est-ce que tu veux faire ?
...
 - Eh ! Oh ! Je te cause ! Touche là.
Sidonie saisit si fermement la main de Momo qu'il poussa un cri puis posant celle-ci sur son ventre sous l'eau, elle le regarda dans les yeux.
 - C'est fait. Tu comprends. C'est fait. Il est là.
Momo était presque saoulé par les images qui défilaient devant lui en cinémascope, d'abord le portrait de Jean-Michel puis des images de couches-culottes, la tête de Gilles, enfin un trou noir profond comme si l'ensemble des sens avaient disparu pour le laisser définitivement dans un état second.
 - Momo ? Momo ? Mais tu es glacé, tu trembles de partout... Viens on sort, on parlera de ça dehors.
 - Mais pourquoi tu me le dis là maintenant, enfin dans la piscine ? Pourquoi ?
Momo continuait de parler alors qu'il avait déjà franchi la séparation homme-femme des douches et des vestiaires et il ne se rendait pas compte qu'il parlait tout seul et que, sous la douche, se rinçant, il évoquait cette question avec un morpion de huit ans et un monsieur rondouillard qui ne comprenaient pas bien pourquoi on lui parlait de bébé, de femme enceinte.
Il se rhabilla sans très bien s'essuyer, oubliant de fermer la porte de la cabine, pressé qu'il était de reprendre dehors la conversation avec Sidonie. Les chaussettes avaient du mal à couvrir les pieds mal séchés, sa chemise lui collait dans le dos. Finalement sur le trottoir, il trouva Sidonie déjà prête et en pleurs.
 - Eh... mais ma louloutte, viens, on rentre.
Sidonie bredouillait qu'elle aurait dû faire attention, qu'elle avait tardé à s'en rendre compte, que leur vie était foutue, qu'elle se sentait coupable, coupable, coupable et qu'elle avait peur.
 - Sidonie, écoute, on est deux ? On va s'en sortir. Gardons-le. Gardons-le. Le bébé, il sera bien avec nous. C'est juste trop tôt mais quoi regarde ! Tout va bien ! Tu travailles, je finis mes études. On nous aidera tu verras.
 - Mais je voulais vivre une autre vie avant. Tu comprends. Je voulais faire plein de trucs. Voyager.
 - Ouais, c'est sûr. Tu as raison. Mais il est là. Le bébé, il est là. Alors la seule chose à faire c'est de l'attendre, heureux qu'il arrive. Je travaille à l'agence, j'ai déjà un salaire. Papa me laissera finir mes études et bosser à l'agence.
 - Oui... enfin... je sais plus...
 - Qui d'autre le sait ? Gilles ? Tes parents ?
 - Non, non, personne...
 - Je ne ferai pas comme mon paternel, je m'en occuperai tu verras, je m'en occuperai, tout les jours, tout le temps, il sera avec moi. Je m'en occuperai, je m'en occuperai...
Tout en se le répétant à l'infini, Momo se mit à pleurer à son tour. Tout revenait d'un coup. Comme une boucle à laquelle il ne pouvait pas échapper, comme si son histoire n'était finalement pas la sienne. Il avait maintenant exactement l'âge de son père au moment de sa propre naissance et de son propre abandon. Il allait être père à son tour. Il voulait briser l'histoire, rompre avec la ligne. Il aimerait cet enfant, il l'élèverait avec et même contre Sidonie si nécessaire............................


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Gilles regardait ce machin tout tordu, partant dans tous les sens et cela lui semblait une image assez cohérente de sa vie en ce moment. Il tourna autour, trouva beaucoup de points de vue très beaux.
Il se demanda comment il allait pouvoir aider Momo et Sidonie.
Cette nuit, il avait reçu le télégramme annonçant la naissance d'un petit garçon que le grand-père avait appelé Alvar. C'était convenu, une promesse que Momo avait faite au moment de l'annonce de la grossesse. Jean-Michel donnerait le prénom de l'enfant. Il n'avait pas cherché longtemps. Alvar. Deux A posés entre la verticale forte d'un L et le vallon d'un V discret. C'était parfait.
Momo attendait encore les résultats de son baccalauréat puis il pourrait entrer officiellement dans l'agence comme employé. Il serait alors le salarié de son père.
Gilles avait lu le télégramme à Hans qui sauta partout dans la pièce. Il voulait partir maintenant, vite aller voir Alvar, le prendre dans ses bras. Pourtant, il fallait encore finir la saison à Stuttgart. Mais c'est bien Hans qui envoya Gilles vite acheter un petit ensemble, une barboteuse, des chaussettes minuscules et cette adorable souris rouge en peluche que, et cela il ne pouvait le deviner, Alvar retrouvera vingt cinq après encore présente dans l'armoire familiale.
Gilles en profita pour regarder le programme du Théâtre de Stuttgart. Il ne vit rien de convaincant pour lui ou pour Hans. Et puis, il avait d'autres soucis. Il voyait son jeune frère, dix-neuf ans, père avec un petit garçon dans les bras. Il voyait ce même Momo, dans la poussette, sur les trottoirs de Pantin. Ils se revoyaient tous les deux, il y a quatre ans à peine, sur la plage de Foncillon, lui, faisant la leçon à ce frère fugueur. Il revoyait toutes ces histoires et imaginait toutes celles à venir. Lui, ici, à Stuttgart avec un garçon. Il pensa que finalement, c'était le fils adoptif qui était le plus ressemblant à leur père. Momo avait tout de Jean-Michel, ce mélange de rigueur dans le travail et de spontanéité dans la vie, capable au détour d'un sourire de tomber amoureux ou d'adopter un enfant, capable de lire les structures, capables d'aimer.
Ici, lui amoureux de Hans, Gilles se trouva étranger à cette histoire, loin, et incompatible. Il ne comprit pas tout de suite ce que ce mot voulait dire et pourquoi c'était celui-ci qui arrivait dans ses pensées. Incompatible.
Il se souvenait bien que son père lui avait dit de bien regarder ce théâtre dessiné par Paul Stohrer. Il lui avait même demandé d'en faire quelques photographies avec son appareil photo offert par ce même père. Mais Gilles comprit qu'il ne pouvait pas faire d'images. Pas aujourd'hui.
Il reviendrait. Les images qu'il se faisait dans l'instant étaient celles d'un jeune père, d'un petit garçon appelé Alvar depuis 3 heures, d'une jeune femme ayant accouché et de ce cercle familial qui n'arrêtait pas de le surprendre.
À son retour, Hans trouva la barboteuse trop grande, le petit ensemble vraiment adorable et les chaussettes comme promises, minuscules. Il joua quelques instants avec la petite souris en peluche sur la tête de Gilles.
Punaisé sur le mur de la chambre du centre sportif, le télégramme fut oublié le jour de leur départ deux semaines plus tard.

par odre d'apparition :
Villeneuve-le-Roi, la piscine, éditions Raymon.
Stuttgart, Staatstheater, Kleines Haus. Andres +Co Verlag.

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