jeudi 16 juillet 2015

Monsieur Inconnu est architecte. Le père est inconnu



 - Oh oui, il était furieux !
 - C'est vrai que c'est tout de même incroyable d'écrire ça comme ça !
Oui, ton grand-père a piqué une de ses colères mémorables ! Tu vois, Alvar, ils n'auraient nommé personne cela aurait sans doute passé mais là ! Vraiment !
 - Ce mot d'inconnu résonne comme le tombeau du soldat inconnu !
 - Il avait l'habitude de ne pas être nommé dans les articles et les éditions car tout le monde se moquait des architectes d'opérations et des ingénieurs-conseils à cette époque mais, là, qu'à la place de son nom on puisse ainsi écrire inconnu. Non vraiment cela ne passa pas !
Alvar tenait dans sa main la carte postale de l'établissement de traitement des maladies de la nutrition à Pougues-les-Eaux qui au verso avait cette drôle d'attribution donnée par l'éditeur les éditions nivernaises.



La carte postale montrait une barre d'une grande simplicité à la grille régulière et rigoureuse creusée de niches offrant un balcon à chaque chambre. L'ensemble était posé sur un socle technique donnant tous les services et l'accueil. Alvar remarqua que le chantier était encore en cours sur cette carte postale. Mais bien vite la question lui revint à l'esprit. Comment une telle bévue avait pu être commise ? Qui était responsable de l'oubli du nom de son grand-père et surtout son remplacement par ce titre de Monsieur Inconnu !
 - Oh, je ne sais pas, je ne sais plus Alvar mais bon, cela permit tout de même à ton grand-père après une sacrée explication auprès de l'éditeur et des architectes de se faire offrir un bon repas au restaurant !
 - C'est la moindre des choses non ?
 - Oui, et il faut dire Alvar que ça leur a coûté cher ! Jean-Michel aimait les vieux Bourgogne comme tu le sais et il choisit dans la cave du restaurateur un millésime incroyable qu'il fit mettre sur la note ! Un Vosne-Romanée de 1949 !
 - Ah ! Bien vu, l'année de naissance de papa ! J'aurais bien aimé y goûter ! Remarque, bon, ce bâtiment... Rien de bien extraordinaire non ?
 - Tu sais, je comprends ce que tu veux dire mais ce qui comptait le plus pour ton grand-père ce n'était pas finalement les histoires d'images, il tenait surtout que son travail soit parfait, sans défaut même si cela devait servir une construction dont lui-même ne goûtait pas le style. Quand tu regardes l'ensemble des architectes avec lesquels il a fait travailler l'agence, il n'y a pas vraiment de cohérence. Par contre, la qualité du travail est partout et combien d'entre eux furent heureux de trouver quelqu'un comme lui pour inventer des solutions techniques qu'ils ne maitrisaient pas eux-mêmes. Et il le faisait toujours simplement, en se mettant à leur service. Mais il voulait être reconnu pour ça, simplement. Il avait un don tout particulier pour faire faire des économies de matériaux et de temps par une logistique incroyable et une application parfaite.
 - Oui, je sais, j'en avais discuté avec lui... Il avait un sens de la structure incroyable, une forme de vision mentale...
 - Oui, ton père en a hérité. Mohamed, je ne sais comment, il a capté ça. Ça rendait ton grand-père si fier de lui. Et Yasmina si heureuse de les voir complices sur ce terrain. L'agence, elle tient grâce à lui aujourd'hui et... on espère grâce à toi un jour...
 - Ah Mamie, on ne va pas revenir sur cette conversation...
 - Alvar, il faut apprendre à être ce que l'on est. Mais tu as raison de vouloir vivre autre chose. Tu verras... Tu verras..........
 - Mais ces Coquet tu les as connus toi ? C'étaient des frères ?
 - Coquet ? Oui... je ne me souviens plus bien son prénom mais Jean-Michel avait travaillé à Tanger sur une manufacture je crois. Vers 55 ou 56. J'étais restée à la maison comme d'habitude... On n'avait pas encore ton père et Yasmina. Ils sont arrivés après ce chantier. Tu devrais trouver de la documentation là-dessus, c'était un chantier important pour notre histoire... C'est là que ton père a décidé d'aider Yasmina. Elle était sur le chantier avec son mari, ouvrier maçon enfin... le père de Momo, ton grand-père en fait. elle avait déjà le petit bien sûr... tout chétif, tout miséreux. Mais, voilà... il plut à ton grand-père, ne me demande pas pourquoi... Enfin si... il avait un sourire désarmant le petit... Enfin tu connais l'histoire... L'abandon... Le retour de ton grand-père sur le chantier et l'arrivée de Yasmina et de Momo à la maison. Comme il n'avait pas été reconnu, ton père l'adopta. Voilà. Il faut dire que le papa de ton père, était aussi un gamin. 18 ou 19 ans. C'est tout. Ton grand-père aurait presque voulu l'adopter aussi ! Ah celui-là ! Mais bon, ce ne fut pas possible... Je ne sais pas pourquoi je te raconte tout ça...
 - Parce que c'est de mon histoire qu'il s'agit.
 - Oui, tu as raison... Mais ton père, Momo, n'a jamais voulu rien savoir lui. Il avait un père, un seul et c'était Jean-Michel. Plusieurs fois nous lui avons proposé de rencontrer cet homme qui ne méritait sans doute pas ce refus. Mais voilà. C'est comme ça, c'était la défense de ton père.
 - Tu... Enfin... Tu sais ce qu'il est devenu ? demanda Alvar dans un souffle.
 - La dernière adresse était à Casablanca. On lui envoyait des photos de ton père de temps en temps. Mais on ne recevait jamais de réponse. Un jour on a reçu une lettre, très mal écrite, disant qu'il voulait venir en France. Ton grand-père a envoyé de l'argent pour le voyage mais... il n'est jamais venu. Je ne sais pas maintenant. c'est loin tout ça. On doit encore avoir cette lettre quelque part.
 - Et Yasmina, elle n'a jamais voulu le revoir ?
 - Non. Je ne crois pas. Elle lui écrivait aussi et pareil, jamais de réponse. Trop dur des deux côtés je crois.
 - Je voudrais le voir, enfin même qu'une image.
 - Oui ? Vraiment ? Regarde ton père. Regarde Momo et tu le verras. Quand il a eu à son tour 18 ans, on avait du mal à le regarder tellement il ressemblait à son père et cela posait pour lui des problèmes avec les autres car bien sûr il ne ressemblait ni à Yasmina, ni à Jean-Michel et encore moins à moi ! Il a souffert de ça tu sais, ce fut parfois difficile, il partait. Il partait comme ça. Puis il revenait. Tout bredouillant, plein de larmes, incapable parfois de dire ce qu'il avait fait. Seul Gilles réussissait dans ces moments-là à lui parler et lui faire dire des choses. Gilles a été formidable avec son frère adoptif.
 - Oui, j'adore Gilles. Il m'aide aussi beaucoup... Il m'a déjà proposé que l'on aille ensemble à Casa. Il pense que cela serait bien. Il en a même parlé à Papa qui lui a dit de faire comme bon lui semble mais, lui, il reste sur sa position.
 - Vas-y Alvar ! Vas-y avec Gilles, c'est une bonne idée. Il faut que tu règles ça sinon tu le porteras à la place de ton père. Et, étrangement, je sais, je suis certaine que ton grand-père biologique est toujours vivant. J'en suis certaine. Je vais essayer de retrouver l'adresse, la lettre...
Il y eut un silence. Alvar tapa Coquet architecte sur un moteur de recherches pour voir si quelques informations tombaient. Il trouva une mention dans la revue Architecture d'Aujourd'hui de 1955. Il comprit que c'était bien cela.
Dans la bibliothèque parfaitement rangée de son grand-père, il n'eut aucune peine à faire glisser dans ses mains la revue. Un peu frénétiquement il chercha l'article. Il le trouva. Alors quelque chose se serra dans son cœur. Il regardait la photographie, il la brûlait presque de son regard, usant chacune des ombres, cherchant en vain, une silhouette, une trace de cette histoire personnelle. Pourtant rien dans ce document ne pouvait dire que là, ici, à ce moment précis, son père put être son père. Il en voulait presque à l'image de cet article de ne pouvoir lui en dire plus. Ce qui le surpris aussi c'est qu'aucune annotation, rien ne venait dans cette revue faire signe d'une lecture particulière de Jean-Michel. La photographie avait curieusement été prise de nuit. Une nuit sombre, dure, impénétrable.
Alvar referma la revue sur cette nuit.








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