Gilles avait donné rendez-vous à Hans devant le Centre Pompidou. Ils devaient tous les deux faire une surprise à Alvar qui fêtait ses 20 ans en cette année 1987.
Ils avaient décidé de l'emmener faire le tour de l'exposition du centenaire de Le Corbusier commencée depuis peu, puis, ensuite de le traîner chez Cassina pour lui acheter ce très beau fauteuil LC4 de Le Corbusier et Perriand dont il rêvait et usait le cuir chaque fois qu'il allait chez Jean-Michel son grand-père.
La famille presque de manière inconsciente avait prévu ce cadeau pour les vingt ans du garçon depuis longtemps. Combien de fois on dut en effet, sans le réveiller, prendre dans les bras le petit Alvar lové au creux du fauteuil encore un peu grand pour lui.
Une fois pourtant, lorsque vers ses huit ans, le petit garçon comprit que le cuir magnifiquement coloré du fauteuil était en fait la peau d'un jeune poulain, il avait eu un moment de désamour pour l'objet. Mais rapidement, les rêves, les désirs des histoires du grand-père racontées et écoutées dans ce fauteuil avaient eu raison des réticences du petit Alvar.
Mais pour l'instant ni Hans ni Alvar n'étaient en vue. Gilles s'impatientait un rien, là au pied de cette espèce de pendule curieuse qui égrenait les secondes jusqu'à l'an 2000. Il regardait les secondes défiler inlassablement, tombant dans un cliquetis métallique régulier et cela plongea Gilles dans une forme nostalgique inattendue de sa part.
Où seraient-ils tous les trois en l'An 2000 ? Que ferait Alvar quand il aura 33 ans ? Sera-t-il marié ? Sera-t-il toujours aussi passionné d'architecture ? Travaillera-t-il avec son père Momo dans l'agence familiale ?
L'image de Alvar sortant de la Mairie en costume au bras d'une belle mariée fit sourire Gilles. Alors que des images improbables se formaient dans sa tête, il vit arriver au loin, depuis la Piazza, Alvar, bras dessous bras-dessus avec Hans et juste à côté de lui une jeune femme que Gilles mit du temps à reconnaitre. C'était bien Émilie !
- Salut Tonton !
- Salut Alvar
Un silence.
- Ah pardon ! C'est vrai... Tu reconnais Émilie ?
- Bonjour Émilie !
- Bonjour Monsieur Lestrade.
- Mais non ! Pas Monsieur ! Émilie ! Appelle-le Gilles ! Tu le connais tout de même.
- Oui, j'aime mieux que vous m'appeliez Gilles que Monsieur, Émilie !
- Ah... Euh... pardon... enfin... euh...
- Pas grave, pas grave...
Silence.
- On pourrait faire visite non ? Moi j'ai envie commencer. Voir Corbusier.
- Tu as raison Hans, allons nous cultiver ! Mais d'abord, puisque nous sommes sous cette espèce d'horloge, je propose pour commencer cette journée d'anniversaire, que nous fassions chacun un vœu pour l'An 2000 et que nous scellions ce vœu par un ticket de cette machine.
- Tu crois Tonton que c'est une bonne idée, je veux dire, c'est un truc à touristes, non, ce machin...
- Non non non, j'adore, oui faisons ça Alvar !
Devant l'enthousiasme d'Émilie, Alvar céda et au moment ou Gilles glissa la pièce pour commander la carte souvenir, chacun fit en silence son vœu.
Gilles demanda que lui et Hans adoptent enfin un enfant.
Hans demanda d'être encore pour trente ans au moins avec Gilles.
Alvar demanda qu'ils furent tous encore réunis pour s'amuser autant en l'An 2000.
Émilie demanda d'être encore pour trente ans au moins avec Alvar.
Jamais Émilie et Hans ne surent qu'ils avaient fait le même vœu.
Au mois de novembre de l'An 2000, devant le Centre Pompidou, il y a avait bien Gilles, Émilie et Alvar. Il manquait Hans, mort en 91. Pourtant ils étaient bien quatre. Émilie et Alvar venaient d'adopter Mitica, un sacré petit galopin venu de Roumanie.
Dans son portefeuille, Gilles sortit la carte du Genitron.
Ils se regardèrent tous les trois.
Ils coupèrent le papier en petits morceaux et Mitica se fit une joie de jeter les confettis au vent léger. Qui lui raconterait l'histoire ?
Mitica, lui, il voulait un chocolat chaud. On prit tous un chocolat chaud.
Mon cher David,
RépondreSupprimerEt dire qu'à l'époque, j'avais acheté des billet de cette machine.
Je n'ai toujours pas remis la main dessus et pourtant je sais qu'ils sont toujours à la maison, mais dans quel carton ? Et surtout, quels chiffres du compte à rebours sont dessus ? Beau sujet de collection temporelle.
D'ailleurs, il me semble que le visuel des cartes a évolué au cours du temps.
Bien à toi.
Domiique M.
Bonjour David, bonjour Dominique, bien belle histoire même avec une pointe de tristesse. J'était trop petit à l'époque mais j'aurais adoré avoir un de ces billets / carte postale ! Si jamais vous en retrouvez, faites moi signe Dominique ! Norman
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