mercredi 27 mai 2015

À Grasse, entre rêve et réalité



... Gilles d'un coup s'aperçut qu'il n'y avait sur le plongeoir que des garçons.
Tous d'ailleurs s'étaient arrêtés au premier niveau n'osant sans doute pas affronter la grande hauteur.
Gilles aimait bien d'ailleurs cette promiscuité et tout en discutant des techniques de sauts, de la température de l'eau, des avantages de telle ou telle technique, il n'oubliait pas de regarder sans remord les corps des jeunes plongeurs.
Il n'avait jamais osé se le refuser.



Les conversations allaient bon train, on se chamaillait un peu, on y allait des épaules pour voir qui oserait aujourd'hui monter tout en haut et faire le triple saut. Mais Gilles s'aperçut que finalement, il y avait bien plus de paroles que de gestes et que cela comblait bien le cercle des nageurs.
Soudain, sans aucune hésitation, Momo passa devant le groupe, les salua, monta les marches et dans un mouvement déterminé et sûr de lui, s'avança vers le vide et sauta du second plongeoir.
Gilles admirait son frère quand il était comme ça.
Le silence se fit.
Gilles ne put retenir un rire et crier à tous :
 - C'est mon frère, c'est mon frère ! Ça c'est mon frère !
Dans le bassin, Jean-Michel faisait, lui, tranquillement ses longueurs et se retourna à peine au brouhaha admiratif du groupe dont il ignorait complètement que les cris saluaient l'exploit de son adolescent de fils un peu crâneur.
Non.
Jean-Michel nageait là, dans la piscine de Grasse, piscine dessinée par l'architecte Léon Loschetter et pour lequel il avait étudié le fameux plongeoir. Petit chantier mais grand souvenir car, en fait, cette piscine Altitude 500 aurait dû faire partie du grand projet imaginé par Oscar Niemeyer pour la ZUP de Grasse, projet avorté malheureusement. Jean-Michel aurait dû travailler avec le brésilien et comme il était assez avancé, par dépit, on lui avait demandé de travailler sur cette piscine. Petit lot de consolation qui fut d'ailleurs expédié rapidement par des arpettes de l'agence qui purent, sur ce projet, se faire les dents. Mais bougeant en rythme ses bras et ses jambes, respirant tranquillement, Jean-Michel pensait tout de même au beau projet de Niemeyer pour Grasse, en imaginait les contours, sa beauté perdue à jamais. Il raconterait cette histoire si française d'un abandon de projet, il raconterait aussi comment il avait rencontré Oscar Niemeyer aux garçons ce soir. Il savait bien que parfois cela les agaçait mais, dans le fond, il aimait ainsi penser que quelques bribes de cette histoire finiraient bien par les marquer l'un ou l'autre...





... Jocelyne hésitait entre les deux cartes postales. Elle voulait que Yasmina voie le plus possible ce beau V.V.F de l'A.U.A sur lequel Jean-Michel avait travaillé mais elle voulait aussi montrer tout simplement le lieu de villégiature où ils avaient décidé de passer leur vacances à Grasse avec les garçons.
Elle ne put se décider et acheta les deux cartes.
Le soir au repas, elle les montra à Jean-Michel et demanda à Gilles et Momo de les signer. Il fallut faire des pieds et des mains pour que les deux garçons acceptent ce qui étonnait toujours Jocelyne car ils aimaient tous deux beaucoup Yasmina et leur grand-mère qui vivaient maintenant à la Grande Motte.
 - Allez, arrêtez de fanfaronner tous les deux et mettez un petit mot gentil à Yasmina et Mamie.
Jean-Michel de sa voix ferme décida les deux garçons à s'exécuter. Maintenant ils se chamaillaient pour le stylo-bic...
 - Vous voyez là les appuis en béton et ici comment les architectes ont décidé de laisser apparentes les belles briques sous la voûte et...
 - Oh non Papa, c'est bon, on est en vacances...
 - Et toi aussi mon chéri... Appuya Jocelyne.
Momo et Jocelyne avaient compris que Jean-Michel allait démarrer sa grande diatribe sur l'architecture du lieu.
 - Mais enfin ! J'ai tout de même bien le droit d'être heureux de partager mon travail avec vous ?
reprit Jean-Michel un peu furieux.
 - Oh mais absolument, mais là tu ferais mieux de finir ta salade ! Rétorqua Jocelyne.
 - Ma salade, ma salade, comment ça ma salade ?
 - Celle que tu as dans ton assiette... Jean-Michel... Pas celle que tu nous donnes à entendre...
À ce début de querelle des parents, les deux frères se mirent à rire de concert et firent des imitations de leur père pointant ici le béton et là les briques en faisant des phrases ampoulées tentant de copier celles de Jean-Michel.
 - Vous feriez mieux messieurs de vous calmer sinon je me verrais dans l'obligation d'évoquer vos exploits sportifs à votre mère... Reprit Jean-Michel qui savait combien Jocelyne n'aimait pas que ses fils fassent des expériences dangereuses.
 - Comment ? Quoi ? Ne me dites pas que vous avez encore fait les fiers-à-bras cet après-midi à la piscine ?
 - Si, justement Madame, vos fils, oui, Madame, des sauts, du haut du plongeoir...Tout... en... haut...
affirma Jean-Michel.
Étrangement cela calma illico Gilles et Momo qui savaient bien qu'ils ne devaient pas faire peur même a posteriori à Jocelyne. Et, les deux gaillards, soudain, se recroquevillèrent au fond de leur siège comme des petits garçons grondés.
 - Oh, je vous déteste quand vous faites ça, vous le savez. Et toi, tu ne dis rien, tu laisses faire, tu y participes j'en suis certaine.
 - Mais non Jocelyne, tu le sais bien. Regarde-les tes garçons. Comment veux-tu que je les en empêche maintenant ?
 - Promettez-moi de ne pas recommencer. Demanda Jocelyne.
Gilles et Momo promirent. Cela ne coûte rien. Et soudain, Momo regarda son père et lui demanda :
 - Dis-donc, pourquoi ils aiment tant laisser les matériaux ainsi apparents tes copains architectes ? C'est un peu rude non ?
Jean-Michel partit alors dans une explication solide nommant ici le Corbusier, là Louis Kahn. Mais surtout, ce qui le réjouissait c'était bien d'avoir à répondre à l'un de ses fils.
Son doigt pointa une brique. Il parla de franchise et d'équilibre.
Momo écoutait. Gilles écrivait gros bisous sur la carte postale. Jocelyne regardait tous ses hommes, ensemble sous cette voûte de briques nues.





















Merci encore à Laurent Patart pour cette donation.
Par ordre d'apparition :
- Grasse, la piscine olympique "Altitude 500", éditions Montluet, cliché Appollot.
- Grasse, extérieur et intérieur de la réception, salle à manger et terrasse. VVF, éditions Gilletta.
- Grasse, Pavillon de réception, restaurant, salle de jeux, VVF, éditions Gilletta.

Pour en savoir davantage sur le projet incroyable et oublié d'Oscar Niemeyer à Grasse, voici un lien très complet :
http://www.balandreau.com/kriss_feed/?currentHash=YDP2tg&current=YDP2tgcQhT4Q&open#item-YDP2tgcQhT4Q

1 commentaire:

  1. LECLERCQ URBANISTE28 mai 2015 à 17:56

    Niemeyer a aussi travaillé pour une ZAC à Dieppe : le VAL DRUEL, qui sera "interdite" par le ministre Olivier Guichard.La cause, la circulaire de Chalandon sur les "tours et les barres dans les agglos de moins de 50 000 habitants qui interdit les barres de plus de 60 mètres de long. Niemeyer propose 150m.. De plus la circulaire Guichard, depuis les 21 mars 1973, interdit les grands ensembles.

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