vendredi 30 août 2024

L'Abbé Pierre aimait les maisons en béton



Non, non, je ne serai pas de ceux qui courent après l'Abbé Pierre au nom d'une sainteté présumée qu'il n'a jamais réclamée. Non, l'Abbé Pierre a fait assez de bien dans sa vie pour qu'on retienne surtout cela même si, bien entendu, cela justement n'enlève rien à ses mauvaises actions. 

L'Abbé Pierre était chrétien, accordons-lui ce qu'il réclamait pour les autres: compassion, compréhension, pardon d'un simple pécheur parmi d'autres.

Voilà. On parle architecture ?


Je n'en reviens pas que le témoignage des cartes postales permet , une fois encore, de se saisir d'une certaine histoire du logement social et d'urgence. Nous avions, (pour les plus fidèles d'entre vous dont vous êtes) pu voir comment à Brignais l'expérience des Maisons Ballons de l'Abbé Pierre a été enregistrée. Mais ici, ce qui me séduit particulièrement c'est que l'on voit les Maisons Ballons dans leur espaces et qu'elles sont habitées et aussi que c'est Combier qui enregistre cette expérience grâce à son si célèbre service de vues aériennes. Il est donc certain pour cette carte postale, par rapport à celles que nous avions publiées, qu'elle fut bien diffusée régulièrement dans les lieux habituels de vente de cartes postales ce qui implique une certaine reconnaissance au moins locale de l'expérience. On note que la carte postale est affranchie en 1971 mais est bien plus ancienne. Une main attentive a noté que les maisons furent détruites dès 1973 ce qui leur fait un temps de vie très court...Pourquoi donc ?

Quand on regarde cette carte postale, on pense immédiatement aux Maisons Ballons de Dakar et il ne fait alors aucun doute qu'il s'agit bien là du système de maisons de Wallace Neff, système de béton projeté sur structure gonflable et réutilisable.

Restent des questions ouvertes à des chercheurs, des historiens de l'architecture : comment l'Abbé Pierre a cru trouver dans ce modèle une solution au logement d'urgence ? Comment donc furent commanditées ces constructions ? Avec la participation de Wallace Neff ? Le lotissement photographié ne comporte que cinq Maisons Ballons sur un terrain dont les jardins sont à peine esquissés. Comment les familles furent choisies ? Quelle réception positive ou négative ces maisons si particulières ont reçu de la part de leurs habitants et du reste de la ville de Brignais ? Et pourquoi cette histoire, il me semble, est complètement oubliée alors que la Maison des Jours Heureux de Jean Prouvé pour le même Abbé Pierre est devenue une icône malheureusement inutile à sa cause ?

En regardant au compte-fil, je remarque devant l'une des Maisons-Ballons une silhouette qui regarde l'avion passer au dessus d'elle. C'est touchant cette présence.

Alors ? Combien encore de surprises aussi importantes pour l'Histoire de l'Architecture aurons-nous à découvrir ? C'est bien ce qui semble un infini qui nous donne encore cette énergie et la certitude que les cartes postales sont bien une source plus qu'à privilégier dans des recherches. C'est une forme presque neutre pour des archives joyeuses, populaires, accessibles à qui s'en donne la peine.

Qui à Brignais, qui à la Fondation Abbé Pierre sera raconter cette histoire ?

David Liaudet




Pour voir ou revoir les Maisons Ballons de Brignais ou d'ailleurs :

https://archipostalecarte.blogspot.com/2023/10/lautre-maison-experimentale-de-labbe.html

https://archipostalecarte.blogspot.com/2022/05/des-bulles-de-beton-pour-les-sans-abri.html

https://archipostalecarte.blogspot.com/2019/08/labbe-pierre-et-sa-boule-zero.html

https://archipostalecarte.blogspot.com/2015/02/wallace-neff-est-gonfle.html

https://archipostalecarte.blogspot.com/2021/01/y-bon-nichonville.html

https://archipostalecarte.blogspot.com/2013/06/dair-et-de-beton-wallace-neff-dakar.html

https://archipostalecarte.blogspot.com/2022/11/maisons-ballons-demandez-miguel-mazeri.html


dimanche 18 août 2024

Vous auriez des assiettes moches ?*




Dans les traces populaires de la réception du Patrimoine Architectural Moderne, il y a bien beaucoup de possibles. Les cartes postales en font partie bien entendu mais aussi des articles sur l'architecture dans des revues non-spécialisées, les sacs plastiques, les portes-clefs bref souvent des objets de souvenir ou de tourisme produits en grand nombre.

Il en va alors comme des cartes postales et c'est notre étonnement à découvrir ces objets qui nous trouble bien plus que les objets eux-mêmes car, finalement, on reconnait bien leur droit à exister, presque leur logique. Si une construction moderne est populaire, reconnue, visitée, pourquoi donc, en effet, ne serait-elle pas représentée comme plein d'autres objets touristiques dans des artefacts aussi communs ? Alors ? Pourquoi cet étonnement si ce n'est qu'aujourd'hui cela nous semblerait impossible.

L'assiette-souvenir fait bien partie de ces artefacts. Je les collectionne.
Enfin...je devrais dire que, comme pour les cartes postales au début de ma collection : je les ramasse.
Je veux dire par-là que ce qui compte c'est la rencontre au petit hasard, sous une pile d'assiettes décorées, de tomber sur une qui concerne notre intérêt. C'est ce moment-là qui compte vraiment le plus, ce moment de surprise, de rencontre, ce Ah... qui réjouit et qui étonne. Vous allez, sans doute, à la lecture de cet article, vous-même pousser ce genre de petits cris étouffés de bonheur (si, si, je vous l'assure).

Pour ce faire, je vais commencer par un chef-d'oeuvre, sans doute le clou de ma collection, l'une des assiettes-souvenirs les plus incroyables, je devrais dire improbables, de part l'objet architectural ainsi représenté mais aussi de part son style qui lui est si ostensiblement éloigné !



Alors ? Je vous avais prévenu !  
Voilà bien une assiette en quelque sorte programmatique de ma collection ! Celle-ci est un ensemble de signes qui me font de l'oeil comme si il était impossible que je ne la possède pas. D'abord, bien entendu, l'architecture représentée : l'église Sainte-Bernadette du Banlay à Nevers par Claude Parent et Paul Virilio. Il n'est plus la peine de dire ici ma relation avec ces architectes. L'autre signe est la date : 1967 ! Ma date de naissance ! 
On admirera comment J.M pour A.Montagnon a réussi à traduire les traces du banchage du béton par de simples mais si beaux petits coups de pinceau formant la matérialité du béton de Nevers : remarquable traduction. Sur la page Wikipédia, j'apprends d'ailleurs que la Famille Montagnon fut bien à l'origine de la poursuite de la grande tradition de la Faïence de Nevers et c'est vraiment une joie de voir ainsi un art populaire, ancien, venir se croiser avec une architecture moderne. On note aussi la belle simplicité du décor.
On voit là, déjà, dans ce mélange des genres (style et objet) quelque chose qui nous rappelle immanquablement le travail drôle et puissant d'un Wim Delvoye. Si la famille Montagnon pouvait nous raconter son approche de Sainte Bernadette de Nevers ce serait fantastique... Y-a-t-il eu d'autres exemples de l'utilisation et de productions avec comme motif Sainte-Bernadette du Banlay ?
Quelle joie cette assiette !

Je continue avec une autre production s'accrochant à une tradition de la céramique : Rouen.
Je continue avec donc un autre type de proximité personnelle :




Je ne suis pas allé bien loin pour trouver celle-ci ! Mais avouez que là également, le désir de croisement entre architecture moderne et contemporaine et fabrication  traditionnelle est bien réussi et nous emporte avec un certain étonnement mais aussi avec un certain humour.
Le dos nous informe aussi un peu.
Et...j'ai un doute sur la réalité du fait main du décor central, celui de l'église du Vieux Marché de Rouen dont les architectes sont Arretche et Gaudin. Une oeuvre magnifique d'ailleurs, absolument immanquable. J'ai raison ! Avec mon compte-fil, comme pour mes cartes postales, j'observe nettement que l'image centrale est tramée...Donc il s'agit d'une décalcomanie apposée et cuite. Je pense que le décor main de Marli est seulement réservé pour les bords qui reprennent bien les teintes et motif de la céramique de Rouen. On note que le modèle porte le numéro 241 ce qui pourrait signifier qu'il existe d'autres modèles d'assiettes avec un autre motif de l'église. Je ne sais pas si cette assiette a eu un grand succès commercial, si elle fut produite au moment-même de la construction de l'église et je n'ai jamais revu ni à Rouen dans les boutiques ni ailleurs ce modèle-ci.

Toujours une tradition de céramique et toujours un contraste :




C'est la toute première de mes acquisitions ! Le doigt dans l'engrenage ! Reconnaissez-vous la construction au centre de cette assiette en bleu de Delft ?
C'est écrit au dos mais sans le nom des architectes : Maaskant, Van Dommelen, Kroos et Senf. J'en aime l'audace du point de vue sur cette superbe architecture et l'idée de la glisser dans un décor aussi marqué historiquement. On notera tout de même un certain flou, une certaine mollesse du dessin peu précis. On dirait que ça a trop cuit ! Mais comment ne pas être séduit immédiatement par ce choc des représentations. Difficile là aussi de savoir ce qui a déterminé et ordonné ce besoin de fabriquer un tel objet, de savoir comment il était distribué.

Même si, comme pour les cartes postales, j'aime mieux les vues simples que les cartes en multi-vues comment donc renoncer à l'acquisition d'une telle pièce :







On notera là encore le choix du bleu comme signe d'une certaine tradition de la céramique peinte. J'adore la réduction graphique des représentations des architectures et toutes celles-ci ne vous donnent-elles pas envie de vous rendre à Toronto !
Faisons la liste des architectures représentées :
- Ontario Place et son dôme : Eberhard Zeidler, architecte
- Roy Thomson Hall : Arthur Erickson, architecte.
-New City Hall :Viljo Revell associé à Heikki Castren, Bengt Lundsten, Sepo Valjus.
(sans doute l'une de mes architectures préférées)
- la tour panoramique, CN tower qui occupe le centre de l'assiette.
On ne cherche pas où pouvait bien être vendu ce genre de souvenir ! C'est assez clair. On notera tout de même que cela démontre que la ville se reconnait beaucoup dans son architecture moderne et contemporaine qui est perçue comme une attractions, a place to be.
Là aussi, l'assiette est bien une production industrielle mais ici qui n'est pas rattachée à une tradition de la Faïence mais en reprend tous les signes. Une petite étiquette nous indique même que l'assiette aurait été produite...au Japon...

Attention ! Monument !




Voilà donc une assiette nous montrant le Berlin moderne, celui de l'après-guerre, celui de l'Ouest aussi. Je pense évidemment que ce type de production date d'avant la chute du mur. Comment résister à un tel esprit à la fois de synthèse du dessin et absolument kitch pour le bord de l'assiette ! Quel mélange audacieux ! On voit donc parfaitement l'église du Souvenir de l'Empereur Guillaume (Kaiser-Wilhelm-Gedächtniskirche) en ruine reconstruite par Egon Eiermann (un chef-d'oeuvre absolu) et l'immeuble avec le logo Mercedes sur son toit, l'Europa-Center, par les architectes Hemut Hentrich et Hubert Petschnigg. On ne peut pas faire plus occidentale et internationale comme architecture. On notera avec amusement que le logo Mercedes côtoie la minuscule croix de l'église et la domine un peu. Cette assiette fut produite par Schedel Bavaria dont on admire la marque au dos de l'assiette.
Et l'inscription Berlin Bleibt Berlin (Berlin reste Berlin) est assez touchante et encore vraie aujourd'hui.

Voici l'une des plus spectaculaires et qui me fut offerte par Claude Lothier. Merci Claude :
N'est-ce pas merveilleux comme souvenir de New-York ?






Tout est réussi : dessin, couleurs, mise en scène de l'Empire State Building. On devine facilement où cette assiette a, sans aucun doute, été achetée, surtout que le dos de l'assiette enfonce le clou de manière claire et très complète ! On note tout de même que l'Empire State Building est entouré de deux autres architectures du Vingtième Siècle : le Coliseum et Palais des Nations Unies. On note aussi l'absence du World Trade Center, ce qui permet à mon avis de dater cette assiette d'avant sa construction. On note encore que cette superbe qualité de fabrication est de la célèbre fabrique Johnson Brothers England. Il s'agit donc d'un produit d'importation. Quelle merveille !

Avec le même motif central et toujours à New York :





Même si cette assiette reprend bien les codes graphiques anciens (on pourrait y voir un hommage à Little Nemo) il ne fait aucun doute qu'elle est bien plus contemporaine que la précédente. Un détail le montre clairement : une nomination du Kennedy International Airport. J'adore le dessin de la ville au pied de l'Empire State Building ! Petits volumes tout nets. On aime voir là encore le Palais des Nations-Unies et aussi le Rockfeller Center. 






Certaines architectures sont en quelque sorte attendues dans ce genre. Quand la laideur de certaines constructions rejoint le kitch, le surjeu des objets du souvenir...tout s'accorde pour une production assez caricaturale. Pas de doute que les machines du Futuroscope hurlant leur modernité et leur pseudo-avant-garde auront su trouver dans ces objets une certaine forme de légitimité. En ce sens, ces deux productions que je ne boude pas, sont exemplaires.
Les deux sont "signées" Yves Deshoulières" dont on ne sait pas si il s'agit du concepteur ou du fabricant.




Ce très grand plat nous montre donc l'Hôtel de Ville de Villerupt. Mais pourquoi donc ? Pour qui ? Qui décida un jour que cette petite architecture moderniste mériterait ainsi une production aussi ambitieuse ? Le dos nous réserve la surprise d'une production en Longwy décorée "à la main" ! Tout cela sent tellement les années 50-60 ! Surtout ce glacis noir profond dans lequel brillent de petites étoiles. Cadeau de la Ville de Villerupt pour des invités privilégiés ? Et combien reste-il de ce modèle  que je trouve si touchant dans son désir de bien faire. Peu d'infos sur les architectes Gilbert et Laporte de cet Hôtel de Ville très moderniste pour en dire quelque chose mais le bâtiment semblait très bien dessiné.



Et comment ne pas finir avec cette assiette que j'ai achetée hier (!) et qui me décida à vous montrer ma collection. Je n'ai pas grand chose à vous dire encore sur Royan, vous savez la place de cette ville dans ma vie et dans mes rêves d'y vivre malheureusement pas encore aboutis. On notera tout de même que ce n'est pas une production d'une grande qualité, ni le dessin, ni les choix graphiques ne permettent de se réjouir vraiment...On devine que le Casino est encore debout, ce qui signifie que le modèle du dessin est antérieur à sa destruction mais je reste persuadé que cette assiette-souvenir de Royan est bien plus récente que ça. Et choisir Notre-Dame et la Conche en lieu et place du Marché est aussi, pour moi, la certitude qu'il doit exister des assiettes de Royan avec le Marché. Cela ne fait aucun doute.

Pour finir, vous aurez compris que si j'aime me faire surprendre comme hier avec l'assiette de Royan, il y a forcément des bâtiments que j'aimerais trouver. N'importe quelle construction de Le Corbusier me ravirait et pourquoi pas Ronchamp par le céramiste Bézard ami de Corbu ? Et le centre Pompidou ? Je suis certain qu'il existe aussi des assiettes de ce bâtiment...Et pourquoi pas aussi rêver à des assiettes-souvenirs de Sarcelles, Grigny ou des Tours Nuages de Nanterre...Qui sait...
Continuons de chercher.
Pour voir les céramiques de Bézard, ami de Le Corbusier :
Ne pas oublier l'excellente revue Profane qui aime regarder ce genre d'objet autour de l'architecture :

* c'est l'expression détournée de celle que j'utilise pour demander et nommer normalement des cartes postales moderne sur les vides-greniers.


samedi 17 août 2024

Les Beautés d'Israël

 Il existe pour les amateurs d'architectures modernes des pays qui résonnent comme des utopies réalisées, comme des lieux prouvant dans le vrai les chances d'une certaine réalité concrète et bâtie.
Les amateurs d'Urbex appellent ça un spot.
Le Brésil et bien entendu Brasilia ou Rio, les pays de l'ancienne U.R.S.S. font partie de ces espaces imaginaires ou imaginés, vus aussi comme des lieux et des pays remplis de merveilles vraiment construites. Royan aussi.

Dans mon imaginaire, un autre pays me fait cet effet : Israël.
Nous avons déjà évoqué ici sur mes blogs certaines architectures ou certaines créations venant de ce pays. (voir en fin d'article)
Mais voilà que je rassemble depuis peu quelques nouveautés et je crois que c'est le moment de vous les montrer, de les partager. On verra que des croisements et des hasards un rien détachés de l'Architecture ajoutent à mon vif intérêt pour certaines constructions, certaines villes de ce pays.
Se croisent chez moi plusieurs choses : d'abord Julien Donada m'envoie un lot de cartes postales de ce pays et me laisse en faire quelque chose. Puis, depuis les vide-greniers j'y ajoute un peu de mes trouvailles et enfin, je passe une partie de l'été à regarder la série Shtisel sur Arte et j'aime tenter d'y comprendre les articulations urbaines, les manières d'habiter et de traverser les espaces publics et intimes par cette famille.  En ce sens, le balcon semble un lieu essentiel des appartements. C'est passionnant rien qu'à ce titre, cette série ! Et je l'avoue la présence de Yoav Rotman n'est pas pour rien aussi dans ma joie de la regarder. Hanina Tonik est le personnage que je préfère. Rien que son nom est magnifique.



On sait tous comment, par exemple, l'héritage (peut-être un peu mythifié) du Bauhaus aurait couvert la ville de Tel-Aviv de constructions, comment il va de soi aujourd'hui de dire que c'est le spot idéal pour voir cet héritage. Sans doute.
J'aimerais bien faire ce voyage pour vérifier la densité de ce rêve et sa réalité. Je ne sais pas à quel point cette réputation est surestimée. Mais, même si elle est un peu usurpée, j'en aime l'idée et ça ajoute à mon désir mais surtout à ma projection imaginaire. Et vous le savez, je ne suis pas un grand voyageur, c'est le moins qu'on puisse dire...

On commence ?


Cette magnifique carte postale de l'Hôtel de Ville de Bath-Yam (Municipal Building) nous montre donc une construction dont Julien nous indique sur une petite note manuscrite être de Zvi Hecker, Alfred Neuman et Arieh Sharon. Si le bâtiment me laisse coi d'admiration et d'étonnement, il faut dire que la carte postale est elle aussi parfaitement construite avec ce personnage en scooter qui semble nous présenter le bâtiment. Bien entendu le jeu plastique de la façade qui semble entièrement occultée et les volumes sur le toit dans un bleu du ciel nettoyé donne à l'Hôtel de Ville une image primitive, presque africaine. La carte est une édition Isranof à Tel Aviv, non datée et sans nom d'architecte.


N'auriez-vous pas comme moi envie de réserver une chambre dans ce superbe hôtel Deborah (Debrah) de Tel Aviv ?
On y reconnait là un style international, on pourrait bien trouver cet Hôtel à Rio. Un bloc s'articule sur la rue (sans doute les services de l'hôtel) et en surgit une tour qui abrite les chambres. Admirez la mosaïque sur la façade, la saignée verticale sur la tour qui affine la verticalité du bloc, en allège aussi sa masse, on devine une immense terrasse sous des voiles de couleurs au second étage. Je trouve le nom de l'architecte : Yitzhak Toledano. Pour voir ce qu'il est devenu cet hôtel :


On ne boude jamais notre plaisir de voir un Hilton ! C'est toujours un grand moment ! Voici donc le monstre de Tel-Aviv !
La carte postale de E. Stanek voudrait nous laisser croire un un bâtiment surgissant derrière la végétation, comme un paradis au loin. Il a le droit à une page Wikipedia qui nous donne Yaakov Rechter comme architecte. Merci. J'adore ce genre de grosse machine implacable.


Une carte postale sur laquelle figure une Renault 8 est toujours une bonne carte postale même si ici évidemment nous regardons tous la belle barre qui se glisse derrière. Nous sommes devant le Trade Center de Ashdod grâce là encore à une carte postale Isranof. Pas grand chose à vous en dire...si ce n'est une certaine ambiance que, étrangement, nous pourrions reconnaitre comme familière.


Cette vue aérienne de Haifa est particulièrement spectaculaire car assez archétypale d'une certaine idée de la Modernité. Des petites barres jetées sur un terrain laissant entre elles des espaces verts, des axes routiers bien déterminés, une blancheur de bon aloi...tout cela sent l'héritage des CIAM ou plus exactement de la Ville Radieuse. J'adore.


Pour finir, cette belle vue de Tel-Aviv dont il est aisé d'aimer immédiatement la densité urbaine et quelques beaux morceaux d'architecture. 
On devine la superbe et brutaliste tour IBM-Tower appelée aujourd'hui Europ-Israel Tower qui domine tout. Absolument magnifique ! Si on en croit la page Wikipedia qui lui est consacrée, les architectes en seraient A. Yaski et J. Sivan.
Devant, un bâtiment tout en courbes blanches, c'est Asia House par l'architecte Mordechai Ben Chorin. Le contraste entre les deux constructions fabrique un très beau morceau de ville. Vous pourrez les revoir mieux ici :
On espère que nous aurons l'occasion de rencontrer d'autres beautés d'Israël. 
Pour ma part, je vais me plonger dans la thèse de Jérémie Hoffmann. Il parle de livres d'enfants, de sable, de blancheur et même un peu de Royan. J'ai trouvé quelques infos dans cette thèse mais j'ai vraiment envie de la lire avec densité. Voici ce lien :

Histoire de la ville blanche de Tel-Aviv: l'adaptation d'un site moderne et de son architecture.
Jérémie Hoffmann, sous le regard de Richard Klein, ce qui est un excellent signe.
Bonne lecture.

Je remercie Julien Donada pour son envoi.

pour voir ou revoir Israël sur ce blog :


vendredi 16 août 2024

Matisse, les gestes dedans l'architecture

 Peut-on parler d'une architecture et la  comprendre sans vraiment la voir, du moins sans voir sa silhouette extérieure ? Pourrait-on en comprendre son sens, sa poésie seulement par quelques détails et quelques manières de l'habiter ?
On peut facilement répondre oui à ces questions quand la construction est une icône et qu'elle ne nécessite nullement à nouveau d'être montrer. Elle est tellement inscrite dans nos imaginaires et pour certains d'entre nous dans nos souvenirs (différence de l'usage) que, finalement, on peut facilement se passer d'une trop large vision de son extérieur.
La Chapelle de Vence fait partie sans aucun doute de ce type de références architecturales. Les amateurs de peinture, les aficionados de l'architecture et de l'art moderne n'ont sans doute pas besoin de voir en effet la dite-Chapelle.
Ce matin, je me réjouis de tout un petit lot de cartes postales et de photographies de cette Chapelle de Vence que, (eh oui...), personnellement je n'ai jamais visitée. Mais ne me jetez pas la Pierre trop vite (c'est celle sur laquelle je construis mon église imaginaire) je crois que je peux dire qu'à force d'en voir des images, des représentations, des dessins ou des photographies je la connais bien. Et, non, je ne rougirai pas d'une telle assertion !
Surtout que, dans ce petit lot, je me réjouis de trois cartes postales, cartes que je cherchais tout particulièrement et qui nous montrent un prêtre portant les magnifiques chasubles dessinés par Matisse. Je n'aime pas ces images, je les adore, je les vénère.





On notera d'emblée qu'il me semble que ce soit bien trois prêtres différents ainsi habillés qui nous présentent les magnifiques peintures-collages devenus vêtements de Matisse. Les trois cartes sont du même photographe : H. Adant. Je ne sais rien de lui et j'ose rêver à une seule prise de vue des trois poses expliquant que les porteurs soient différents. Tout cela sent un peu la mise en scène, le désir de bien nous montrer que l'architecture de cette Chapelle de Vence est aussi complétée par son usage et par la peinture de Matisse qui couvre tout : murs, vitraux, prêtres.
Et comme tout cela est d'une grande beauté, d'une extrême délicatesse presque, dans son vide magnifié, japonisant, zen. On dira simplement : dominicain.

Mais on pourrait aussi ajouter que cette Chapelle dans sa blancheur d'écran avait besoin pour être bien saisie en image de quelqu'un au travail, de quelqu'un qui danse ou qui pose pour en donner l'échelle, le blanc écrasant un rien les profondeurs, du moins, suspendant justement les échelles. Ici, bras écartés, gestes amples, masse du tissus des chasubles, tout cela s'accorde à nous dire la place de l'homme dans cette petite construction à la fois modeste et rigoureuse.
L'espace des oeuvres et des corps jouant à être  à leur tour des oeuvres (les prêtres deviennent des porteurs d'Art) c'est bien là l'essentiel de cette architecture dont le plan suffit à dire sa simplicité et seul l'angle de l'autel crée une perturbation, un doute, une malséance que le croyant saura reconnaitre comme celui de son doute. La perfection divine serait-elle faite ainsi d'un léger décalage, de ce qui semble une imperfection ? Un biais ?





Le même Mr Adant, photographe, nous montre une série de trois cartes postales permettant de lire un peu mieux l'espace. Mais là encore, ce que l'on perçoit surtout (et c'est bien ce qu'on veut nous montrer) c'est la projection des vitraux, leur presque trop grand désir à fuir de leur cadre. Le photographe n'arrivera donc plus à tenir de blanc dans ses prises de vue, toute la peinture de verre teinte la blancheur d'un ton doucereux de vert, de jaune, de bleu. Tout se teinte. Rien à y faire, ne pas lutter, juste accepter. Mais voyez-vous comment le sol ne rencontre pas le mur ? Comment une petite rigole vient séparer la verticale des vitraux à l'horizontal du sol ? Comment cela donne de l'assise ! Ça c'est bel et bien un vrai geste architectural, peut-être le plus précieux, le plus délicat.




Voici deux photographies qui ne sont pas des cartes postales mais qui sont tamponnées de La Chapelle du Rosaire et l'une d'elle de Eggermont, photographe. Toutes deux sont également annotées à la plume de novembre 1954. Matisse décède le 3 novembre 1954. On pouvait donc aussi acheter ce genre de souvenirs là-bas en ce temps. Le noir et blanc fait bien oublier ici la teinte dont nous parlions plus haut. Mais un détail me frappe sur l'une des photographies, un détail sans doute un peu ridicule mais qui m'intrigue : comment la porte du fond n'est pas bien ajustée et laisse le jour passer. C'est un peu, avec humour...inconvenant.




Pour finir, deux magnifiques, magnifiques dessins de Matisse.
D'abord, cette étude pour Saint Dominique dont la carte postale nous précise qu'il s'agit d'une lithographie. Qui a réussi à faire aussi pur, premier, essentiel depuis ?
J'ai compté : huit traits, huit lignes de crayon pour une telle intensité, une telle présence. Jalousie complète.
L'autre est aussi Saint Dominique, on en reconnait, si j'ose dire, le visage.
La carte nous dit qu'il s'agit cette fois de céramique.
La main est incroyable.
Tout est incroyable à Vence. 

On notera tout de même qu'aucune de ces cartes postales ne nomme les architectes qui réalisèrent avec Matisse La Chapelle de Vence : Auguste Perret, Louis Milon de Peillon avec les désirs du Frère Rayssiguier.

vendredi 9 août 2024

Corbusier ? Ronchamp ? What the fuck ?!

 Nous croyons toujours avoir fait le tour d'une certaine analyse possible des images. Et puis, au fond, finalement, cette analyse a l'air peu utile puisque aujourd'hui l'accumulation des images suffirait à construire une oeuvre, une idée et pire une critique. 

L'Instagramabilité des images (ce mot entrera dans le Robert bientôt) est même le seul et dernier acte de critique en architecture, art qui a pris le pli de cette révélation unique. L'immonde tour Alta (Altra raté) au Havre en est l'exemple. Il y en a des milliers comme celle-là mais celle-là, faut l'avouer elle est comac.

On pense peu les espaces, on écrit plus de poésie sur leurs articulations avec le monde et l'analyse reste maintenant en retrait, l'important étant de faire signe. Avant on aurait dit : faire semblant. 

L'architecture d'aujourd'hui (oui...) fait-elle semblant de faire architecture au profit des images ? Elle imprime sur les rétines ébahies des effets parfois d'ailleurs réussis qui doivent marquer les esprits par la puissance attendu d'un étonnement. En anglais on dirait : what the fuck ?!

Alors quand un exemple devenu historique (et presque fautif) se joue justement de sa propre image, on espère toujours que cela remettra les pendules à l'heure. Ronchamp fut bien la surprise attendue réglant d'un coup les questions et principes de la Modernité*. Un suicide de l'ordre durement établi en quelque sorte, une tumeur bubonique qui est d'ailleurs volontairement imphotographiable, je veux dire que, d'un seul point de vue unique, on ne peut en rendre compte.

"J'ai vécu le coup de Ronchamp." Claude Parent.

Il était malin (pas agent du Mal) le Corbusier. Alors ce que très vite la culture critique de l'architecture appela le caillou a du être dans l'obligation pour en évoquer sa mouvance de multiplier les points de vue et cela pour le pèlerin fatigué comme pour le critique ou l'architecte informé. Ici, pas de jaloux, tout le monde est à la même enseigne de cette impossibilité : représenter.

En voici une petite suite :



Je commence avec une vue parfaitement abstraite, abstraction bien volontairement considérée par Corbu, ici magnifiée par un photographe resté anonyme. Charles Bueb ?

On note comme la composition est implacable et ne laisse aucune chance au regardeur de saisir de quoi il retourne. Un grand pan de crépi blanc occupe la moitié de l'image et l'autre est composé de formes et de contrastes dont il est impossible pour quelqu'un qui ne serait pas venu là de comprendre leur logique. Cette effet de formes perdues, comme jetées au hasard hardi d'une composition ne peut être l'objet que d'un photographe ayant compris le désir de l'architecte de former un cirque des tensions, une idée de la ruine, un morcellement des espaces. C'est un photographe (j'a envie de dire et d'écrire) corbuséen, voué à la tache de rendre les honneurs d'une architecture de chaos et de sensations. Une photogénie bien calculée. Il faut d'avance en aimer cette abstraction, faire comme si Corbu était là pour nous guider les yeux sur des compositions concrètes et  fabriquées pour faire justement des images. Il faut donc une sensibilité convaincue d'avance pour comprendre l'utilité d'un tel cadrage. Mais, bien entendu, ce qui nous saute au yeux c'est ce putain de crépi. Pourquoi donc nous coller le visage contre cette surface grumeleuse, volontairement sauvage, racoleuse, paysanne ? Pourquoi donc le noir et blanc sert-il ici à jouer ainsi des états de surfaces entre le lisse et le rugueux fabriquant les masses, les séparant par leur tonalité de gris. Du blanc ? D'accord ! Mais seulement si vous en supportez sa matière, son grain. On dit aussi le grain en photographie. Quelle autre architecture fut ainsi photographiée de si près, la tête dedans ? Quel est ce message radical ? 


Sur cette autre carte postale, toujours sans photographe, on note que celui-ci a réussi avec une Chapelle toute de courbes d'en déterminer un angle droit qui s'enfonce dans le ciel : un coin.

Le photographe saisit le ciel dans l'espace entre l'abri du pèlerin et La Chapelle, comme si leur rôle était bien d'établir ainsi un certain ordre du regard. L'architecture serait aussi dans les espaces laissés vacants par le bâti. C'est bien là une idée ancienne. Mais ici, justement, les formes de ce bâti restent peu reconnues, peu saisissables et il faut en connaitre le programme architectural pour en dire quelque chose. Il faut être un photographe acquis à la cause de l'architecte pour se permettre de fabriquer une image qui, au lieu de décrire l'objet, en fabrique d'abord une atmosphère dont le bâtiment lui-même est vu comme un révélateur de points de vues et dont l'usage s'efface à ce rôle. Là encore, il faut sans doute être un photographe corbuséen en quelque sorte, déjà convaincu ou ayant bien accepté cette vision et sa mission.
Il est alors difficile de dire ce qui est une pure fiction du regard, ce qui est déjà organisé par l'architecte, de dire comment c'est le bâtiment qui commande lui-même ses vues. Et que voudrait nous raconter cet aplat du ciel étendu à l'infini ? Que sommes-nous chargés de prendre en compte ? Un infini pointé du doigt ?
La grande quantité de points de vues édités en cartes postales (et en grande partie visibles sur ce blog) est bien là pour prouver le jeu plastique du cadrage sur un tel objet. Une Chapelle mouvante, changeante, créant des surprises parfois face à elle, parfois cadrant le paysage, le remodelant pas ses limites, sa présence. Ce n'est rien d'autre que ça que je voudrais raconter.
Et combien de fois encore cela va-t-il durer ?
Walid Riplet.


* voir mon texte et celui de Claude Parent, le coup de Ronchamp, dans l'ouvrage sur Charles Bueb et La Chapelle de Ronchamp.

Les deux cartes sont des éditions de la Société Immobilière de N.-D. du Haut, sans date, sans nom de photographe, sans correspondance.

Pour revoir Ronchamp sur ce blog (faut un peu de temps...) :