vendredi 9 août 2024

Corbusier ? Ronchamp ? What the fuck ?!

 Nous croyons toujours avoir fait le tour d'une certaine analyse possible des images. Et puis, au fond, finalement, cette analyse a l'air peu utile puisque aujourd'hui l'accumulation des images suffirait à construire une oeuvre, une idée et pire une critique. 

L'Instagramabilité des images (ce mot entrera dans le Robert bientôt) est même le seul et dernier acte de critique en architecture, art qui a pris le pli de cette révélation unique. L'immonde tour Alta (Altra raté) au Havre en est l'exemple. Il y en a des milliers comme celle-là mais celle-là, faut l'avouer elle est comac.

On pense peu les espaces, on écrit plus de poésie sur leurs articulations avec le monde et l'analyse reste maintenant en retrait, l'important étant de faire signe. Avant on aurait dit : faire semblant. 

L'architecture d'aujourd'hui (oui...) fait-elle semblant de faire architecture au profit des images ? Elle imprime sur les rétines ébahies des effets parfois d'ailleurs réussis qui doivent marquer les esprits par la puissance attendu d'un étonnement. En anglais on dirait : what the fuck ?!

Alors quand un exemple devenu historique (et presque fautif) se joue justement de sa propre image, on espère toujours que cela remettra les pendules à l'heure. Ronchamp fut bien la surprise attendue réglant d'un coup les questions et principes de la Modernité*. Un suicide de l'ordre durement établi en quelque sorte, une tumeur bubonique qui est d'ailleurs volontairement imphotographiable, je veux dire que, d'un seul point de vue unique, on ne peut en rendre compte.

"J'ai vécu le coup de Ronchamp." Claude Parent.

Il était malin (pas agent du Mal) le Corbusier. Alors ce que très vite la culture critique de l'architecture appela le caillou a du être dans l'obligation pour en évoquer sa mouvance de multiplier les points de vue et cela pour le pèlerin fatigué comme pour le critique ou l'architecte informé. Ici, pas de jaloux, tout le monde est à la même enseigne de cette impossibilité : représenter.

En voici une petite suite :



Je commence avec une vue parfaitement abstraite, abstraction bien volontairement considérée par Corbu, ici magnifiée par un photographe resté anonyme. Charles Bueb ?

On note comme la composition est implacable et ne laisse aucune chance au regardeur de saisir de quoi il retourne. Un grand pan de crépi blanc occupe la moitié de l'image et l'autre est composé de formes et de contrastes dont il est impossible pour quelqu'un qui ne serait pas venu là de comprendre leur logique. Cette effet de formes perdues, comme jetées au hasard hardi d'une composition ne peut être l'objet que d'un photographe ayant compris le désir de l'architecte de former un cirque des tensions, une idée de la ruine, un morcellement des espaces. C'est un photographe (j'a envie de dire et d'écrire) corbuséen, voué à la tache de rendre les honneurs d'une architecture de chaos et de sensations. Une photogénie bien calculée. Il faut d'avance en aimer cette abstraction, faire comme si Corbu était là pour nous guider les yeux sur des compositions concrètes et  fabriquées pour faire justement des images. Il faut donc une sensibilité convaincue d'avance pour comprendre l'utilité d'un tel cadrage. Mais, bien entendu, ce qui nous saute au yeux c'est ce putain de crépi. Pourquoi donc nous coller le visage contre cette surface grumeleuse, volontairement sauvage, racoleuse, paysanne ? Pourquoi donc le noir et blanc sert-il ici à jouer ainsi des états de surfaces entre le lisse et le rugueux fabriquant les masses, les séparant par leur tonalité de gris. Du blanc ? D'accord ! Mais seulement si vous en supportez sa matière, son grain. On dit aussi le grain en photographie. Quelle autre architecture fut ainsi photographiée de si près, la tête dedans ? Quel est ce message radical ? 


Sur cette autre carte postale, toujours sans photographe, on note que celui-ci a réussi avec une Chapelle toute de courbes d'en déterminer un angle droit qui s'enfonce dans le ciel : un coin.

Le photographe saisit le ciel dans l'espace entre l'abri du pèlerin et La Chapelle, comme si leur rôle était bien d'établir ainsi un certain ordre du regard. L'architecture serait aussi dans les espaces laissés vacants par le bâti. C'est bien là une idée ancienne. Mais ici, justement, les formes de ce bâti restent peu reconnues, peu saisissables et il faut en connaitre le programme architectural pour en dire quelque chose. Il faut être un photographe acquis à la cause de l'architecte pour se permettre de fabriquer une image qui, au lieu de décrire l'objet, en fabrique d'abord une atmosphère dont le bâtiment lui-même est vu comme un révélateur de points de vues et dont l'usage s'efface à ce rôle. Là encore, il faut sans doute être un photographe corbuséen en quelque sorte, déjà convaincu ou ayant bien accepté cette vision et sa mission.
Il est alors difficile de dire ce qui est une pure fiction du regard, ce qui est déjà organisé par l'architecte, de dire comment c'est le bâtiment qui commande lui-même ses vues. Et que voudrait nous raconter cet aplat du ciel étendu à l'infini ? Que sommes-nous chargés de prendre en compte ? Un infini pointé du doigt ?
La grande quantité de points de vues édités en cartes postales (et en grande partie visibles sur ce blog) est bien là pour prouver le jeu plastique du cadrage sur un tel objet. Une Chapelle mouvante, changeante, créant des surprises parfois face à elle, parfois cadrant le paysage, le remodelant pas ses limites, sa présence. Ce n'est rien d'autre que ça que je voudrais raconter.
Et combien de fois encore cela va-t-il durer ?
Walid Riplet.


* voir mon texte et celui de Claude Parent, le coup de Ronchamp, dans l'ouvrage sur Charles Bueb et La Chapelle de Ronchamp.

Les deux cartes sont des éditions de la Société Immobilière de N.-D. du Haut, sans date, sans nom de photographe, sans correspondance.

Pour revoir Ronchamp sur ce blog (faut un peu de temps...) :


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