dimanche 25 avril 2021

faudrait-il qu'il pleuve ?



Il est aisé de vite critiquer ce genre de perfection.
Et c'est souvent cette perfection qui est dénoncée comme une forme peu convaincante du réel, tout étant mis en œuvre ici, non pas pour servir le sujet, mais l'objet qui le montre : l'idéal de ce que nous attendons d'une carte postale.
Mais personne ne se pose vraiment la question de quoi est fait cet idéal ni de qui l'a décidé et encore moins de pourquoi, finalement, on s'y reconnait.
Pour partager un lieu et y exercer le droit de s'y projeter, faudrait-il qu'il pleuve ?
Faudrait-il que les lieux soient vidés ou que, au contraire, trop sur les premiers plans, agissant comme des écrans à l'espace, des personnes viennent sur le devant de l'image cacher les perspectives et voler la vedette aux immeubles ? Ne faudrait-il faire que des cartes postales qui auraient la sagesse d'attendre, attendre que les lieux trop neufs, trop purs, soient enfin dégradés et altérés par la vie pour que la vérité vraie de ces constructions s'exprime pleinement ?
Car je sais bien que ma réjouissance esthétique, la manière dont j'aime cette image va sans doute un peu à l'encontre d'une certaine réalité d'une vie qui se déroule dans ce cadre parfait.
Le bleu semble toujours bien venu dans les cartes postales et c'est souvent le ciel qui le sert. Un bleu trop tendu, trop parfait, trop égal, celui d'un été, d'une chaleur et aussi d'une transparence. Ici, le photographe des éditions Combier a eu une chance folle que la construction d'un urbanisme un peu propret ait offert aussi celui d'un petit bassin, trop petit pour que les enfants y nagent, trop peu paysagé pour nous faire croire à une attention au jardin à la française. Un peu joyeux mais aussi, c'est vrai, un peu minable. Il a beau être couvert de carreaux de faïence du même bleu que le ciel, cela ne suffira sans doute pas à ce qu'il finisse assécher un jour, devenant une bassine vide pour crotte de chien, dépôt de papiers, laissant le rêve d'un grand ordre se retrouver seulement dans les seuls  souvenirs justement de la perfection de ce moment de grâce : une carte postale.

Quelques enfants s'amusent sous l'œil d'une grande sœur dont le pull-over rouge permet si subtilement de faire le contre-point coloré. On admire la parfaite triangulation des enfants prenant bien tout l'espace du cadre mais laissant au photographe l'espace libre sur le milieu de son image. Le regard passe au travers. Il doit être midi, les ombres restent sous le dessous des choses et n'osent s'étirer sur le sol.
On cherche l'érable qui donne son nom à cette résidence de Viry-Chatillon dont l'éditeur nous donne le nom de son architecte : M. P. Ohnenwald.
Oh l'histoire de l'Architecture aura passé sur ce nom, et les quelques historiens pointus et fouineurs des Trente Glorieuses lui trouveront bien une histoire. Mais qui se souvient vraiment de lui ? Qui pour le remercier de cet ensemble ?
Et le faut-il ?
Sans doute, oui.
Et qui osera en aimer l'architecture, dire que peut-être on y a bien vécu, qu'il serait bien possible encore de croire en un avenir, que c'est là, construit solidement, et qu'il faudrait aussi aimer cette vérité : il s'agit d'espace, d'un certain ordre et donc, oui de beauté.
La vie ordonnée mais la vie tout de même.


1 commentaire: