dimanche 24 février 2019

Est-ce le regardeur qui fait le paysage ?


"...ah oui j'avais oublié ce cliché ! C'est bien Hans qui a pris la photographie et pas moi, aussi curieux que cela paraisse ! C'est bien moi de dos.
Avec Hans, on avait croisé par hasard cet ensemble, sur la route. Je m'étais promis d'en faire un reportage et finalement je ne l'ai pas fait. Le 11 juin 67... Oui c'est sans doute ça, je ne me souviens pas bien. Je sais que Hans avait offert ce tirage à tes arrière-grands-parents mais c'est moi qui avais fait le tirage. Par contre, je ne me rappelais plus que je découpais ainsi les bords, j'ai toujours détesté ça. C'est du papier Agfa, c'est celui que j'aimais et surtout que l'on trouvait facilement en Allemagne pour pas trop cher. Voilà, j'espère que je réponds à vos questions, les gars. Continuez le tri et faites remonter tout ça. La bise." 
Gilles Lestrade



Bien entendu, nous aimons beaucoup cette photographie car, au-delà de l'histoire personnelle et familiale, elle est porteuse d'un charme certain, un peu romantique, un peu nostalgique, un peu, aussi cinématographique. Dans une image de paysage, un personnage qui regarde vers un objet lointain, c'est toujours comme un hôte qui vous invite à regarder avec lui, un compagnon de vue, de paysage.

Aujourd'hui cette photographie serait impossible à faire, Vigneux a renoncé à son paysage et ses tours. Elles sont  détruites. Ah oui, c'est vrai, c'est dans... L'Essonne...


Pourtant, sans doute que de telles constructions auraient dû être sauvées car elles étaient, en quelque sorte, l'aboutissement d'un type et d'une idée de l'architecture. De plus leur grande plasticité, la fabrication d'un paysage, l'intelligence du mode constructif et leur position dans l'histoire du logement en France auraient dû permettre ce sauvetage. Mais voyez-vous, le petit commerce avait des trucs à vendre pas très catholiques, alors... le patrimoine... Des petits ensembles de cinq étages certainement peu ambitieux, écologico-joyeux viendront remplacer l'Histoire.
Dans un numéro de la revue L'Oeil de 1966, on trouve un article passionnant de Henri Duthu sur ce très grand ensemble. On le remercie d'avoir ainsi donné à Messieurs Lopez et Tourry la chance d'entrer au moins dans les archives. Nous sommes de cette génération qui regarde ces pages, ayant l'impression d'avoir loupé un Monde plus ambitieux, moins boutiquier de Province, petit élu gentil.
Nous remercions une fois encore Marc Lavrillier pour ses somptueuses photographies redressées. Finalement, entre souvenirs familiaux et archives de presse, l'Histoire de l'Architecture contient encore la possibilité de voir et surtout de croire que cela fut.
Walid Riplet, J-J Lestrade.










1 commentaire:

  1. Bonjour,
    je suis très heureux de retrouver cet article. En effet, je l'avais lu dans les années 80, adolescent vivant dans la campagne toulousaine, dans la revue l'Oeil. J'étais alors sidéré de voir ces tours, alors que je vivais au milieu des champs. Or il se trouve que quelques années plus tard, un déménagement m'amène au pied de ces tours, dans la ville de Draveil et je me suis fait des amis vivants dans cet ensemble. On ne peut que se réjouir de l'avoir détruit, de le trouver par terre. La vie y était profondément dépressive, sans avenir, ni joie ni partage. Et je ne parle pas des trafics en tout genre. Alors oui, il y avait certainement un geste architectural novateur, mais n'oublions pas qu'ils sont principalement habités par des gens qui cherchent à s'insérer dans la société. Nous ne pouvons réduire l'architecture à un art, il est avant tout un vecteur d'intégration sociale. La destruction est le résultat de l'échec de vie constaté après plusieurs décennies. Elles ont été remplacées par des immeubles bien moins ambitieux, des commerces basics mais légaux, mais ils remplissent leur fonction : Favoriser la vie ensemble. L'architecte compte peu.

    RépondreSupprimer