dimanche 20 décembre 2015

L'amour à 12H58





"Je t'ai d'abord regardée arriver du fond de cette allée piétonne et les couleurs venaient rythmer tes pas. J'avais de mon côté la main d'Alvar dans la mienne et je regardais sa mère, toi, venir vers nous deux, aussi simplement, tranquillement que si nous devions toujours faire ainsi : nous rejoindre.
Depuis que nous nous sommes rencontrés à la Grande Motte (tu t'en souviens ?)  depuis ce jour nous avons su que ce serait toujours comme ça, un désir permanent de se retrouver, de revivre l'intensité de ce moment.
Ton imper jaune était un petit soleil posé sur une paire de bottes noires que tu avais achetées à Cherbourg, j'en connaissais tous les secrets et j'aimais le matin les trouver debout, vides, à l'entrée de l'appartement, comme j'aimais ce geste si particulier que tu avais pour jeter cet imper sur un fauteuil ou le plier joliment sur le dos d'une chaise d'un restaurant. Il faisait du bruit cet imper jaune, un bruit de caoutchouc, un peu. Ça crissait. Je t'ai vue tant de fois, l'ouvrant généreusement, y installer Alvar comme si vous étiez tous deux, trottinant dans la rue, réfugiés dans une petite tente de camping ambulante. Et vous couriez tous deux, Alvar et toi, et vous vous amusiez tous deux de la pluie et vous râliez après moi que je n'arrive pas à ouvrir rapidement la porte de la Renault.
À Lyon, nous étions encore séparés. Tu avais voulu prendre du recul, réfléchir. Tu m'avais dit ça comme ça. J'avais compris. J'avais expliqué à Alvar, sans lui mentir, pourquoi parfois il faut être un peu loin pour aimer mieux. Nous avions attendu tous les deux à la maison ton retour. Alvar avait posé à côté du téléphone sa chaise, celle minuscule en rotin qui venait d'Allemagne, celle que Hans lui avait offerte pour ses deux ans. Il attendait là des heures que le téléphone sonne, que tu appelles. Tu as appelé. Nous avions pris le train pour venir te retrouver. Rien de précipité, tu n'as pas couru vers nous, tu as marché sous cette lumière colorée de ce pas décidé, affirmé et joyeux. Le rythme des talons de tes bottes était la musique dont Alvar et moi avions besoin. J'ai senti une tension dans mon bras droit. C'était Alvar qui tirait dessus, qui lâcha ma main pour faire, en courant vers toi, les quelques derniers mètres. Tu as fait ce geste que tu fais toujours avec lui de t'agenouiller, de te mettre à sa hauteur, de le serrer fort. Je n'ai pas bouger. J'ai regardée, usé à mort ma rétine pour retenir ça. C'est ma plus belle image, Sidonie.
Ma plus belle image.
Momo."
 - Tu as fait une faute à bouger que tu as écrit ER au lieu de É. Mais le ton est bien. Je ne te savais pas ainsi capable d'écrire comme ça.
 - J'ai l'air si bête frangin ?
 - Oh écoute tu sais bien... Qui te faisait tes rédacs au lycée ? Qui ?
 - Ba oui Gilles mais là c'est pas une rédac comme tu dis, c'est pour un anniversaire.
 - Oui, eh bien c'est bien. C'est bien tourné comme on dit. Et vous en êtes où tous les deux ?
 - Comment ça ? Où ?
 - Ça va mieux tous les deux ? Pas de nouveau départ ?
 - Oh non non ! C'est génial ! C'est une vieille histoire maintenant. Elle a même parlé d'un frère ou d'une sœur pour Alvar mais bon, j'suis pas chaud pour ça.
 - Ah ? Ça pourrait être bien pour vous et surtout pour Alvar. Il en pense quoi le gamin ?
 - Il est d'accord mais il veut pas changer les couches ! Tu crois ça toi ! Il a 10 ans et c'est sa seule pensée ! Il veut pas donner ses jouets non plus. Ni sa chambre...
 - Pas très chaud quoi ! Je vais lui parler. Hans aussi. Hans sait bien parler avec Alvar.
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 - Allo ? Allo ?..... Allo ?
 - Oui ? Je t'entends Jean-Michel, allo ?
 - Ah.... Allo ? Oui... Tu m'entends ?
 - Oui, c'est bon, je t'entends. Comment vas......
 - Allo ? Oui, bien , je vais bien. Je rentre pas ce soir, je .....
 - Quoi ? Ce soir tu rentres ce soir ? Allo ?
 - Pardon Madame, la ligne est très mauvaise, je n'entends pas bien ma femme.
 - Oui, Monsieur Lestrade je sais, ça fait ça des fois, tenez, mettez-vous là, sur mon poste, faites le 4 pour sortir et votre numéro.
 - Ah ! Merci. Merci. Allo ?
 - Ah ! Enfin, je t'entends bien mieux, tu m'as raccroché au nez !
 - Oui, j'ai changé de poste car l'autre ne marchait pas bien. Bon, écoute, l'essentiel c'est que je ne rentre pas ce soir, je reste jusqu'à demain, le directeur...
 - Quoi ? tu n'as pas encore su dire non ! Je te rappelle Jean-Michel que Hans et Gilles arrivent demain d'Allemagne et que ce serait bien que tu sois là pour Noël...
 - Oui, écoute ne t'énerve pas, je prendrai l'autoroute mais je dois finir le rendu de ce chantier ici.
 - Ah toujours ta conscience professionnelle ! Rien de ce que tu as construit ne s'est écroulé que je sache ? Bon... Il te faut combien de temps pour revenir de Pleaux ?
 - S'il n'y a pas de neige, euh disons... 6 heures... je serai...
 - Bien, bon, je mettrai la dinde à cuire en conséquence, tu verras que c'est encore Gilles et Hans arrivant d'Allemagne qui seront là avant toi.... Bon, fais attention à toi. Sois prudent sur la route. J'aime mieux que tu arrives tard que pas du tout.
 - Oui, Jocelyne. Je te le promets. Je t'embrasse ma Princesse. À demain.
 - Oui à demain. Je t'attends.



Par ordre d'apparition :
 - Lyon, Centre d'échanges gare de Perrache, mail piétons, Atelier d'Architecture et d'Urbanisme, René Gagès. Édition Combier, non datée, pas de photographe nommé.
 - Pleaux, centre de vacances C.C.A.S, le foyer, la nuit. Photographie et édition de Sully, pas de nom d'architecte.

Merci Claude pour cette donation.


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