Je ne ferai pas ce qui pourtant pourrait sembler naturel sur ce blog, un article tentant de comparer les photographies de Bernard Plossu sur le Havre et celles produites par les éditeurs de cartes postales sur cette même ville.
Non pas que je craigne que les cartes postales que j'aime ne soient pas à la hauteur, ni non plus pour affirmer à quel point la photographie plasticienne doit se détacher de ce modèle si rustre mais simplement parce que ces deux mondes sont chers à mon cœur, à mon œil et à mon esprit.
Et que j'aime bien plus les liaisons que les désaccords surtout quand ceux-ci s'inscrivent dans une doxa devenue faible, ennuyeuse, répétée à l'envi par ceux qui ont besoin d'une faiblesse partagée pour redire sans cesse les mêmes inepties et croire qu'ils pensent à leur tour.
Non.
Je préfère vous parler de plaisirs. Bernard Plossu nous propose donc en ce moment une série de photographies sur le Havre absolument superbes. Pourquoi ? Parce que la première chose qu'elles donnent à voir c'est une intimité - (j'avais écrit timidité).
Quelque chose de simple, celui d'un regard à hauteur d'homme, sans l'effet particulier d'un cadrage audacieux mais bien plus une attention fragile, ténue, celle d'une main tendue pour éviter la chute.
C'est fragile, parfois même presque indifférent. Mais tout tient dans l'ensemble à ce jeu que le photographe installe entre nous. Il nous dit qu'il est de notre monde, que comme nous il marche, voit, cadre, choisit, enregistre et rend enfin dans des petits formats parfois à peine plus grands que ceux de la planche contact et plus petits que ceux de la carte postale. Cela, voyez-vous, oblige le corps à l'approche, à viser presque la photographie sur le mur pour se laisser enfin entrer dans l'image. Les gens sont là, en groupe noirci, en ombres furtives, les automobiles, les paraboles sur les cheminées des villas, tout fait signe d'un contact de l'œil avec la ville et ses habitants. Pas ici de formalisme vain, ni de tentative de jouer l'abstraction géométrique de la ville de Perret comme un Lucien Hervé, mais une vison ouverte, joyeuse avec parfois un goût pour une nostalgie étrange. Des side-cars, des Renault 4, des capots d'automobiles un peu anciennes mais vivant là s'accrochent aux photographies comme pour leurrer et amuser le regardeur de son Havre si marqué de son époque. Mais soudain me saute au yeux une particularité. Souvent dans les gris du ciel, je remarque des signes, des tonalités déplacées. Il s'agit du reflet d'objets pris dans le pare-brise du véhicule depuis lequel photographie souvent Bernard Plossu. Au-dessus de containers marqués Italia apparaissent bien ces types de traces douces. Et j'aime ça ! Car cette place derrière la glace de l'automobile dit tout de cette position au monde du photographe. Il est avec nous. Il ne tente pas une hauteur conceptuelle et programmatique, il tient seulement à maintenir dans le temps de pose et dans le cadre le surgissement soudain d'une évidence d'images. On s'amuse autant de la brume sur un café que des porte-livres abandonnés dans une vitrine de la bibliothèque. C'est bien là une poésie.
Et comme au Musée Malraux on ne fait pas les choses à moitié, ce superbe accrochage de Bernard Plossu est introduit par une série de photographies du Havre réalisées par le Ministère de la Reconstruction et de l'Urbanisme dont on pourra mieux comprendre l'importance en lisant l'ouvrage de Didier Mouchel sur cet objet photographique. Mais quel plaisir ces images d'un Havre renaissant, sensible et même parfois drôle qui vise à dire le dynamisme de la période et l'effort de la France, tout cela avec une photographie certes gouvernementale mais qui reste humaniste et joyeuse. On profitera aussi du très bel accrochage réalisé par Véronique Souben intitulé De la ruine à l'architecture utopique qui nous propose une selection d'œuvres d'art très variées allant d'Hubert Robert aux utopies architecturées du XXème siècle. ces trois expositions forment une cohérence de propos, des écarts de points de vue, bref une riche promenade qu'il ne faut louper sous aucun prétexte. Lorsque vous vous retrouvez dehors, vous sentez une envie impérieuse à votre tour de photographier le Havre et d'apprendre à le regarder de nouveau.
Je vous propose de regarder des cartes postales éditées à l'occasion de cette exposition, qui reproduisent des photographies de Bernard Plossu. Elles sont éditées par La Galerne. On regrettera leur prix vraiment exorbitant que même un bord blanc pour faire carte postale d'artiste ne justifie pas... S'il vous plaît, la carte postale est populaire...
Et voici deux "vraies" cartes postale du Havre :
Celle-ci écrite le 6 juillet 1958, nous montre une vue si parfaite avec son premier plan de tulipes plantées dans le jardin de l'Hôtel de ville. Eh quoi ? Il faudrait faire semblant de ne pas les avoir vues ces tulipes ? Bien droites, fragiles, elles sont à l'image de la renaissance de la ville, fières, identiques et très présentes. Il s'agit d'une édition La Cigogne pour André Leconte. Pas de nom de photographe.
Cette autre, vue de haut, nous montre le square et peu finalement, l'architecture reléguée au fond de l'image. Ici on chante la verdure, le parc, une France reconnue, celle de la promenade de la nourrice, de la petite vieille qui donne à manger aux pigeons et des amoureux en rendez-vous...
Je suis certain que Monsieur Plossu aurait aimé faire ces images. On notera qu'aucun des correspondants ne dit rien en bien ou en mal de l'architecture de Monsieur Perret !
Pour toutes les informations pratiques sur les expositions, vous pouvez aller là :
http://www.muma-lehavre.fr/fr/expositions
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire