Peut-on tenter ainsi de comprendre, aimer, rejeter un espace ?
Dans mes mains, une carte postale de Villeneuve-la-Garenne nous montrant la Cité "Terre et Famille".
On a le nom de celui qui regarde : Claude Lebegue. Chose extrêmement rare, en plus de ce nom de famille, est ajouté par l'éditeur Eurolux la mention suivante : le photographe de Villeneuve-la-Garenne.
LE photographe...
Est-ce là un photographe officiel de la ville ?
Nous sommes en hauteur, au troisième ou quatrième étage de la barre qui courbe à droite. Il faut donc imaginer que le photographe a demandé à ce qu'un habitant lui ouvre sa porte. Il s'est présenté, a dû donner la raison de sa visite, pris un café peut-être. Son habilitation officielle a dû lui faciliter cet accès, il a donc pu choisir parfaitement son point de vue, sa hauteur, son cadre et même son jour (lumière et heure).
Quel était l'objet de ce cadre ? Si on en croit le titre de la carte postale, il s'agissait de montrer les logements, or ce que vise Claude Lebegue c'est bien plus la vue et le vide entre ceux-ci. On pourrait dire que c'est comment les logements et l'architecture forment un vide, le dessinent. On appelle cela l'espace vert, le jardin, le parc selon l'échelle de grandeur de ce lieu, sa destinée, ses aménagements. Ici, il s'agit d'un parc si on on croit la taille et la présence massive, même si encore jeune, des arbres. Claude Lebegue laisse aussi l'ouverture entre les constructions au loin montrer la ligne haute-tension et former une perspective puissante comme pour une Tour Eiffel de la banlieue.
Mais finalement, on voit peu l'architecture. Je veux dire on n'en voit que la grille des façades raccourcies et resserrées sans bien en comprendre le dessin ni bien sûr le plan. On devine pourtant une rythmicité bien tempérée surtout pour la barre de gauche dont on comprend que le rez-de-chaussée est aveugle et dont les ouvertures sont verticales... Perret a gagné... Pas de pilotis... Corbu a perdu...
On devine aussi un plan qui permet aux deux barres de se voir sans être dans une proximité étouffante, l'une faisant écho à l'autre et dont l'objet de leur rassemblement est bien le parc qui est très dessiné offrant des alcôves derrière des petites haies. Nous sommes semble-t-il dans la barre la plus haute qui domine d'un étage ou deux celle de gauche. La tension entre les deux barres semble adoucie, tranquille. Il est bien question ici de fermer à la ville cet espace en lui offrant une forme intime comme prise entre les bras de l'architecture. Tout est silencieux toujours dans les images. On connaît le nom des architectes Herbé, Le Couteur et Appert. On les connaît bien.
Il s'agit d'une architecture sérieuse, bien conçue souvent dans son plan-masse, faisant de la préfabrication une esthétique de la grille dont la barre le Couteur au Mans est un chef-d'œuvre menacé.
Le photographe se met à la fenêtre, il tourne donc le dos à l'espace domestique pour projeter son corps au dehors. Il dit que l'architecture c'est ce que l'on voit depuis l'architecture. Il dit le jardin, la joie de vivre, l'œil qui observe. Il dit un espace mi-privé mi-public qui est délimité par deux murs habités. On ne sait rien de cette fenêtre, de sa détermination, de sa hauteur, de l'air, du soleil, de l'espace qui entrent là. On ne sait rien de sa promesse d'intimité, de son héritage moderniste. On ne sait rien de l'habiter. Claude Lebegue, le photographe de Villeneuve-la-Garennne ne donne à voir finalement que le vide puissant sur un ciel grand. Il dit que le dehors fonde sans doute le dedans et que le bonheur de vivre là doit venir de ce vide utile à tous.
Mais est-ce bien lui qui cadre ? N'est-ce pas plus certainement une forme de politique de l'image qui fait le travail d'un photographe officiel ? Pourquoi et pour qui est-il venu ici ? Que lui a-t-on dit de regarder et d'enregistrer ?
J'entends derrière lui l'habitante qui dit la belle vue sur le jardin, comment elle voit le petit dernier rentrer de l'école, comment aussi les cris des enfants rebondissants sur les parois obligent parfois à fermer la fenêtre mais "que voulez-vous, il faut bien que les enfants s'amusent..."
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