Mais pour l'instant, chaque fois qu'il lançait en avant son pied gauche, il espérait juste que sa chaussure resterait attachée à son pied. Il se donnait des objectifs de distance pour se voir avancer. Là, la DS rouge qui lui rappelait celle de son père, puis le clocher de l'église.
Et ce ciel bleu qu'il aimait tant d'habitude, ici l'exaspérait car sans nuage, il ne donnait aucune ombre. Il fallait avancer.
Il ne put encore une fois que constater qu'il n'avait pas une seule pièce de monnaie dans le fond de sa poche pour passer un coup de fil, appeler la maison ou la boutique de chaussures où travaillait sa mère. Il se dit qu'il avait encore une heure ou deux avant que la famille s'inquiète de son absence. Il faudrait que Gilles rentre lui-même, qu'il dise que Momo était parti tout seul, et qu'il devrait déjà être là pour que Jean-Michel, leur père, avant même de voir l'angoisse monter sur le visage des deux femmes prenne sa voiture pour aller à la rencontre et à la recherche de Momo avec Gilles comme guide.
Momo parfois, arrivait à regarder la ville pour ce qu'elle était. Il faut dire que sa formation et l'éducation de Jean-Michel lui avaient appris à aimer le bâti, le mur, le refend d'une rue. Il se disait que l'absence de piéton disait quelque chose de la ville et que, une fois qu'il se serait fait houspiller par Jean-Michel, il pourrait lui raconter, pour se faire pardonner la peur, qu'il avait aimé voir la ville ainsi, vide.
À gauche, il aima ce parking et sa flèche sur la façade. Il se donna comme objectif de penser à sa reconversion en immeuble d'habitations, cela serait un bon exercice pour penser à autre chose qu'à mettre un pied devant l'autre. Mais trop vite, les yeux du refus de Sidonie à cette soirée revinrent se poser sur le mur aveugle de l'immeuble.
Il était parti comme ça, sur un coup de tête.
Momo, il avançait toujours comme ça dans la vie. Sur des coups de tête. Personne ne l'avait vu partir. Personne ne le voyait jamais partir même Gilles qui pourtant le connaissait bien. Gilles portait d'ailleurs cette angoisse d'un départ permanent de son frère d'adoption. Comme une fatalité à venir.
Momo surveillait les bruits de moteurs, les Ds Citroën, et commença à sentir au bas du dos un tremblement qui monta jusqu'au cou. Il était épuisé non par sa marche mais par l'angoisse qu'il devinait dans la famille. Il essayait de retenir ses pleurs. Il s'en voulait terriblement.
Le ciel devint gris d'un coup comme pour lui permettre de mieux lire les objets architecturaux. Au loin, il reconnut cette forme blanche rayée de noir. Il reconnut la gendarmerie. Et, son cœur se mit à prendre un rythme de plus en plus accéléré lorsqu'il comprit en même temps qu'il lui suffisait de rentrer pour téléphoner et que, là, garée sur le parking, il y avait une Ds qui ressemblait beaucoup à celle de Jean-Michel. Deux espoirs en même temps. Il n'eut pas le temps d'arriver à la hauteur de la voiture que déjà deux bras l'enlaçaient. Gilles lui hurlait aux oreilles et le secouait de haut en bas.
Momo vit la silhouette de Jean-Michel au loin. Debout, droit, il attendait devant la gendarmerie.
Momo savait que chaque pas entre lui et Jean-Michel serait sa punition, sa honte, qu'ils seraient les pas les plus durs à faire.
"Tu nous as fait peur"
"Tu as faim ?"
"Il faudra penser à te racheter des chaussures."
"Tu vas immédiatement appeler ta mère."
Rien de plus. Cela suffit aux deux caractères comme par une télépathie familiale à savoir ce que chacun pensait de l'autre.
Et sur le chemin du retour, Gilles fit tout ce qu'il put pour que l'on parle d'autre chose :
"Regarde Papa, le parking, à droite, il est beau non ? "
par ordre d'apparition :
Le Plessis-Bouchard, le clos St Georges. Combier éditions.
Nogent-sur-Marne, L'Avenue de Joinville. éditions Raymon.
Drancy, gendarmerie nationale, quartier Lieutenant Pichard. Photo J.N. Duchâteau, Raymon éditions.
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