Les cartes postales sont encore capables malgré parfois une quasi-overdose de m'offrir l'inattendu, le superbe et l'inouï.
Ce dernier adjectif est ici bien peu à la hauteur de ce que nous allons découvrir ensemble, tant la contraction des qualités (images, objets, sujets) forme une sorte de manifeste contemporain pour la photographie populaire, ouvrant à la carte postale le champ de la photographie plasticienne contemporaine. Comme d'immenses (minuscules) écrans de mes projections personnelles...
13 cartes postales du Centre d'Apprentissage du Bâtiment de Royan éditées par Aignan et Bernard, éditeurs à Tours et photographiées par J.P. Lassus, photographe à Royan. On y voit (mal) un ensemble scolaire où des jeunes dans différents exercices des métiers du bâtiment apprennent à faire peinture, maçonnerie, taille de pierre, et charpente.
On se souvient aussi de cet exemple similaire à Lille.
Mais... les formes et les échelles des objets produits, leur répétition à l'identique en tant qu'exercices, les formes géométriques, tous détachés de bâtiments, posés sur le sol, extraits de l'architecture comme des échantillons agissent alors dans leur inutilité du moment (qui répond à leur extrême attachement à du réel) comme des sculptures contemporaines, comme des installations d'artistes conceptuels.
La beauté des photographies alliant une forme de maladresse des premiers plans, montrant le fouillis parfois de lieux s'attachant bien plus aux productions qu'aux jeunes apprentis réduits souvent à des silhouettes dont on devine les faces et les corps juvéniles est une beauté sensible dont la maladresse amicale pour le sujet donne une force encore plus particulière. On vient voir comment le savoir réalise les formes, comment ceux qui ne savent pas finissent par savoir et construire. On vient voir l'architecture trouver ses mains qui s'épaissiront à la tâche, on vient voir et donner à voir une génération qui apprend et une autre qui transmet.
On devine aussi devant l'ampleur de l'édition que ce qui est photographié servira à dire à la famille ce qui se réalise là. L'arpette enverra à la mère restée à Angoulême ou à Saintes des images, des cartes postales lui permettant sans doute aussi avec fierté de montrer ce qu'il est capable maintenant de faire. 13 cartes postales pour 13 ou 14 ans, l'âge ici sans doute de ces gamins tentant de reconstruire la France.
Mais j'ai un doute. Si mon cœur voulait dans un parfait symbole de la Reconstruction voir dans ces cartes postales la beauté juvénile de Royan, rien ne me permet de dater ces cartes postales de l'après-guerre. Et les visages, les salopettes, les combinaisons de travail maculées, sont trop peu marqués par une époque pour dire si ce centre d'apprentissage aurait pu avoir été construit et installé là dans l'opportunité des ruines de la ville de Royan pour lui donner sur place la main d'œuvre dont elle aurait besoin pour se reconstruire. Aucune carte n'est ici datée ou écrite. L'autre doute vient aussi du style des échantillons de ces bâtiments dont rien de particulièrement moderne ne vient dire la révolution de l'architecture de Royan. Mais là, il va de soi que souvent, on forme ces jeunesses depuis des formes et des structures anciennes, nous dirons classiques qui offrent souvent avant tout l'occasion de formes complexes et exemplaires pour des exercices complets. On n'apprend pas ici la modernité mais comment le plus sérieusement possible la réaliser...
Mais tout de même, je reste stupéfait devant la collision entre tous mes intérêts, toutes mes lubies. L'inachèvement ici est désiré, la dispersion est en fait, contre celle produite par les ruines, une dispersion personnalisée d'un exercice. Et la grande projection a lieu. Je rêve de Kirkeby, je rêve de Rachel Whiteread, ou de Julian Opie, dans un arc inachevé je pense à Vincent Ganivet et je reconnais dans les polyèdres sur les établis ceux de Claude Lothier et les deux apprentis, pinceaux à la main, sont comme ceux des publicités Ripolin.
Et comment devant ce motif de "Royan, centre du Bâtiment" ne pas croire que dans le dos de l'apprenti, la ville de Royan, immense chantier de la Modernité, n'est pas simplement en train d'attendre sa jeunesse qui viendra en faire la plus belle ville du Monde.
C'est trop beau!
RépondreSupprimervive les métiers techniques !
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