Les visionnaires.
Je vous avais annoncé sa sortie en salle sans pouvoir faire une critique puisque je n'avais pas vu le film mais maintenant c'est fait et vous pourrez tout à loisir, dans votre salon, inviter toutes ces personnalités que nous aimons tant ici sur ce blog, architectes qui ont fondé, inventé une utopie ou du moins, tenté de former (la forme) une nouvelle architecture.
D'abord, il y a une évidente surprise à voir toutes ses têtes, tous ces visages. Je dois avouer que je croyais bien que malheureusement cette génération (en fait deux) avait pour la plupart disparu...
Alors soudain, ceux qui m'ont offert des rêves, ceux qui ont bousculé ma vision d'un monde futur, ceux qui ont analysé une situation historique sont là, dans l'intimité souvent amusante de leur propre monde.
Et ils prennent la parole avec la même ferveur, la même fougue, on croirait que tout pourrait démarrer à nouveau même si, et c'est sans doute l'articulation la plus forte de ce film, la fête est finie et que, chacun tente de définir ce qui n'a pas pu passer de ces idéaux, de ces fantaisies et tente l'analyse de la société et du métier d'architecte dans notre époque.
L'ennemi était Le Corbusier. On pourrait facilement penser à les écouter que c'est cet héritage qu'il fallait dilapider. L'après-guerre dans son opportunité à tout repenser, tout remettre en cause, a sans doute reconstruit mal, sur des fondements gauches d'un modernisme trop mal diffusé mais aussi, en France en tout cas, aux mains d'organisations sociales et politiques ne permettant pas de faire le vrai bouleversement moderne. Mais là où le film trouve une vraie justification c'est bien dans la révélation de grands écarts entre tous ces "utopistes" n'ayant pas les mêmes références, histoires et influences. Peu de choses en commun finalement entre un Claude Parent et Superstudio. Le premier prend appui sur le corps, les seconds surlignent les errements contemporains presque apocalyptiques.
Ce qui est curieux c'est que le vocabulaire de ces utopistes est bien celui de jeunes gens réalistes faisant une analyse solide de l'architecture, de son fonctionnement, de ses nouveautés techniques. Et, que ce vocabulaire, l'air, la nature, la technique, l'industrie est le même que celui de leurs aînés qui n'arriveront pas à faire des formes nouvelles et surtout n'arriveront pas à repenser des rapports humains nouveaux que ce soit dans la cellule familiale ou dans son extension sociale et politique.
C'est bien plus souvent cela qui pousse nos visionnaires à inventer des formes extrêmes à la limite de la définition de l'architecture dont, sans doute l'exemple de Hans Hollein (d'un humour extraordinaire) est la pointe la plus fine. Le voir arriver en avion (mobilité et mécanique) gonfler sa cellule de plastique (air et lumière) pour s'asseoir par terre (structure) au milieu de l'aéroport et ainsi dessiner une maison le téléphone à la main (réseaux sociaux) est sans doute l'un des moments les plus aboutis mais aussi le plus juste de là où on en est de la radicalité de cette génération qui hésite entre l'impalpable et l'hyperstructure (Superstudio). D'ailleurs, comme ses camarades, la seule chose vraiment oubliée par ces utopistes est bien la question de l'énergie. Aucun n'envisage que son coût et son mode de production viendront freiner les élans les plus fous. Car, il faut bien alimenter l'hélicoptère de Guy Rottier, et la soufflerie de Hollein...
Ainsi dans un montage joyeux et éclairant, allant de documents d'époque (des trésors !) à des interviews serrés, Julien Donada fait bien son travail, celui de faire venir la parole, de laisser les hésitations et les langues dire les jubilations d'une espérance et les regrets de la marche ratée.
Pas pour tous… Et certains, cigares gigantesques à la bouche sont fiers aujourd'hui dans des couloirs chics et lumineux de montrer au réalisateur leurs dernières créations. On voit alors le cadre du film refuser de nous montrer ces maquettes et rester sur l'architecte, comme si Julien Donada, devant sans doute l'incroyable retour de bâton de l'histoire, voulait surtout maintenir son regard sur les hommes qu'ils furent plus que sur les architectes qu'ils sont devenus… Les démiurges sont ainsi, ils faut aussi qu'ils mangent, et qu'ils construisent.
Quelques noms d'architectes qui témoignent : Guy Rottier (oui !), Yona Friedman, Claude Parent, Peter Cook, Andrea Branzi, Gianni Pettena, Archigram, Archizoom et Coop Himmel(b)lau.
Le DVD est aussi un bel objet éditorial avec un très joli petit livret.
Les visionnaires, une autre histoire de l'architecture.
Film de Julien Donada.
Petit à Petit, Production.
Merci pour cette info, j'ai commandé ce dvd ce jour même...
RépondreSupprimervisionné "LES VISIONNAIRES", très intéressant. Pour compléter, en bibliographie. STRUCTURES URABINES de ERICK ANKER, paru au CENTRE DE RECHERCHES D'URBANISME en 1975. STRUCTURES URBAINES DE DEMAIN de JUSTUS DAHINDEN chez CHENE en 1972 et LA CITE DEL'AN 2000 de MICHEL RAGON chez CASTERMAN en 1968.
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