mardi 18 juin 2013

Apprendre l'architecture

Il voulait être architecte et en cette chaude journée de juin, il était venu à Nanterre passer le concours de l'école d'architecture.
Il n'avait pas compris ce que voulait vraiment lui dire l'un des trois membres du jury en lui conseillant pour l'épreuve du lendemain de se promener dans la ville autour de l'école.
Il n'aurait pas su dire si c'était là un signe positif ou négatif.
Alors, dans ce doute, il avait suivi le conseil en se rassurant, en se disant que de toute manière s'il venait faire ses études ici, il devrait bien connaître cette nouvelle ville.
Ce fut assez étrange car finalement il n'avait que peu souvent regardé la ville pour elle-même comme un objet total, une collection d'architectures. De la ville, de toutes les villes, il ne connaissait souvent que les bitumes et les pavés arpentés par ses chaussures dont sa tête baissée par la timidité lui faisait suivre jour après jour l'usure.
Pourtant, il y avait bien eu ce déclic, cette certitude dans l'église de Talmont qu'une architecture c'est souvent une émotion spatiale.
Mais il était en ce jour bien loin de Talmont.



Il avait d'abord voulu s'éloigner de son école. Il voulait la voir de loin prise dans son paysage. Il aimait pouvoir la repérer par ses couleurs et cela malgré la grande présence de la couleur dans cet horizon urbain.



Il se souvenait ici qu'il avait eu vraiment très chaud devant son jury et qu'il n'arrivait pas à savoir si sa trouille ou si la climatisation de la construction était la cause de ce coup de chauffe. Il essayait de se rappeler les visages de ces personnes qui le jugeaient mais il ne se rappelait que la chemise trop ouverte sur une chaîne en or du type qui lui parlait. Et il se souvenait d'avoir maladroitement plié en le rangeant l'un des beaux dessins qu'il avait fait à Arc-et-Senans l'année passée.
Il trouvait la ville verte. Il rêvait déjà au jogging qu'il ferait ici le dimanche avec ses compagnons de promotion.
Il reprit sa marche, il bomba le torse voulant croire qu'il s'éveillait enfin, qu'il était bien là, bien vivant, bien certain de ce choix. Ce n'était pas de la fierté, juste une sensation qu'enfin il pouvait marcher et voir, apprendre.



Devant le Vallona dont le nom le fit sourire, il regardait la franchise appuyée de son dessin. Une masse colorée dont il ne savait pas s'il devait l'aimer ou pas. Il s'interrogea sur la perte des terrasses, sur ces espaces des toits plats ainsi abandonnés aux évacuations des fumées et des aérateurs. Il trouvait que c'était des espaces perdus et se demandait pourquoi on n'avait pas ici retenu la leçon de Le Corbusier à Marseille. Il aimait bien sentir dans sa pensée les petites connaissances qu'il avait acquises en suivant les conseils de la bibliothécaire de sa ville pour la préparation du concours. Il se trouvait soudain comme un spécialiste et imaginait d'un coup la hardiesse de ses propositions si, par hasard, il avait eu à faire ce genre de construction. Il rêvait à des jardins en terrasses, des places publiques sur les toits, inventant en quelque sorte une autre ville. Il rêvait.
Il trouva que l'ensemble avait de belles ouvertures, de beaux balcons et tout cela sentait le neuf. Il tenta même en observant la façade d'en extrapoler les plans des appartements. Il sentait dans sa tête les espaces se former, les murs descendre sur leur plan, les imbrications entre les appartements et même soudain, la complexité des tuyauteries internes et des évacuations formaient une sorte de puissante machine en trois dimensions dans son imaginaire. Il avait un peu senti cela à Talmont où en regardant la croisée d'ogive, il avait imaginé la stéréotomie des pierres de taille.
Il fit une visière devant ses yeux avec sa main droite pour calmer la morsure du soleil sur son visage, il avait vraiment chaud et même un peu soif.



Il était midi. L'ombre sous les automobiles cernait parfaitement leurs châssis. Il regarda les tours de l'avenue Clémenceau. Il sut d'emblée qu'il les aimait moins que le Vallona. Trop droites, trop dures, trop prévisibles aussi mais en même temps il s'avoua leur trouver une majesté par leur indifférence sans doute à la fonction.



Il pensa que les stores forment bien le seul élément joyeux et libre ; les jeux d'ouverture ou de fermeture fabriquent une sorte de cinétisme de toile orange qui tranchait bien sur ce gris et ce blanc dignes d'une sculpture minimaliste américaine. Il trouvait dure la manière dont cela surgissait du sol, sans faire travailler le corps du piéton, sans l'accueillir. Seuls les yeux obligés de suivre les lignes forçaient le cou à se tordre pour aller vers le ciel. Il n'y avait personne.



Mais soudain il aima cet immeuble dont il ne savait rien pourtant de son rôle.
Il aima son socle de béton gris en contraste sec avec sa façade de métal et de verre noir. Il aima les petits volumes sur le toit ou de dessin de la cheminée, il trouvait que, oui, ici, il y avait des intentions plastiques.
Il s'arrêta pour la première fois de sa promenade et sortit son petit carnet. Il pesta deux seconde car, comme à son habitude, il ne trouvait pas son crayon. Il dessina rapidement l'ensemble en limitant le nombre de traits. Il voulait saisir. Il avait appris cela, ce saisissement du dessin. Il avait appris à enlever, retenir mais en même temps faire de la main le sismographe de son œil. C'était dur, souvent mauvais comme méthode mais bien plus satisfaisant en terme de maintien de l'objet dans l'ère des souvenirs.
Il repris sa marche, heureux de cette rencontre.



Il éclata de rire.
Il ne put se retenir.
Devant l'Hôtel de Ville de Nanterre, devant cette forme qui criait si fort "je suis un monument" il ne put en effet retenir cette libération. Mais il n'était pas cynique. Il comprit aussi qu'il fallait pour ce type d'architecture faire un signe, dire en quelque sorte la particularité d'un rôle public. Et il y avait dans cette construction comme un morceau de science-fiction, un décor de film, quelque chose de narratif et d'imaginaire, une fantaisie républicaine que l'on pouvait bien s'accorder, aimer.



Et l'ensemble était beau, bien construit. Un détail l'amusa. Il vit sur les pentes de la pyramide inversée de cet Hôtel-de-Ville deux messieurs en train de nettoyer les carreaux bruns comme des lunettes de soleil. Il regarda ce manège de la propreté.
Il aurait bien mis ses pieds nus dans le bassin pour se rafraîchir comme il aimait le faire en Dordogne.
Il aurait bien aimé que la Ville, toutes les villes, autorisent ainsi ces libertés des corps. Tout ici était minéral, jardins décidés, mobiliers ordonnés.
Il compris qu'il venait de suivre son premier cours d'architecture.
Il comprit que c'était un conseil que lui avait donné cet enseignant.
Il comprit qu'il devrait toujours à présent vivre les lieux ainsi : les yeux ouverts à son imaginaire, les pieds courant sur les espaces, son corps présent aux formes.
Il était maintenant un architecte.

3 commentaires:

  1. daniel leclercq19 juin 2013 à 11:55

    Quand j'étais enseignant ou formateur lors de stages en urbanisme, je terminais chaque session par une visite d'une ville (Barcelone, Lyon, Bordeaux, Brive, Paris). Le titre de cette "rencontre partagée" : FAIRE MARCHER SA TETE ET PENsER SES PIEDS !

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  2. L'architecture et le design ne cesse de nous éblouir..

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