J'ai mis beaucoup de temps à faire cet article qui aurait du, en toute logique, être écrit en juin, dès mon retour d'Angoulême où j'étais invité par Frédéric Lefever, excellent photographe, a participer à un diplôme dans l'école d'Art de la ville.
Mais voilà, en rentrant chez moi, je me suis rué sur mes classeurs et dans mes boîtes et je n'ai pas réussi à retrouver la carte postale que je possède du lieu dont je voulais vous parler.
Rien à faire...disparue...je connais ce phénomène qui me la fera ré-apparaître dès que j'aurai écrit cet article comme pour se moquer de moi.
Il m'a donc fallu attendre de croiser une nouvelle carte postale pour vous raconter ma rencontre avec...mais avec quoi au fait ?
Oui ! Angoulème c'est forcément ça : le Centre National de la Bande Dessinée et de l'Image.
Les lecteurs fidèles savent bien que je n'ai pas un grand enthousiasme pour son architecte Roland Castro dont je l'avoue l'espèce de figure mitterandienne a fait beaucoup pour ruiner mon objectivité à son égard. Que voulez-vous les représentations parfois occultent la réalité des qualités architecturales.
Et pour ce bâtiment de Roland Castro datant de 1990, je dois le dire tout net ce qui m'a surtout séduit c'est sa ruine.
Il y a en effet quelque chose de parfaitement réjouissant dans son état suspendu, entre profond manque d'entretien, de ravalement, pauvreté des matériaux et l'expression formelle d'un geste un peu tonitruant, un peu volontaire, certainement se voulant à la fois radical et poétique mais déjà un peu en retard en 1990. Il faut le dire ici l'écriture de Castro se joue surtout sur le rapport des pentes, voulant articuler un passage et donc une promenade entre une rue haute et une rue basse. Une circulation piétonne faite de surprises, de jeux d'espaces, de terrasses et de reflets, ensemble très déconstructiviste, au sens d'une référence presque un peu trop appuyée, justement à un Constructivisme remodelé, rejoué. Y a des échelles, des passerelles, des choses fragiles, des formes anguleuses qui se perdent, il y a de la gratuité, bref on dira une certaine idée sculpturale et surtout, surtout photogénique que, je le redis, l'état d'abandon définit aujourd'hui comme une somptueuse ruine post-moderniste. On veut, ici, de tout faire photographie.
Bien entendu, l'incertitude des espaces qui surgira ainsi de cette promenade dans des lieux que l'on peut ou non traverser ajoute au sentiment de pur mouvement gratuit. On se laisse prendre, on grimpe, on regarde, on cadre. C'est réjouissant et bien dessiné dans ce sens. Un bâtiment qui fait image(s) c'est parfait pour raconter la bande dessinée qui d'ailleurs à l'époque de la construction du bâtiment était surtout marquée par le retour de la ligne claire comme si Castro avait voulu dire qu'ici un décor pour Joost Swarte avait été construit dans le réel. On aurait dit autrefois : une folie.
Alors , dois-je aimer bien plus mon étonnement de cette présence que le bâtiment lui-même ? Est-ce que Roland Castro avait prévu cet état piranésien (entre prisons et ruines) d'un bâtiment entre deux âges ?
Combien de décénies faudra-t-il pour qu'il rejoigne un état d'oeuvre patrimonianisable en abandonnant dans un sursaut de l'Histoire de l'Architecture sa propre déconstruction ? Ne vivons-nous pas, en ce moment-même son état de grâce ? Qui oserait chanter la lèpre des murs, les coulures, les oxydations, les mousses sur les crépis d'un bâtiment devenu presque aujourd'hui une friche urbaine somptueuse ? Je veux bien être celui-là.
N'est-ce point là sa chance romantique, son espoir de finir comme une peinture de Hubert Robert ?
Alors je suis à deux doigts d'aimer cette construction, de vouloir la défendre. Plus riche que je ne la croyais, plus raide, plus juste finalement que la geste ampoulée de ses références, plus surprenante que sa façade par trop grandiloquente (ah...le fameux mur de miroirs intégrateur des architectes contextuels...) je pourrai oui finir par le défendre. On hésite entre un hommage à Émile Aillaud pour La Défense ou un hommage à un four solaire. Après tout, j'ai bien installé chez moi l'affiche de Speedy Graphito de la Ruée vers l'Art de 1986, je pourrai bien finalement ici aussi à Angoulème finir par vouloir rendre hommage à la mitterandie charentaise et à ses actions culturelles (comment dire ?) à son arrogance devenue vintage.
Finalement, ce basculement est à l'image de notre époque. Il nous fait passer d'une culture de gauche à une culture woke. C'est sans doute cela qui en renforce mon étonnement, ma joie et ma méfiance encore un peu inscrite dans et sur les murs de ce Centre National de la Bande Dessinée et de l'Image dessiné par l'un des fidèles à Mitterrand : Roland Castro.
En tout cas, il est grand temps de protéger ce bâtiment, de le classer car il est une synthèse incroyable des réflexions de son auteur et de son époque. Nous nous devons de ré-apprendre à l'aimer.
On notera et c'est rare que Jean-Pierre Delvalle le photographe de cette carte postale éditée directement par le C.N.B.D.I a fait le choix d'un ciel chargé, menaçant qui renonce à l'aplat d'un ciel parfait si attendu des cartes postales. Geste prémonitoire ? Ce ciel chargé doit-il nous rendre méfiant sur l'avenir qui pèse sur ce bâtiment ? La carte postale n'est pas datée mais elle a du être produite à l'ouverture. On notera que le tampon du C.N.B.D.I occupe tout l'espace de la correspondance et que la carte ne fut pas utilisée. Je ne sais pas non plus comment Roland Castro a ou non aimé cette représentation en carte postale. On notera qu'il figure bien au verso comme architecte.
En fin d'article, un bâtiment superbe et moderniste, toujours à Angoulème...
Si, par hasard, vous en connaissiez l'architecte, merci de me le donner ! Il le mérite non ? Il est superbe.
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