lundi 15 décembre 2014

Les non-lieux n'existent pas



D'abord il convient de dire la stupeur.
L'écart avec notre époque est tel que l'on a du mal à ne pas d'abord dire son effroi (ici sans peur) pour une telle image et, surtout, pour sa diffusion en carte postale.
Décomposons.
Le photographe très bas dans l'image cadre le raccord entre la chaufferie et l'immeuble, il cadre la trouée entre les deux. Mettant la fuyante de la barre sur sa gauche et en abaissant son point de vue, il génère une fuite plus accentuée qui contrastera davantage les deux éléments : la chaufferie à droite et l'habitat à gauche, au fond le petit pavillonnaire.
Oui, au fait, nous sommes sur la Z.U.P de la Chenôve, près de Dijon grâce à une édition D. L. qui ne sont pas ici les initiales de mon nom je vous l'assure !
Les herbes folles du premier plan disent bien la jeunesse du lieu ainsi que les arbustes encore jeunes plantés en cercle entre les deux constructions.
Une petite Renault 4 nous permet d'avoir l'échelle et signe une présence humaine sinon absente de l'image. Personne.






J'entends les sirènes de notre monde, j'entends que ça fuse : le non-lieu, la fameuse (et usée ?) notion d'hétérotopie.
D'abord, il faut reconnaître que ce que nous voyons nous ne le voyons pas comme le photographe. Il vient là pour composer la modernité naissante, il vient là parce qu'il y aura des gens pour s'y reconnaître, il vient là parce qu'il y a un objet remarquable : une chaufferie moderne et même... belle.
Il n'y a sans aucun doute aucun cynisme dans le rapprochement des deux objets, il n'y a pas le désir de perdre le chercheur (non Madame l'historienne), il n'y a que le désir de faire voir.
Faire, voir.
Faire une image, un document, un service. Voir un lieu étonnant, curieux et même on dirait pittoresque, non pas tant dans le domaine de la peinture mais dans le domaine d'une attention du regard et d'une époque. Cette carte postale est une déclaration d'attention, le signe historique que ce monde fut embrassé et saisi dans son espace-temps, sa révolution. Certains d'entre nous y ont vécu. C'est chez eux.
Alors notre bouche bée, nos yeux écarquillés ont tout de même raison de l'être aujourd'hui parce que nous avons perdu ce sens. Nous y projetons une indifférence qui pourtant ici fait image. Même, sans doute pour certains d'entre nous un dégoût. L'histoire des grands ensembles, l'imagerie imposée par une histoire sociale et politique nous ont dit qu'il fallait ne plus aimer cela, que ce fut une catastrophe, une errance du modernisme. Et nous plongeons dans ce plaisir délicat d'aimer l'indigent en feignant de ne pas vouloir le comprendre à nouveau, d'en chercher l'origine. On notera que l'éditeur n'a pas peur d'inscrire Z.U.P, pas peur d'inscrire le mot chaufferie. Il nomme ce qui aujourd'hui nous étonne comme titre possible. Ce vocabulaire est accepté et il ne trompe personne. Il est, c'est tout.
Et l'on sourit à ces images. J'ai souri à ces images avec vous, j'essaie maintenant d'en apprendre le sens.
À gauche il y a un effort, une tentative, un architecte Monsieur Calsat qui a une œuvre méritante. Et à droite, il y a un objet technique bien dessiné, curieux, à la masse ici sombre et inquiétante. Il faut redonner les noms pour comprendre que cette carte postale surprenante est aussi une photographie passionnante.
Une époque où ces lieux avaient du sens et surtout un rôle immense : loger.
C'est un terrain de recherches, pas un non-lieu. C'est même un point. Quelques millièmes de seconde dans le temps et l'appui serein d'un pied et d'un genou à terre pour cadrer. Tout est dans le cadre. Tout.
Et j'aime cette image parce qu'elle est un lieu. Je le redis :
C'est chez eux.






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