dimanche 2 novembre 2014

Boum Boum Boum Berlin

Alvar n'était pas parti à Berlin comme il l'avait affirmé à son père pour en découvrir l'architecture de la reconstruction, ni pour y apprendre la langue de Goethe.
Et même, s'il avait interrogé Jean-Michel son grand-père sur l'architecture de René Gagès et s'il avait essayé dans ses numéros de l'Architecture d'Aujourd'hui de localiser la Cité Radieuse de Berlin, il avait décidé qu'il devait aller là-bas pour vivre la révolution de la musique Techno.
C'était bien là que cela se passait. C'est ce que lui avait dit un ami de Cergy revenu depuis peu et qui avait, lui, décidé d'y vivre un moment.
Alvar était parti un matin gris dans un bus du soir avec très peu d'affaires comme pour s'obliger à en acheter sur place et donc à s'y installer. Son ami Nicolas lui avait griffonné seulement sur un sous-bock de bière une adresse dans l'ancien Berlin Est.
Mais Alvar en arrivant voulait immédiatement aller voir le Tresor. Nicolas lui avait raconté que c'était bien là un endroit mythique de ce Berlin Techno. Avec son anglais arrondi d'un accent français, Alvar, d'un bus en longue marche à pied, de métro en voiture, finit par être lâché sur le trottoir de ce lieu mythique. Le lieu était désert. Il ne savait quoi faire. Il regardait le peu de personnes qui passaient, se disait qu'il y a seulement deux ans cette Allemagne était encore coupée en deux, que peut-être il aurait dû préparer son voyage un peu mieux. Il avait faim.
Son grand sac de toile kaki était déchiré, l'obligeant à le tenir en permanence. Sur la porte du Tresor, une affiche photocopiée et collée grassement indiquait un concert la semaine prochaine avec des logos sombres et le titre UFO.
Soudain un type sortit du Tresor dans un grincement stridant, la porte étant coincée par Alvar assis sur son sac devant la porte. Alvar s'excusa. Dimitri regarda de haut en bas le jeune français, s'amusa de son accent et lui demanda ce qu'il attendait là.
Rien sans doute.
Alvar montra alors son adresse griffonnée, essaya d'expliquer pourquoi il était à Berlin, pourquoi il était venu là. Cela fit sourire Dimitri qui invita Alvar à prendre un café.
Assis à la table avec Dimitri, les mains fermées et coincées entre ses genoux, Alvar écoutait les conseils de ce type, lui en français pour rire un peu, Alvar en anglais pour communiquer un peu. Mais comme des petites lumières dans un ciel trop sombre, des noms émergeaient de la conversation : Ufo, Kraftwerk, Tekknozid, Bunker. Et, dans le bar, une vibration permanente, quelque chose de physique et de sourd, faisait des ronds concentriques sur la surface du café. Boum Boum Boum Berlin.

Il fallut quelques secondes à Alvar, le lendemain, pour comprendre en se réveillant quel était donc ce plafond qu'il fixait. Roulé dans son duvet, couché sur un carrelage froid, il y avait là à sa gauche une jeune femme qui dormait. À ses pieds, une sorte de grand chien doux émit un léger couinement de satisfaction. Des bruissements de paroles un peu au loin dont Alvar ne saisissait pas si elles étaient en français ou allemand venaient jusqu'à lui. Ce n'était pas le matin, il était seize heure.
C'est à ce moment là qu'il sentit l'air froid du sol sur son torse nu, que le chien vint lui lécher le visage sans vergogne, qu'il se rappela le nom de la jeune femme. Une française nommée Valérie.
Et le type qui lui tendait une tasse de thé brûlant n'était autre que Nicolas.
Le film effréné de sa virée d'hier lui revint d'un coup.
Sur le mur à sa gauche, entre un noyau d'avocat tentant de ressembler à une plante verte et une cartouche éventrée de cigarettes d'une marque encore inconnue de lui, des cartes postales étaient posées les unes à côté des autres comme un panorama de la ville de Berlin.
"Elles sont marrantes non ? Je les ai achetées hier. Quand Valérie sera debout on ira voir tout ça si tu veux. Tu verras c'est presque comme ça."
Alvar acquiessa à cette idée de Nicolas et demanda :
"Il s'appelle comment ton chien ?"
"J'en sais rien, il n'est pas à moi, appelle-le comme tu veux."
Et, à nouveau, dans son oreille, doucement, prenant de plus en plus de place au fur et à mesure de son réveil, Boum Boum Boum Berlin.

Merci à Nicolas Moulin pour cette nouvelle donation.

Berlin, Spittelmarkt et l'île des pêcheurs, Photo Boldt :

Berlin, MarienKirche und Anlage am Fernseh, und UKW Turm des Deutschen Post :



Berlin, Neptunbrunnen, photo Corazza :



Berlin, Philharmonie, Hans Sharoun, architecte. Krüger éditeur :





Berlin, Sommergarten am Funkturm. 1976 :


Berlin, Interhotel "Stadt Berlin", photographe : R. Schlegel :





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