Alors que toute la famille ou presque était sous l'ombre nécessaire de l'objet de toile, à quelques mètres de là, un membre de la famille faisait un peu bande à part depuis le début de la journée. C'était Momo et sa copine Sidonie.
Elle avait presque le même âge que lui, 17 ans, trois mois et deux jours alors que Momo avait juste 5 jours de plus. Ils avaient mis un temps fou tous les deux à calculer sur le calendrier des Postes à l'appartement en riant des années bissextiles et de cette proximité d'âge. Cela avait d'ailleurs un rien agacé Gilles, un peu jaloux de voir ainsi Momo capable en à peine quatre jours de vacances de trouver une jolie fille à accompagner.
Le jeune couple voulait faire bande à part et prendre le soleil en pleine tronche car Sidonie voulait rentrer à Paris "dorée comme une brioche" selon son expression.
Gilles regardait ainsi son frère faire le beau, faire le tendre et de loin il le charriait un peu mais toujours de manière amicale. Sidonie avait promis de présenter à Gilles sa cousine Céline dès son arrivée dans quelques jours alors, il fallait faire le sage.
Yasmina gardait sa robe et observait son fils avec tendresse faire ses premiers pas d'amoureux..........
........Sidonie avait trouvé un petit travail à l'hôtel Frantel et devait dans la matinée donner un coup de main pour refaire les chambres. C'est d'ailleurs à l'accueil de l'hôtel que Momo avait vu pour la première fois Sidonie qui avait fait tomber à ses pieds une liasse énorme de draps propres ce qui lui valut de se faire houspiller par Madame Yvette la directrice de l'hôtel. Momo ramassa les draps et son sourire enjoleur suffit à Sidonie pour oublier la dispute. Posant un à un les draps sur les bras de Sidonie, Momo profitait de son immobilité pour lui parler, lui donner son adresse, lui dire qu'il serait à la plage vers telle heure. Momo savait faire ça et ne savait pas où il avait bien pu apprendre à le faire......
.......Cette fois, c'était bien Gilles qui rentrerait tard, sans excuse, à l'appartement. C'est bien Gilles qui devrait pour une fois mentir malhabilement en sachant que Jean-Michel verrait ce mensonge aussi facilement que s'il était transparent. Mais il ne pouvait dire d'où il venait aussi tard ni avec qui il était, ni pour quelle raison il avait oublié le temps. Même Gilles finalement ne savait pas bien ce qui venait de se passer, là, sur les quais du port, le long des immeubles. Il avait pourtant simplement suffi qu'une corde se prit dans ses pieds pour que ses certitudes s'écroulent soudainement.
Hans.
Hans avait, sans le faire exprès, envoyé la drisse de son petit voilier dans les pieds nus de Gilles qui trébucha d'un coup. Alors même que Gilles se mit à engueuler le jeune homme, il comprit que toute sa fureur ne passerait pas car Hans ne comprenait que très mal le français. C'est finalement l'inutilité de ces insultes qui tombaient dans le port comme des petits cailloux qui firent rire les deux garçons.
Hans.
Assis tous les deux sur le quai, les pieds ballant dans le vide, touchant parfois le clapotis d'une eau tiède, Hans tenta de raconter qu'il devait livrer un voilier pour un touriste allemand et qu'il avait fait ainsi un grand tour de voile. Ses grandes mains faisaient des dessins dans l'air pour remplacer les mots de français et d'anglais qu'il ne connaissait pas et Gilles répondait lui semblait-il toujours bêtement par des "ah d'accord" en reprenant les arguments de Hans. Mais quelque chose se transformait, quelque chose mêlant l'admiration pour l'autonomie de Hans, son exploit physique, sa liberté, et une anatomie du sourire qui faisait soulever la lèvre supérieure toujours vers la gauche. Gilles oublia l'heure, oublia le port, oublia tout. La nuit tombait et Hans entra dans le voilier et apporta à Gilles un saladier avec deux fourchettes. Qu'est-ce donc que cette force qui fait que l'on reste là alors que tout vous dit de partir ? Gilles comprit qu'il était tard, trop tard, en se surprenant à entendre le bruit des rares voitures qui maintenant circulaient sur le quai. Le saladier sous leur menton, tenu ainsi très haut, les fourchettes s'entrechoquant, Hans lui répéta plusieurs fois "demain, voir demain toi, venir demain."
Et Gilles s'entendit dire " Ah d'accord... oui, yes, ja."
Juste avant d'entrer dans la pyramide, il regarda les fenêtres de l'appartement familial. Il regarda au loin l'enseigne du Frantel qui brillait. Il savait que sans doute Momo devait la regarder aussi mais qu'il aurait beaucoup moins de mal à dire la raison de son attachement à ces lettres de lumières. Gilles ne savait rien de la vie.....
.....Jean-Michel s'était levé le premier, avait tout bien organisé. La famille laisserait là Hortense, la mère de Jean-Michel et Yasmina, dans le nouvel appartement. Yasmina avait décidé de faire ici sa vie, et avait trouvé un travail à la Mairie. Elle s'occuperait également d'Hortense toute l'année. Elle aimait cette ville neuve, pleine de promesses et si calme hors saison. Elle aimait beaucoup le battement de la ville au rythme des étés et des hivers.
Jean-Michel regardait depuis ce quai ces beaux immeubles qui seraient maintenant le décor de la vie de sa mère et de Yasmina. Mais il n'était pas là pour ça. Il attendait un jeune homme.
Soudain le voilier remua un peu et une onde l'entoura. Un grand type brun en short bleu en sortit en levant les bras au ciel comme pour déplier tout son squelette.
"Hans ?" interpella Jean-Michel.
"Ja ?" répondit le jeune homme.
Jean-Michel commença à parler dans un allemand cristallin au jeune homme. Il posa toutes les questions et obtint toutes les réponses. C'était sérieux. Jean-Michel voulait savoir où ils iraient, quand ils arriveraient, avec qui ils seraient. Il voulait une liste de numéros de téléphone, il voulait en donner à son tour.
Hans n'avait presque pas le temps de répondre, pris à la fois par le flot des paroles de Jean-Michel et par l'émotion de ce qu'il comprenait.
Jean-Michel se retourna soudain, fit un signe large avec son bras et Hans eut la surprise de voir Gilles tirant avec difficulté un énorme baluchon.
Hans sauta du voilier et saisit avec fougue le baluchon comme s'il s'agissait du corps même de Gilles.
Jean-Michel serra lui son fils dans ses bras.
"Tu nous donnes des nouvelles, tu rentres pour le 20 août. Tu t'amuses. Tu ne fais pas ton Gilles. Tu demandes de l'argent si jamais il t'en manque. Pense aussi un peu à Momo."
Les deux garçons regardèrent le dos de Jean-Michel se diriger vers l'appartement.
Le voilier quitta le port.
Par ordre d'apparition à l'image :
carte postale Yvon, procédé Draeger 301, expédiée en 1973.
carte postale Mar.
carte postale Combier, expédiée en 1975.
carte postale Combier, expédiée en 1978.
Aucune ne nomme Jean Balladur comme architecte.
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