mardi 10 décembre 2013

Harvey, Mike


Mike était américain. Totalement.
Il avait autant fréquenté les stades de football et ses gazons un rien durs aux épaules que les bancs de l'université du Maine. Il y faisait des études de biologie, sans difficulté. Il faisait tout sans difficulté : les études, le sport, et même les rencontres.
C'est d'ailleurs ce que comprit rapidement Harvey perdu dans la foule du Pavillon Américain des Sciences à Seattle. Ils étaient venus tous les deux là pour des raisons bien différentes. Mike pour suivre l'avancée de son projet de doctorat ici représenté par son école et supervisé par son patron d'études et Harvey comme jeune étudiant en architecture venant à son tour voir de visu les aménagements du stand réalisé par le directeur de son stage l'architecte Minoru Yamasaki.
La nuit était tombée et les lumières puissantes mettaient en valeur l'étrange pergola de l'entrée, structure fine et légère comme une promesse d'architecture à venir. Harvey avait entre autres dessiné les arcs et calculé au plus juste la finesse des montants. Il était assez fier de son travail qui lui avait valu les honneurs d'une petite tape sur l'épaule de son directeur. Il circulait dessous le nez en l'air ce qui causa la rencontre avec Mike ! Ils se cognèrent l'un l'autre ! Mais la masse musculaire gagna sur le frêle Harvey qui trébucha. Relevé immédiatement par le footballeur désœuvré, Harvey dut pourtant reconnaître qu'il était bien le fautif. Il n'en fallait pas plus pour partager une bière au bar et se raconter chacun leur tour leur raison d'être là.
La vie.



Maintenant la masse de Mike était partie. On ne savait pas trop comment à l'époque. Harvey le regardait fondre chaque jour un peu plus. Mais ce qui maintenait encore la présence de Mike à l'exact des souvenirs de Harvey c'était ce sourire large qu'il réussissait à tenir malgré la douleur et la peur. Ils étaient venus tous les deux vivre en France en 1987 suite à l'installation d'une antenne du cabinet d'architecture dans laquelle travaillait Harvey. Ils y avaient vécu la vie des années 80. Libres. Ils n'avaient alors aucune raison d'avoir peur.
Harvey avait acheté cette carte postale à l'accueil de la clinique François 1er pour envoyer à la famille de Mike. Ils avaient passé un temps fou tous les deux à imaginer ce qu'il pouvait bien passer sur l'écran du minuscule téléviseur et à inventer une vie au petit garçon photographié sur la carte postale. Ils apprirent alors par l'infirmière Jocelyne que ce petit garçon était son fils, Sébastien, que le photographe avait voulu là pour animer cette chambre un rien triste.

 

Harvey avait pris l'habitude de lire tous les jours les pages du journal à Mike et il avait réussi à trouver à Paris un magazine de sports américains qui donnait tous les résultats des équipes de Football. La liste infinie des scores des matchs faisaient toujours venir ce large sourire sur le visage de Mike, certainement amusé par l'effort de Harvey à s'intéresser à ce type d'information et à sa difficulté à prononcer les noms des joueurs et des équipes. Allongés tous les deux sur le lit malgré les recommandations des médecins ne savant que faire de la maladie, il arrivait souvent qu'on les retrouve endormis ainsi.
On finit un jour par ne réveiller que Harvey.



Reprendre l'avion.
Prendre l'ascenseur.
Sur le toit du World Trade Center, alors qu'un ciel bleu s'étalait sur New York, Harvey ouvrit largement une boîte de métal de couleur bronze.
Il avait choisi ce lieu parce que son architecte, le Professeur Minoru Yamasaki en était l'auteur et qu'il pensait que c'était bien ainsi de boucler la boucle dans le ciel de Manhattan. Un petit nuage se forma au-dessus de lui, comme une fumée délicate.
Harvey n'y vit rien de symbolique. Simplement la beauté du monde.
La vie.


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