lundi 27 mai 2013

Grises grilles

Je vais faire jouer ensemble deux grilles modernes qui n'ont pas grand-chose à voir ensemble sinon leur proximité historique.
J'aime les grilles. Certainement que mon goût pour l'architecture des Trente Glorieuses tient à ce jeu plastique qui a fait les joies de cette période où, comme une expérience Néo-Plasticienne, les architectes sous l'influence des angles droits ont usé des tire-lignes.
Une sorte de drogue douce.
Certaines de ces grilles sont le résultat d'un vrai travail d'architecture, c'est-à-dire qu'elles sont la projection extérieure d'une réflexion sur le plan et l'élévation. D'autres, parfois plus abstraites, plus détachées d'une nécessité constructive, apparaissent bien comme une esthétique moderne.
Ce qu'il y a de bien c'est que le noir et blanc de la photographie fait monter le dessin allant même, par l'annulation des couleurs, jusqu'à affirmer son importance au risque sans doute de passer à côté de la vraie peau des bâtiments.
C'est le cas ici :



La Cité Radieuse à Rezé de Le Corbusier dans ce beau gris généreux et placide, recevant de plein fouet la lumière comme pour affirmer davantage son orientation volontaire est un exemple parfait de ces grilles orthogonales qui vibrent d'un cinétisme que le cheminement du regardeur fait mouvantes, joueuses. Cette grille accuse aussi ces fuyantes que trop souvent les photographes tentent de rattraper à grands coups de correction par la chambre photographique souvent sous l'influence des architectes eux-même surpris qu'ils furent que les belles parallèles finissent toujours par se rencontrer en un point. L'écart entre la vision à plat sur la planche à dessin et le volume prenant l'espace ainsi que le regard réel du visiteur qui ne se place jamais à l'exact du milieu de cette grille apparaissent alors comme des moteurs visuels ordonnant bien autrement cette modernité. Les lignes fuient et s'accelèrent.
Et, il y a peu de Le Corbusier qui aient saisi cela et qui offrent à cette déformation l'occasion de s'exprimer en jouant avec une rhétorique colorée dans les alcôves qui confinent parfois à un bavardage plastique. On s'amuse bien au pied des Cités Radieuses de ces jeux de carrés de couleur devenant des triangles apparaissant, disparaissant au gré du regard glissant sur, puis sous la façade. C'est beau.




Mais cette carte postale Artaud met surtout la grille moderne de Corbu en regard avec le végétal. Comme une ligne de combattants, les arbres sont posés, installés devant la grille et jouent avec, s'y opposent. Et si cela vient bien de l'histoire de l'esthétique de la carte postale, le premier plan végétal adoucissant alors la dureté de l'architecture et la replaçant dans un paysage au romantisme usé, il n'est pas non plus stupide d'y voir aussi finalement un vrai attachement à la pensée de Le Corbusier voulant que son architecture soit justement dans son opposition dure avec la nature la preuve de son attachement. Le photographe aurait bien pu se placer de face, il en avait le recul. Il a choisi de le faire fuir à l'infini offrant aussi son épaisseur. Le photographe de cartes postales ne se met pas là par hasard, excusez-moi Mesdames et Messieurs les photographes contemporains, IL COMPOSE. C'est dire qu'il regarde, cherche, invente et surtout aussi d'une certaine manière porte une attention.
Cela se fait en 1957.

Si Bernd et Hilla Becher étaient passés à Montbéliard auraient-ils fait cette photographie ?



Au-dessus du lycée technique nationalisé de garçons par Pierre Lauga, architecte, les deux photographes allemands auraient sans doute choisi aussi ce ciel gris et étale comme un papier teinté. Il s'agit de nier la nature mouvante du ciel au profit d'une valeur de ton. Cette négation parfaite de la météorologie démontre comment leur objectivité est née d'un rapport à la représentation et non au réel.
Le photographe de cette carte postale C. A. P semble avoir voulu jouer la même chose à moins, oui, que ce ne soit nos photographes allemands qui aient reçu la leçon de cette photographie populaire. Car que veut le photographe anonyme de carte postale ? Que veut-il offrir au regard des acheteurs si ce n'est une reconnaissance parfaite du lieu, une reconnaissance immédiate dégagée absolument des anecdotes de l'instantanéité ?
Ici c'est bien le lycée qui est photographié et non le moment de sa photographie. La froideur du noir et blanc, (sa netteté serait plus juste), permet bien cette pérennité fascinante de sa réalité. Et, si on revient sur sa grille, on la lit ici parfaitement parce que le choix photographique le met totalement en avant. De très haut et de la gauche, la lumière dessine avec très peu d'ombres, les lignes de ce beau dessin qui évoque une France sérieuse à la Perret. La sévérité classique que finalement la rotondité du cylindre adoucit un rien devait bien dire la discipline républicaine appliquée à la petite troupe des garçons en apprentissage !
L'architecture parle ici d'ordre, de surface, de hiérarchie. Le travail avec le sol semble particulièrement bien étudié. Toutes les lignes du dessin sont affirmées par une petite épaisseur, un jeu de refends, une légère exagération et une opposition de surfaces. Le lisse travaille contre le rugueux.
Pierre (?) Lauga l'architecte ne semble pas avoir comme Le Corbusier besoin de la couleur. Pour quoi faire ? Le soleil a sans doute plus de travail à faire ici pour faire vibrer l'ordre de la façade. C'est beau aussi l'abandon d'une forme à sa lumière.
Et, pour conclure sur le gris des grilles modernistes, les photographes de ces cartes postales pourraient sans doute avoir affirmé avec Le Corbusier que :
"La photographie de cartes postales est le jeu, savant, correct et magnifique des volumes sous la lumière."
Oui.

 

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