samedi 16 mars 2013

La jetée (sans Chris Marker)

Où l'on va voir que les cartes postales obligent en quelque sorte à certains points de vue sur l'architecture (bonne ou mauvaise d'ailleurs...)
Lorsque Monsieur Naulleau, architecte construit l'immeuble la Marina (sic) à Saint-Jean-de-Monts, il n'avait sans doute pas pensé que pour faire voir et donc communiquer son architecture, les photographes de cartes postales iraient toujours mettre leur appareil photographique au même endroit.
Et même, on peut dire à la même distance...
Car pour que la longueur de la construction puisse se glisser dans la cadre de l'objectif, il fallait bien se reculer !

éditions La Cigogne, 1975


éditions du Gabier pour Artaud


éditions As de Cœur pour Artaud, 1985


Magie de l'urbanisme de bord de mer, génie de l'architecte ou hasard incroyable de la construction, le photographe trouve alors juste en face de la barre de Monsieur Naulleau une jetée.
Sa longueur, sa largeur offre donc au photographe cette distance et même aussi une heureuse composition articulant une profondeur, une rythmicité, et une animation qui fondent la promenade au bord de mer.
Est-ce que cette jetée comme le portique de Royan fait partie de l'architecture ? On pourrait sans aucun doute, vue la multiplicité de ce point de vue affirmer que oui. On pourrait dire que cette jetée offre à la fois une sorte de mini promenade en mer, un objet architectural où on va voir et se montrer, un objet social, un but de déambulation qui permettent de viser l'horizon maritime et au retour de viser l'horizon de la barre de la Marina de Saint-Jean-de-Monts comme un juste retour à la vie urbaine.
Imaginez-vous arpentant cette jetée :
Vous laissez derrière vous la construction blanche et en gradins, moderne certes mais peu marquante et vous empruntez le bois blanchi de la jetée. Vous avez devant vous des dos, des fesses, des traces de pas humides que laissent derrière eux d'autres promeneurs remontant de la plage. Vous allez vers la mer. Vous allez voir la mer. Vous allez faire une croisière ridicule mais joyeuse au-dessus de la mer qui bat les piliers de la jetée.
Vos pas font résonner le bois, des enfants sans doute, font sans cesse des aller et retours.
Pendant quelques minutes, vous oubliez la construction derrière vous et seuls les atours de vos compagnons vous rappellent que vous vivez l'été, les vacances, le balnéaire.
C'est joyeux cette pudeur relâchée de l'été, cette permissivité du regard sur les corps qui se montrent bien plus que dans la ville.
Puis vous arrivez au bout de la jetée. Vous êtes saisis soudain par le fait que, ici votre limite est marquée durement. Vous ne pourrez pas aller plus loin dans la mer si vous ne prenez pas un bateau. Il doit bien y avoir quelques adolescents voulant démontrer une virilité naissante qui sautent depuis ce plongeoir improvisé mais pas à cette heure.
Non, il y a là quelques pêcheurs. Vous vous appuyez sur le garde-corps les yeux perdus vers l'horizon et vous regardez les bateaux, les planches à voile. Comme tout le monde vous trouvez qu'il y a, oui, plus de vent ici, qu'il fait plus frais. Vous vous perdez dans des rêves maritimes enfantins comme quand, enfant, vous voyiez la mer dans le bassin des poissons rouge du jardin botanique de votre ville.
Mais une silhouette de jeune femme en bikini ou un cri d'enfant venant de la gauche vous réveille un peu. Il est temps de se retourner et de reprendre la marche cette fois en laissant la mer derrière et de voir en face s'agrandir au fur et à mesure de vos pas la Marina qui opère comme un contraste fort avec la première expérience. Vous allez de l'ouverture la plus grande vers la fermeture la plus grande. Monsieur Naulleau, à cette extrémité de la jetée ne vous laisse aucune chance : vous devez avoir votre regard fermé par sa Marina. Il vous dit que si vous voulez voir cette vue vous devez vivre là. l'immeuble entier regarde la jetée. L'immeuble entier est un balcon de théâtre qui regarde le spectacle de la vie sur la jetée. C'est une machine à voir la mer, un balcon géant dont le seul désir architectural est de viser la mer. C'est finalement dans son programme une sorte de bunker.
Mais à la différence que ce bunker tout en offrant la vue ne s'en cache pas et même tente de vous faire venir, au moins dans vos rêves, dans une vie faite de perdition du regard sur l'horizon lointain.
D'où vient cette jouissance du vide ?
D'où vient que nous ne puissions, quand cela nous est offert, résister à l'expérience de marcher vers le vide de l'horizon maritime ?
Et les trois Grâces qui marchent vers vous, offertes, heureuses, libres et souriant au photogaphe sont attendues par ce dernier comme la vraie promesse de cette jetée.







1 commentaire:

  1. Quelque chose m'a chiffonné un moment : si le recul permet de cadrer toute la largeur de l'immeuble pourquoi les extrémités de l'immeuble apparaissent-elles inclinées ? La réponse est à demander à la vue satellite et à d'autres photos : d'une part cette barre n'est pas une ligne droite mais une ligne courbe et les murs ne sont par verticaux mais légèrement inclinés.

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