dimanche 27 novembre 2022

Le brutalisme reconnu avant le brutalisme étudié



Est-il utile à un collectionneur de récupérer un modèle de carte postale chaque fois qu'il se présente et en autant d'exemplaires que possible ?
J'avoue avoir du mal lorsque je vois dans une boite à chaussure une carte que je possède déjà à la laisser dans le tas des drouilles, me prenant alors pour un sauveur, comme si le tri et l'extraction du commun permettait de remettre de l'ordre dans le monde. Je vous laisse faire ce que vous voudrez d'une analogie possible avec la vie. Je ne suis pas assez philosophe.
Mais il ne faut pas oublier aussi qu'une carte postale est toujours circonstanciée et donc très souvent finalement unique. Elle a un correspondant et un destinataire, une histoire donc de contact, de vie à raconter, de raison du choix d'une image.
On pourrait bien décider qu'ici sur ce blog le multiple permet justement le singulier et il doit bien y avoir dans le monde des collectionneurs de cartes postales un cas un peu particulier d'un collectionneur qui ne collectionne qu'un seul modèle de carte postale.

En attendant, il arrive aussi que la boite à chaussures dans laquelle est oubliée la carte postale contienne aussi des photographies mélangées. En voici une bien particulière pour nous les aficionados de Le Corbusier qui vous fera vivre un petit étonnement, un soubresaut attendri, une minute d'admiration ébahie :




Cette mauvaise photographie au sens de sa lecture un peu dure nous permet de voir l'abri du pélerin à Ronchamp terminé. Enfin, on le devine dans le charbon de l'image au contraste un peu trop marqué mais au fond, au bout du chemin surgissent les travaux de La Chapelle à peine démarrés.
Cela pourrait bien nous suffire de voir ainsi l'une des icônes de l'architecture en train de naître. C'est déjà un document historique et la pauvreté de la photographie ne retire rien finalement à ce moment. Je ne savais pas que l'abri du pélerin fut bâti avant La Chapelle elle-même.
Mais ce qui est le plus étonnant et qui questionnera tout passionné de l'histoire de l'architecture c'est bien ce que le photographe a inscrit alors au dos de sa photographie (voir début de l'article)
Oui. Cela est incroyable non ?
Autrement dit, la question du rapprochement du style de Le Corbusier et des bunkers et blockhaus avait bien eu lieu ailleurs que dans les textes à venir de Reyner Banham sur le brutalisme. Il existait donc une évidence formelle à ce rapprochement, rapprochement ici de culture populaire. De la sémiologie par le peuple en quelque sorte. On ne pourra pas ici affirmer que cela soit perçu comme négatif par le photographe mais disons que le désir de le préciser sur sa photographie prouve toute de même, à cette période, au milieu des années cinquante, un rapprochement qui mérite d'être noté et ainsi appuyé.
"j'ai reconnu dans les formes, dans le matériau, dans les ombres des architectures défensives de l'horreur" semble vouloir nous dire cette petite note au dos de l'image. Bien entendu, rien de la Chapelle elle-même ne peut être ainsi gratifié de cette qualité car elle n'existe pas encore. Mais c'est bien l'abri (au sens presque militaire) qui ici oblige le visiteur à sauter le pas de ce rapprochement, bien loin des critiques et historiens de l'architecture ou des architectes Virilio et Parent qui, eux, feront de cette "image" une réalité constructive presque dix années après à Banlay. 
Quel document !
Il y aurait donc des évidences perçues par tous et cela pourrait nous amener à croire que, évidemment, l'architecte lui-même ne pouvait pas ne pas le voir, le penser et surtout le réaliser.
Car, si au milieu des années cinquante, un particulier, seul devant les constructions de Le Corbusier ose gratifier ainsi par "style Blockhaus" une construction d'un architecte contemporain c'est qu'il fait lui-même l'analyse de ce style et qu'il le nomme. Le Blockhaus encore tiède des drames de la guerre devient un terme générique suffisamment populaire et clair pour qualifier une architecture qui n'a rien de militaire. C'est bien le signe d'un glissement sémantique inouï.
Reyner Banham devait bien l'entendre avant d'avoir à l'écrire.
Je reste stupéfait.



Mais voilà la seconde carte postale du chantier. Voilà celle que vous croyez avoir déjà vu ici mais non, il s'agit bien d'un autre exemplaire. Cet exemplaire daté du 5.5.55 nous raconte bien la distance entre la naissance de La Chapelle de Ronchamp et son inauguration. Le correspondant dans son texte informe lui-même de ce moment puisque il annonce pour le 25 juin cette inauguration en espérant y être et que ses amis y seront aussi. Voilà comment l'instantanéité d'un moment rejoint à rebours l'histoire. 

Pour voir ou revoir une toute petite sélection des cartes postales de La Chapelle de Ronchamp :

et, sans doute la plus importante :
 

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