Il essayait de rester à l'écoute des désirs de ses deux clientes mais, comme à son habitude, ses pensées vagabondaient. Enfin, il avait pris cette habitude depuis qu'il avait assisté à l'aménagement du nouveau Relais Top de Morainvilliers et qu'il avait discuté avec l'un des décorateurs.
Ce dernier avait ri aux éclats lorsque Daniel l'avait appelé ainsi et lui avait dit qu'il n'était pas décorateur mais designer. Ce mot avait sonné chez Daniel comme un objet précieux et exotique, quelque chose d'américain, de sérieux et de solide.
"une salade du chef avec une Evian"
"...et moi un plat du jour sans frites avec un Orangina"
Mais Daniel n'avait pas entendu.
Les gloussements des deux clientes le réveillèrent un peu mais surtout le sermon de la patronne, Madame Yvette qui était la nouvelle et fière propriétaire du Relais Top qu'elle avait voulu "dans l'esprit des Motels américains que j'ai vus l'an dernier pendant mon voyage aux chutes du Niagara."
Lampes blanches sur fine structure de métal brossé, faux plafond à vagues et grille géométrique avec des spots, sièges en moleskine imitant ceux des automobiles de sport et surtout "beaucoup de blanc, même si c'est salissant, c'est jeune et lumineux."
Daniel reprit son service, rangea à vingt-trois heures sa tenue dans le minuscule placard. Il y rangea aussi son rêve.
De toute manière, au printemps, il partait pour Metz faire son service militaire.
C'est là, qu'il apprit avec une certaine froideur que Madame Yvette fut écrasée par un Berliet de trente tonnes alors qu'elle expliquait sur le parking à sa future belle-fille combien l'architecture de son Relais-Top était moderne.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire