On peut mesurer l'impact d'une oeuvre d'art à la fréquence et la manière dont elle ressurgit dans l'Art Populaire comme un signe de reconnaissance avec un certain public voyant dans l'usage de cette oeuvre une complicité sur un terrain culturel commun.
Il en va ainsi d'une des plus célèbres maisons d'artistes qui pourtant n'est pas une maison d'architecte, du moins, on ne peut pas dire que son auteur se situe sur ce terrain.
La maison de Jean-Pierre Raynaud est bien cet objet.
C'est bien entendu sa radicalité, son homogénéité esthétique et son utilisation maniaque d'un carreau de carrelage blanc et d'un joint noir qui ont produit sa réputation d'oeuvre d'art totale. Le moins que l'on puisse dire c'est que cette Maison de Raynaud était bel et bien une oeuvre d'art mais, je pense aussi, une oeuvre architecturale et cela presque malgré Raynaud. Le déploiement des espaces, le désir de créer un lieu poétique aux noeuds psychologiques me rappellent les textes des débuts d'un Ricardo Bofill jeune voulant faire de ses architectures des moments métaphysiques comme si l'habitant devait subir de fait ce trouble pour, non pas habiter quelque part mais être habité tout court.
Sans doute un surjeu de l'architecte un peu ambitieux à son rôle.
Raynaud maintient d'ailleurs dans cette maison tous les usages habituels jouant même avec certains codes décoratifs comme le tapis par exemple. C'est en fait un dessin de maison. Le joint noir agit bien comme le trait du crayon.
Jean-Pierre Raynaud use donc d'une sorte de froideur due à la blancheur répétée de chaque carré émaillé en lieu et place d'imiter l'hygiène hospitalière. La netteté intrigante est effrayante car recouvrant tout, phagocytant chaque surface comme une maladie de peau ou, pire, venant d'un ordre absolu et ...ce qui fonde et appuie ce choc esthétique c'est que le plafond et bel et bien lui aussi couvert prouvant la folie de l'auteur. On sait comment l'objet plafond en architecture intérieur est une sorte de limite, de point Godwin de la décoration. L'histoire de la moquette au XXème siècle le raconte assez bien...
Attaquer (au sens militaire si on veut rire un peu), attaquer le plafond est toujours une preuve de radicalité. Mais la Maison de Jean-Pierre Raynaud n'est pas une maison de fada. C'est une maison.
Alors je me réjouis soudain de trouver cette carte postale publicitaire qui fait bien entendu référence à notre artiste national bleu, blanc, rouge :
Il s'agit d'une carte qui promeut le Crédit Agricole de Toulouse. On note que l'illustrateur Martin Veyron a réalisé d'autres cartes dans cette série publicitaire.
On envie sur celle-ci les Mercier qui ont décidé de suivre à la lettre le mode de vie de Jean-Pierre Raynaud et aime recevoir leur carreleur pour l'apéro ! On note aussi que cette maison des Mercier reprend tous les codes de son modèle mais que Martin Veyron semble nous dire que ce modèle serait vivable : habité et habitable donc. Rien sur la réalité effective de l'imitation du modèle, sur le rôle de la copie ou de comment les Mercier ont pu s'approprier le travail de Raynaud ! On sait qu'ils sont "férus d'Art Minimaliste".
C'est drôle mais il reste difficile de savoir comment ce type d'image a pu toucher la clientèle du Crédit Agricole de Toulouse. Qui avait alors la référence qui fait la complicité avec l'auteur et son humour ? J'aime le détail du petit chauffage calé entre les volumes et qui raconte la froideur du lieu. J'aime aussi la pose du propriétaire avec ses pieds sur la table basse ! Si on agrandit de trop le dessin de Martin Veyron on peut se retrouver entre Patrick Caulfield ou Roy Lichtenstein ! On devine que le Crédit Agricole veut ici communiquer sur la large ouverture de son esprit aux désirs de ses clients. Martin Veyron, lui, fait un signe.
Ce signe culturel interroge bien comment une oeuvre d'art radicale devient une image, comment elle se diffuse dans l'Art Populaire, comment elle réclame justement cette reconnaissance.
Il faudra que Martin Veyron nous raconte s'il avait bien visité cette Maison de Jean-Pierre Raynaud pour pouvoir ainsi, aussi librement, nous en faire une traduction. Se reconnait-il alors dans ce couple ? L'envie-t-il ?
Et aussi, à son tour, comment Jean-Pierre Raynaud a bien pu réagir à ce retour du réel, celui de l'imitation par goût des Mercier, celui de Martin Veyron comme connaisseur et celui des regardeurs comme moi tombant sur cette carte postale ? Le trop de popularité d'une oeuvre d'Art finit-il par l'abimer ?
Les Mercier ont-ils à leur tour détruit leur Maison minimaliste ? Ce retour du réel et le doute existentiel qui l'accompagne sont-ils trop fort pour le quotidien d'un couple d'amoureux ?
Qui sait...
Qu'importe ! Je considère pour ma part que la Maison de Raynaud était une oeuvre qu'il aurait fallu préserver. Détruite, je n'ai qu'un regret : ne l'avoir connue que par des images et des projections mentales que je me suis fabriqué. C'est sans doute la preuve que la si fameuse promenade architecturale n'est pas toujours nécessaire au saisissement des enjeux psychologique d'un lieu. Peut-être, qu'au fond de moi, la peur de mes projections mentales sur ces carreaux de céramique m'a empêché et retenu de faire cette visite.
Pour revoir des articles sur le carrelage :
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