Je m'amuse toujours du ton surpris de mes collègues lorsque je leur dis que, vraiment, le travail de Cyprien Gaillard ne m'intéresse pas du tout, mais alors, vraiment, pas du tout.
Mais j'avoue aussi que je n'arrive pas très bien à savoir pourquoi ni comment formuler mon dédain pour une personnalité pourtant présente, toujours, sur le devant de la scène, offrant l'archétype de l'artiste contemporain omniprésent et omnipotent, celui qui peut faire remuer le ciel et la terre (des mécénats) pour jouer avec des jouets d'adulte et des caprices d'enfants sur des fonds libéraux.
Et, lors de la création de cette pièce, c'est exactement ce que j'avais ressenti, cette mise en branle d'un désir qui se doit d'exister où rien ne doit contrarier, à grand renfort financier, l'impulsivité créatrice de l'artiste qui, duchampien très en retard, fait de l'oeuvre des autres (quelque soit la qualité des oeuvres et des...autres) un ready-made devant ramasser ses admirations et surtout sa nostalgie bien sentie sur une époque perdue comme pour nous dire combien il la regrette ou combien il s'en amuse. Toute l'ambiguïté du travail de l'artiste résidant dans ce balancement approuvé par la scène artistique contemporaine qui étant souvent incapable de viser l'éternité vise le rassurant monde d'avant-hier enrobé dans un verbiage rempli des signes de son monde codé. Et l'ami disparu, l'hommage attendri... Si, en plus, il y a du sentiment...Nous n'aurions plus rien à en dire.
Mais voilà que quelqu'un a à en dire quelque chose et qu'il le fait bien mieux que moi. J'aime rien tant que de dire à mes étudiants que les joies intellectuelles et les plaisirs de l'analyse viennent justement de ceux qui arrivent à formuler ce que nous ressentons intuitivement, qui arrivent à mettre des mots sur cette sensation première d'un rejet.
Ce monsieur c'est Thomas Clerc.
Je ne paraphraserai pas son texte, il est limpide et juste, parfois même un peu dur et j'aime ça même si aussi on sent son auteur prudent sur son attaque comme pour se réserver un palier de retour en grâce. On ne sait pas de quoi l'avenir de la critique est faite et si Thomas Clerc commence par dire son admiration pour Cyprien Gaillard, on sent bien qu'il s'agit là d'un garde-fou, lui permettant plus loin d'être plus dur.
Alors l'analyse est impeccable, la critique bien sentie, le ton amusé. Reste que, pour ma part, je n'irais pas dans le regret nostalgique d'un Paris disparu, celui romantique d'un situationnisme rêvé et finalement le risque de cet article c'est bien d'opposer la nostalgie chiracquienne de Cyprien Gaillard (celle de Macron ?) à celle Guydeborienne de Thomas Clerc. Moi, Guy Debord et ses bars enfumés dégueulasses ça ne m'a jamais fait tripé. Les planques de révolutionnaires de bar-tabac se prenant pour des Diogène dans un tonneau, je n'en ai vraiment rien à faire. C'est vrai que l'architecture du Quartier de l'Horloge n'est vraiment pas un chef-d'oeuvre, que l'Horloge animée de Jacques Monestier ne suffit pas à le sauver, mais je garde tout de même quelques images de moi, jeune adolescent, heureux simplement d'être à Paris et d'avoir attendu de la voir s'animer comme nous avions aimé aussi regarder la pendule qui égrenait le temps vers l'An 2000, petit provincial que j'étais alors, heureux de croire qu'il était au sommet du rêve de la ville. Que voulez-vous...On vient de loin parfois pour apprendre à grandir et s'autoriser enfin à renoncer aux lumières par trop factices d'une ville comme Paris capable d'offrir à votre jeune émancipation provinciale des éclats un rien faibles et des incendies trop brillants. Je ne veux pas renoncer à ces souvenirs de ma candeur. Ce sera ma différence avec Thomas Clerc.
Je ne suis jamais retourné dans ce quartier. Jamais. J'avoue que l'absence de la sculpture le Défenseur du Temps y est peut-être pour quelque chose. Ce Défenseur du Temps en était finalement bien la raison d'être, une raison d'y passer. Son retour sur place me fera peut-être aimer y retourner et comprendre que du mauvais goût d'une époque on peut tout de même garder de soi une tentation d'admiration attendrie à sa jeunesse.
Guy Debord, Jacques Monestier, Cyprien Gaillard sont donc maintenant liés dans une sorte de trinité de l'échec politique et artistique. À moins , finalement, que le second degrés de Cyprien Gaillard sur le travail de Monestier et son retour en grâce à sa place-même soit le signe que le libéralisme de l'un comme de l'autre finissent par se confondre.
Je remercie donc Thomas Clerc d'avoir mis des mots sur mon impression et je remercie Claude Lothier de m'avoir signalé cet article.
Que serais-je sans toi ?
J'aurais beaucoup de plaisir de lire à voix haute cet article à mes étudiants la semaine prochaine.
Pour lire l'article de Thomas Clerc sur Cyprien Gaillard et son travail :
La carte postale de ma collection est une édition Gulian qui donne toutes les informations sur la sculpture de Jacques Monestier. La photographie est de Clovis Prévost qui malheureusement ne donne qu'une mauvaise échelle de la sculpture. On notera que la preuve qu'une architecture est vraiment peu marquante c'est qu'elle n'a jamais eu d'édition en carte postale. Je n'ai jamais rencontré de carte postale de ce quartier autre que celle de cet automate. L'écran parfait en quelque sorte, l'horloge à la place de l'architecture.
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