Il était bien trop tôt et même le videur à l'entrée de la boîte le Must avait sursauté en voyant arriver Alvar. Alvar avait fait un effort surhumain pour mettre ce pantalon à pinces, cette ceinture à boucle dorée et cette chemise Cacharel sur laquelle il noua une mince cravate noire qu'il avait trouvée dans les tiroirs de son père. Ses copains de promo voulaient finir l'année en beauté comme ils disaient et bien entendu, Alvar, comme à son habitude, pris entre le désir de refuser ce genre de projet et celui de s'intégrer avait fini par accepter. Ne connaissant pas les mœurs de ce genre de soirée, et aussi sans doute, croyant en finir au plus vite, il était arrivé bien trop tôt à ce rendez-vous. Il n'avait pas compris que tout le monde devait d'abord passer une partie de la soirée chez Sandrine avant de se rejoindre ici, déjà un peu chaud, dans la boîte de nuit.
Il était venu avec la Renault 5 Lauréate de sa mère qui avait cru bon de faire mine de saisir le sens de ce prêt par un sourire en coin en y ajoutant les conseils habituels de prudence.
Il ne sut jamais si c'était elle qui avait glissé des préservatifs dans sa veste ou si c'était son père. En fait, c'était son frère. Sur le parking, il avait d'ailleurs pour la première fois de sa vie, en les découvrant, pris le temps d'en déballer un pour apprendre comment c'était fait, voir un peu à quoi ça ressemble et paraître, le cas échéant, moins stupide même s'il ne voyait pas bien avec qui il pourrait avoir l'occasion de s'en servir. Il avait d'ailleurs été nommé d'office chauffeur des retours et avait compris que cette invitation était en fait une manière cachée pour ses camarades d'avoir une sécurité assurée, tout le monde sachant bien que Alvar était bien trop sérieux pour ne pas se saouler toute la nuit.
Malgré cela, malgré ce sentiment étrange ressemblant au choix qu'on fait du dernier pour former l'équipe de basket en sport, il avait accepté par curiosité. Et il avait les clefs. Il était finalement en position de pouvoir.
Dans la boîte, un peu seul, il changea plusieurs fois de place. Là il ne voyait pas l'entrée, là, il était trop près des toilettes, ici, le pouf était fatigué. Il trouva finalement sur une banquette tout le loisir d'étendre ses bras de chaque côté et adopta mi pour rire, mi sérieusement, cette position qu'il avait vu dans les films de mafieux, jambes ostensiblement écartées, bras ouverts, le corps légèrement abandonné. Ses aisselles pourraient tout à loisir répandre le musc trop fort de son déo bon marché. La musique passait déjà à fond, et il se demanda pourquoi le Dj passait si tôt Paula Abdul dont d'ailleurs il aimait tant le magnifique Straight up qu'il lui arrivait de danser, seul dans sa chambre.
Il vit arriver alors la petite bande de ses amis surpris et amusés de le retrouver là, se moquant un peu de son erreur mais appréciant qu'il ait eu la présence d'esprit de réserver cet espace. Alvar dut alors refermer son corps, le replier, le petit groupe devant se serrer sur la banquette. Myriam vint alors se coller à lui et pour s'excuser de le tasser un peu, elle posa sa main sur sa cuisse. Alvar ne sut pas quoi faire de ce signe. En lui parlant de banalités, du chemin pour venir là, Myriam parlait à Alvar d'un peu trop près comme pour que sa voix passe par dessus la musique. Il sentait presque ses lèvres toucher le lobe de son oreille gauche.
Elle lui tendit alors la petite paille rouge qui débordait de son Mojito et l'invita à goûter le cocktail en lui disant que ce n'était pas ça qui l'empêcherait de les ramener. Alvar s'exécuta et il ne compris pas alors pourquoi Myriam lui donna dans le creux de son oreille un délicat merci.
Alors que déjà une partie de la troupe s'agitait sur le dance floor, Alvar resta sur la banquette et eut plaisir à presque reprendre sa position de leader si ce n'est que Myriam était restée elle aussi avec lui.
- Tu me remercies de quoi au juste demanda alors Alvar.
- ... de quoi...?
- Tout à l'heure tu m'as dit merci en me proposant ton Mojito. Pourquoi ?
- Tu verras tout à l'heure...
Alvar n'eut pas le temps d'interroger à nouveau Myriam qu'elle le tirait par le bras pour qu'il vienne la rejoindre sur la piste de danse. Et sur Somebody's Watching me, Alvar soudain, soutenu du bout des doigts par Myriam se vit prendre avec l'espace des libertés dont il ne se croyait pas capable, ce qui sidéra d'ailleurs une partie de ses camarades obligés de le regarder ainsi danser avec une certaine grâce en compagnie de Myriam, elle-même étonnée et heureuse de cette découverte. Alvar ne réussit plus alors à s'asseoir et enchaîna morceau sur morceau, suant de la tête aux pieds. Il fallut organiser des approvisionnements en eau fraîche pour le désaltérer et Myriam se chargea de cette tâche avec une grande attention, en profitant parfois pour rester avec lui et danser.
Alvar ne se souvient plus très bien comment finalement il se retrouva seul avec elle dans la Renault 5 Lauréate mais il comprit rapidement pourquoi maintenant elle lui avait dit merci.
Bien entendu, les chaînes sur les pneus de la Renault 5 peinaient à accrocher la route bien trop enneigée et verglacée. Finalement, avec beaucoup de prudence et dans un esprit bon enfant où chacun fait un effort pour rester dans l'esprit joyeux des vacances, ils arrivèrent à Val-Thorens. Seul, Gérald avait perturbé ce voyage profitant même de la lenteur de l'auto pour sortir pisser sur le bord de la route, et faisant rire tout le monde, réussissant à descendre et remonter de voiture d'un virage à l'autre sans qu'elle ne s'arrête.
Dans le Club Hôtel, ils avaient loué deux chambres contiguës. En fait, ils n'en avaient loué qu'une seule, l'autre ayant été prêtée à Gérald gratuitement car il connaissait le propriétaire, son parrain, pour lequel il avait travaillé l'an dernier. Il y avait déjà plus de six heures qu'ils roulaient et Alvar était le dernier à prendre le relais de la conduite sur cette portion plus délicate de la route. Il était un peu nerveux de conduire ainsi sur la neige pour la première fois.
Gérald prit lui-même les clefs derrière le comptoir de la réception montrant ainsi qu'il était familier des lieux. 504 et 506 étaient les numéros de leurs chambres, Alvar et Myriam choisirent la 506, Gérald et Sandrine la 504.
Arrivés devant leur porte respective, les couples s'excusèrent de la même manière : besoin de se rafraîchir, de se reposer, de ranger leurs affaires et ils se donnèrent rendez-vous dans une heure au bar du rez-de-chaussée. Tout était pourtant transparent pour chacun d'eux.
C'est en ouvrant la fenêtre pour voir le paysage que Alvar comprit qu'il avait oublié de serrer à fond le frein à main de sa voiture. Elle avait glissé tranquillement vers le bas du parking en se posant en biais au milieu des autres automobilistes qui tentaient de la déplacer. Il hurla de maladroites excuses tout en courant en t-shirt et chaussettes vers le parking pour réparer son erreur.
C'est depuis ce point de vue qu'il vit sur le balcon Myriam se moquer de lui. Il comprit qu'il avait oublié ses chaussures et les clefs à l'étage. Toutes tombèrent dans la neige épaisse en n'y faisant que des trous minuscules et profonds dans lesquels Alvar dut pourtant plonger sa main déjà glacée.
Alvar et Myriam arrivèrent donc légèrement en retard au rendez-vous du bar.
Par ordre d'apparition :
Carte postale publicitaire photo JPS Selestat pour Espace JC Helmer, le chalet, complexe de danse et loisirs nocturnes, Le Must.
Carte postale Combier, Val-Thorens, "Club Hôtel", Jean-Claude Bernard, architecte. (On aura l'occasion d'en reparler.)
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