jeudi 27 septembre 2018

Moi, je l'emballe l'architecture



Dans la moisson des cartes postales, j'aime beaucoup trouver des liens et voir apparaître des images d'événements qui ont disparu et que la carte postale retient comme une archive populaire.
Il ne fait aucun doute que le Pont Neuf emballé par Christo en 1985 fait partie de ces événements qui ont marqué les années 80 si promptes à voir surgir le spectacle.
Je n'ai malheureusement pas vu cette intervention de l'artiste mais je me souviens de son scandale un peu mousseux.
L'intervention en elle-même, geste gratuit qui fait sa beauté, sert donc à bouleverser la ville, à la transformer, à questionner le geste artistique et sa nécessaire collaboration avec le politique. En effet, difficile de venir un matin, emballer le Pont Neuf sans autorisation. Alors que l'imaginaire et de beaux dessins en prouvant la réalité poétique auraient bien pu suffire, il est indéniable que la réalisation dans le réel des jours et des lumières est la preuve, de fait, d'un désir politique.
Bien entendu, ce geste d'empaqueter le Pont Neuf (empaqueter est le terme utilisé par l'éditeur des cartes postales) a donné l'occasion d'éditions de cartes postales pour nourrir les visiteurs, les touristes, les détracteurs et... l'artiste.



En voici deux exemples par le photographe Wolfgang Volz pour la maison d'édition Nouvelles Images. On remarque de suite cette couleur ambrée, dorée, d'un brun chaud qui, surtout sur la première carte postale, semble jouer avec les pierres du Vieux Paris. Bien entendu, ce champ coloré est désiré par l'artiste, sans doute pour en atténuer à la fois le jeu entre son intervention et le paysage urbain. Tenter aussi de ne rien perdre du spectaculaire, assumer tout de même une certaine intégration, une politesse. Calmons le jeu, en quelque sorte.
J'avoue que c'est bien ce qui me gêne, cette réticence, cette timidité de façade. J'aime mieux le Christo rose vif des îles de la baie de Biscayne. Si le doré montant d'un soleil bas, au lever ou au coucher, donnera une chance à un ton plus audacieux de paraître, il me semble qu'une franchise plus grande eut été aussi plus juste.
Au dos des cartes postales, le correspondant ajoute qu'il a passé deux jours et demi chez Mimi en octobre 1985. On trouve aussi des informations techniques comme l'utilisation de 40 000 mètres carrés de toile nylon polyamide et 11 000 mètres de corde. On apprend que le directeur du projet était Johannes Schaub.
Mais dans les boîtes à chaussures, je n'achète pas que des cartes postales d'architecture contemporaine ou moderne. D'autres événements, de la même époque, ont droit eux aussi à une expression par l'édition du carte postale. Et, l'emballage d'une partie bien plus intime et plus réduite en est aussi l'objet.
Cette carte postale, (tout en haut de cet article) a le mérite de sa clarté, de son évidence qui, contrairement à Christo, reste d'actualité. Je vous donne ici le verso, car, je crois bien que Antoine, l'expéditeur, sans y toucher, comme ça, l'air de rien, semble vouloir dire quelque chose de bien clair à son voisin...



On notera que Antoine semble hésitant sur la portée du message du Syndicat National des Entreprises Gaies, mêlant contraception et protection. Mais... on appellera ça un dégagement timide.
Pourrait-on affirmer que l'enfilage d'une capote géante sur l'obélisque de la Concorde par Act Up en 1993 est une réminiscence de l'emballage du Pont Neuf par Christo ? S'agit-il là d'une vraie filiation Agit-Prop, utile elle, puissante, claire et nécessaire ? L'acte artistique est alors superbe car sans ce romantisme de l'artiste démiurge s'appuyant sur les autorisations et soutiens de l'État.
Le surgissement soudain de cet événement, sa radicalité, son audace rompant le silence (et sa violence associée) furent un vrai moment historique, un monument historique.
Un monument historique qui n'aura duré qu'une heure, n'oublions pas qu'en 1993 Charles Pasqua est Ministre de l'Intérieur et Philippe Douste-Blazy Ministre de la Santé. On n'oublie rien de leur utilité.
Et n'oubliez pas d'emballer ce qui se doit de l'être, encore, et encore.
Merci.


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