D'abord, je dois l'avouer, je me suis dit que cela allait être, une fois encore, un film d'un positivisme douteux réalisé par un local ayant réussi, sorte de vengeance de classe, celui du retour de l'enfant prodigue en sa banlieue. On n'échappe pas à quelques amalgames, quelques imprécisions habituelles et qui continuent de m'agacer, on y parle très mal de l'architecture et on y reconnait aucun particularisme, tout valant tout, de Émille Aillaud à Labourdette.
On s'amuse quand Michel Cantal-Dupart nous laisse croire à un rapport entre Kandinsky et l'architecture des angles droits de nos banlieues... Pauvre Kandinsky devenu le fautif ! Franchement...Enfin...pour une fois, ce n'est pas Corbu que l'on traite de fasciste de l'angle droit !
Mais ce qui sauve donc Mohamed Bouhafsi dans sa tentative c'est qu'il est question beaucoup de lui, de sa vie de famille, de son quartier. Il part de quelque part et surtout il part de son histoire. Certes, je l'ai dit plus haut cela ne l'empêche pas de construire un roman personnel voulant collé au roman habituel de la banlieue et des grands ensembles mais cela change vraiment tout. Alors qu'on se dit qu'on va avoir un festival de témoignages de ceux qui en sont sortis jouant les héros de la vengeance de classe voilà que la radicalité de leurs prises de paroles, sans enrobage, dans une honnêteté parfois déconcertante nous donne l'envie de reconsidérer des positions. Il y a là, dans ce film, un vrai effet du réel. Cela nous change un rien de ce que nous avons vu il y a peu.
Et ce n'est justement pas une question de légitimité. C'est ça qui est réussi.
Par exemple les prise de paroles de Sofiane Zermani sont éloquentes, touchantes, dures et âpres. C'est parfait. Quand surgit aussi l'histoire de la violence du père de Mohamed Bouhafsi, là encore on est touchés par la mise en avant directe, presque impudique mais si éclairante d'un cas particulier qui devient universel. On est aussi touchés par le fait que la réalisation et les témoignages savent remercier les agents de leur émancipation. Le témoignage de Anne-Elisabeth Lemoine sur les violences sexuelles est aussi un moment qui nous laisse dans une vraie émotion. Le documentaire tente donc d'une prise de parole à des témoignages directs de rendre l'écho des politiques de la ville dans les corps de chacun. On note que c'est bien le maillage des petites interventions, des micro-aides, des tentatives individuelles et associatives qui semblent toujours être les seules réponses valides, efficaces et acceptées. En cela aussi, ce film est intéressant. Des actions moléculaires qui produisent de grands effets, une proximité aussi bien mieux acceptée.
Mais d'ailleurs...d'où vient ce désir, en ce moment, de nous raconter l'aventure des grands ensembles et de la banlieue ? Quelle est l'urgence ? Récupération politique ? Tentative de faire d'un corps social complexe, dans son regroupement historique, un corps électoral qui pourra être ramassé autrement que par une extrême gauche devenue démente et absente de ce film ? Est-ce que de Nicolas Sarkosy à Fabien Roussel en passant par François Hollande et Emmanuel Macron (d'ailleurs assez juste à son tour) on tenterait justement de cercler cet électorat dans un front républicain attendri, comme se reconnaissant par son histoire commune et chaotique ?
Qui sait...
Alors il ne fait aucun doute que beaucoup de choses continuent de m'agacer dans ce documentaire. Par exemple, je voudrai rappeler que certes le prolétariat de l'émigration a participé à l'aventure des Trente Glorieuses mais oublier qu'il y avait aussi un prolétariat de souche (je ne sais pas trop comment l'appeler autrement) n'est pas une bonne idée. Le prolétariat n'a pas besoin de ce genre de hiérarchie de la pauvreté.
Certes, donc, il s'agit bien là d'un monument dressé par Mohamed Bouhafsi à sa propre émancipation, à sa propre histoire. Mais comment le lui reprocher ? Comment faire avec ce sentiment d'avoir réussi à partir de là tout en ne pouvant, bien entendu, rien renier de ceux qui vous y ont aidé et y sont parfois restés ? Le prolétariat connait bien ce sentiment. L'émancipation est-elle forcément une trahison de classe ? Est-ce aussi l'histoire de Nathalie Conscience ?
On regrettera donc que l'architecture une fois encore n'est vue que comme un instrument de la défaite. On regrettera qu'au delà des images des habitantes et habitants pleurant devant les explosions des tours, il ne soit aussi question d'un Patrimoine architectural et urbain à préserver, d'une culture urbaine à mieux sauvegarder.
Mais je pense que Mohamed Bouhafsi en a sous le pied...nul doute qu'il reviendra là, qu'il nous fera un second volume, nous racontera l'histoire de la nouvelle génération. Et, c'est vrai que quand c'est le coeur qui parle il est parfois maladroit. Mais c'est le coeur...que voulez-vous...on lui pardonne.
J'aurai bien voulu trouver des cartes postales de ce quartier du Franc-Moisin mais je n'en possède pas. Il y a tant de cités sur mes blogs que vous n'aurez aucun souci pour vous en faire une représentation probable. Mais on va chercher !
Allez-là : https://archipostalecarte.blogspot.com/search/label/hard%20french