vendredi 21 février 2025

La Banlieue c'est le Paradis de Mohamed Bouhafsi et Nathalie Conscience


D'abord, je dois l'avouer, je me suis dit que cela allait être, une fois encore, un film d'un positivisme douteux réalisé par un local ayant réussi, sorte de vengeance de classe, celui du retour de l'enfant prodigue en sa banlieue. On n'échappe pas à quelques amalgames, quelques imprécisions habituelles et qui continuent de m'agacer, on y parle très mal de l'architecture et on y reconnait aucun particularisme, tout valant tout, de Émille Aillaud à Labourdette.

On s'amuse quand Michel Cantal-Dupart nous laisse croire à un rapport entre Kandinsky et l'architecture des angles droits de nos banlieues... Pauvre Kandinsky devenu le fautif ! Franchement...Enfin...pour une fois, ce n'est pas Corbu que l'on traite de fasciste de l'angle droit !

Mais ce qui sauve donc Mohamed Bouhafsi dans sa tentative c'est qu'il est question beaucoup de lui, de sa vie de famille, de son quartier. Il part de quelque part et surtout il part de son histoire. Certes, je l'ai dit plus haut cela ne l'empêche pas de construire un roman personnel voulant collé au roman habituel de la banlieue et des grands ensembles mais cela change vraiment tout. Alors qu'on se dit qu'on va avoir un festival de témoignages de ceux qui en sont sortis jouant les héros de la vengeance de classe voilà que la radicalité de leurs prises de paroles, sans enrobage, dans une honnêteté parfois déconcertante nous donne l'envie de reconsidérer des positions. Il y a là, dans ce film, un vrai effet du réel. Cela nous change un rien de ce que nous avons vu il y a peu.

Et ce n'est justement pas une question de légitimité. C'est ça qui est réussi.

Par exemple les prise de paroles de Sofiane Zermani sont éloquentes, touchantes, dures et âpres. C'est parfait. Quand surgit aussi l'histoire de la violence du père de Mohamed Bouhafsi, là encore on est touchés par la mise en avant directe, presque impudique mais si éclairante d'un cas particulier qui devient universel. On est aussi touchés par le fait que la réalisation et les témoignages savent remercier les agents de leur émancipation. Le témoignage de Anne-Elisabeth Lemoine sur les violences sexuelles est aussi un moment qui nous laisse dans une vraie émotion. Le documentaire tente donc d'une prise de parole  à des témoignages directs de rendre l'écho des politiques de la ville dans les corps de chacun. On note que c'est bien le maillage des petites interventions, des micro-aides, des tentatives individuelles et associatives qui semblent toujours être les seules réponses valides, efficaces et acceptées. En cela aussi, ce film est intéressant. Des actions moléculaires qui produisent de grands effets, une proximité aussi bien mieux acceptée.

Mais d'ailleurs...d'où vient ce désir, en ce moment, de nous raconter l'aventure des grands ensembles et de la banlieue ? Quelle est l'urgence ? Récupération politique ? Tentative de faire d'un corps social complexe, dans son regroupement historique, un corps électoral qui pourra être ramassé autrement que par une extrême gauche devenue démente et absente de ce film ? Est-ce que de Nicolas Sarkosy à Fabien Roussel en passant par François Hollande et Emmanuel Macron (d'ailleurs assez juste à son tour) on tenterait justement de cercler cet électorat dans un front républicain attendri, comme se reconnaissant par son histoire commune et chaotique ?

Qui sait...

Alors il ne fait aucun doute que beaucoup de choses continuent de m'agacer dans ce documentaire. Par exemple, je voudrai rappeler que certes le prolétariat de l'émigration a participé à l'aventure des Trente Glorieuses mais oublier qu'il y avait aussi un prolétariat de souche (je ne sais pas trop comment l'appeler autrement) n'est pas une bonne idée. Le prolétariat n'a pas besoin de ce genre de hiérarchie de la pauvreté. 

Certes, donc, il s'agit bien là d'un monument dressé par Mohamed Bouhafsi à sa propre émancipation, à sa propre histoire. Mais comment le lui reprocher ? Comment faire avec ce sentiment d'avoir réussi à partir de là tout en ne pouvant, bien entendu, rien renier de ceux qui vous y ont aidé et y sont parfois restés ? Le prolétariat connait bien ce sentiment. L'émancipation est-elle forcément une trahison de classe ? Est-ce aussi l'histoire de Nathalie Conscience ?

On regrettera donc que l'architecture une fois encore n'est vue que comme un instrument de la défaite. On regrettera qu'au delà des images des habitantes et habitants pleurant devant les explosions des tours, il ne soit aussi question d'un Patrimoine architectural et urbain à préserver, d'une culture urbaine à mieux sauvegarder.

Mais je pense que Mohamed Bouhafsi en a sous le pied...nul doute qu'il reviendra là, qu'il nous fera un second volume, nous racontera l'histoire de la nouvelle génération. Et, c'est vrai que quand c'est le coeur qui parle il est parfois maladroit. Mais c'est le coeur...que voulez-vous...on lui pardonne.

J'aurai bien voulu trouver des cartes postales de ce quartier du Franc-Moisin mais je n'en possède pas. Il y  a tant de cités sur mes blogs que vous n'aurez aucun souci pour vous en faire une représentation probable. Mais on va chercher !

Allez-là : https://archipostalecarte.blogspot.com/search/label/hard%20french

https://www.france.tv/documentaires/documentaires-societe/6908881-la-banlieue-c-est-le-paradis.html#about-section



mardi 18 février 2025

Royan, la vie est belle

 S'accumule sur le coin de ma petite table de travail, juste à la droite de mon ordinateur un petit tas de cartes postales de Royan qui attend...qui attend quoi au fait ?
Je ne sais pas trop...Un regain d'intérêt ? Sans doute. Une acceptation de la distance qui me sépare de la ville et qui s'agrandit chaque jour ? Sans doute aussi...
Je dois même vous avouer que je me suis demandé si je me devais de vous montrer ces nouvelles images qui ne sont ni particulièrement spectaculaires, ni particulièrement rares pour vous dire quelque chose de nouveau que je ne vous aurais pas déjà dit dans mon livre, livre que vous avez tous lu (bien entendu) ou sur mes blogs.

Alors, je vous propose une promenade sans trop d'ambition, tranquillement, le nez au vent de la Modernité, comme si nous étions ensembles dans la plus belle ville du Monde.
Allez ! On commence ?





Je commence par une carte assez rare qui nous montre le Bar Métropole au milieu du boulevard Aristide Briand. Le marché central est tout au bout, là-bas. Je crois que l'on reconnait bien là la première étape de la Reconstruction de Royan, un peu l'esprit Perret et Art Déco avant la révolution brésilienne. Mon compte-fil me prouve que nous ne sommes pas seuls et un garçonnet nous observe. Il pose. Aujourd'hui la vérandalisation* a produit cette obscénité en grignotant sur l'espace public. Mais que fait la Police (du Patrimoine) ? 
Une belle édition du très sérieux et solide éditeur L. Chatagneau.



Un autre coin de la ville, un coin que j'aime tout particulièrement car la concentration de l'écriture moderne y est à son comble. Les fidèles auront reconnu l'Hôtel Continental à droite, la flèche de Notre-Dame de Royan qui dépasse et le très bel îlot à gauche (Roger Mialet, architecte ?)  qui me fait toujours penser à Tel-Aviv, je ne sais pas bien pourquoi. On note que toutes les fenêtres sont marquées au blanc de Meudon, comme on le fait des constructions en fin de chantier. Serions-nous donc au moment prochain de sa livraison ? La carte postale est une édition C.A.P sans date ni photographe.


Encore un peu de la rue. Ici c'est la rue de la République. On perçoit bien comment cet axe est celui de l'automobile ! Et qu'il serait bien triste d'oublier cette particularité de l'urbanisme de la ville...Là encore, tout le travail de claustra et de persiennes est aujourd'hui massacré par des vérandas immondes. On attend que les pelleteuses qui travaillent sur le Front de Mer viennent ici faire le même nettoyage. Allez ! Hop !
Les amateurs d'automobiles anciennes se régaleront de ce petit musée à ciel ouvert de la production automobile de cette époque. Pas d'éditeur pour cette très jolie et vivante carte postale. On imagine le photographe, au milieu de la chaussée, qui se fait klaxonner par la Simca Aronde qui arrive vers lui !




Pour une fois, je montrerai aussi le verso de cette carte postale Glatigny (éditeur assez peu connu) qui nous montre le très beau et utile Portique malheureusement disparu. Il parait qu'il va être reconstruit bientôt...y parait...Faudrait voir Monsieur le Maire pour en parler avec lui...On est donc précisément le 15 aout 1957 à 10h30, c'est ce que nous dit l'affranchissement. Comme il était beau ce  Portique, intelligent, indispensable à l'écriture urbaine de la ville de Royan ! Regardez comment les gens savaient quoi en faire ! Un balcon sur la mer, un filtre entre le balnéaire et la ville ! Magnifique geste architectural ! Erreur fondamentale de sa destruction...




Voilà une belle vue aérienne Combier qui nous montre Royan sous la Reconstruction. Beaucoup de parcelles encore vides, des grues sur le Front de Mer, le premier plan de la photographie pourrait presque nous laisser croire à une ville de campagne. En bas, on devine des baraquements provisoires et, un peu plus haut, on voit bien l'immeuble des Ponts et Chaussée, lui,  bien construit. On serait donc vers 1952 ! Ce très très beau bâtiment est de Salier, architecte. Il est, par contre, encore totalement isolé.


Comment résister à une telle carte postale de Notre-Dame de Royan qui affiche la déclaration de sa naissance ? C'est encore Mr Chatagneau l'éditeur. On note qu'au dos figurent bien tous les noms des architectes et ingénieurs : Gillet Architecte, Laffaille Ingénieur Conseil, René Sarger Ingénieur et Mr Hébrard Architecte d'opération. Combien de temps Notre-Dame fut qualifiée de "nouvelle église" ?



Pour finir, une carte finalement assez rare. Il s'agit de l'intérieur de l'église Notre-Dame de l'Assomption, l'autre église moderne de Royan, un peu moins connue. Je peux même vous avouer que...je ne suis jamais entré dans celle-ci...Oui...je sais...
Promis ! Je le ferai à ma prochaine visite si elle est ouverte !
Cette belle photographie que l'on doit aux éditions Arum-éditions est de B. Mercier. On note que l'on retrouve Mr Hébrard comme architecte accompagné de messieurs Baranton et Bauhain. La carte fut expédiée en 1977. 
J'espère que vous avez passé un joli moment en ma compagnie dans la plus belle ville du Monde. Et si vous voulez voir un reportage sur Notre-Dame de Royan et retrouver Charlotte de Charette, je vous conseille ce lien :

Il ya tellement de cartes postales de Royan sur mes blogs que je vous laisse compléter cet article par des lectures à rebours.

*j'emprunte ce néologisme à Charlotte de Charette.


dimanche 16 février 2025

Radicalisme brutaliste d'un photographe et de ses architectes



 Je ne sais pas très bien quoi vous dire de cette architecture car, simplement, je n'en sais rien d'autre que ce que nous montre cette magnifique carte postale et la suivante. Je veux dire qu'il m'arrive bien plus souvent d'être touché par les images que par les lieux, c'est le revers possible de ce genre d'exercice qui consiste à discourir bien plus sur des ensembles de lignes, de valeurs, de tonalités qui composent une image que sur une visite des lieux dont l'image ramassée serait l'ultime souvenir d'une sensation suspendue. Pourtant, lors de l'achat, je n'ai pas hésité. J'y ai trouvé quelque chose de fort et d'assez indéfinissable produit par l'organisation spatiale de cette photographie représentant un collège à Chichester dans le Sussex. Le photographe de ce détail d'architecture est Eric de Maré et les architectes sont Bridgwater, Shepeard et Epstein. J'aurais aimer, comme mon coeur m'y orientait pouvoir dire les Smithson et leur école de Hustanton. Mais non. Et j'avoue que je ne savais pas l'importance de ce photographe d'architecture dont je découvre l'histoire et les autres images ici: https://www.ribapix.com/eric-de-maré

Il faut donc croire que je suis tombé sur un certain accord entre une architecture de qualité et un photographe de renom. Mais revenons à l'idée que l'image est peut-être plus construite que l'architecture, que ma vision y plonge comme dans un autre réel, que l'organisation des jeux plastiques me permette de comprendre ma jubilation. Cadre dans cadre dans cadre. Horizontalité et verticalité parfaitement tendues. Attente du moment parfait qui place le soleil et fabrique l'ombre idéale. Placement du sujet qui ponctue l'image. Lumière très dure offrant vrais blancs et panel infini des gris. On ne sait plus si c'est le dessin des espaces et des profondeurs réglés par les architectes qui a construit tout cela ou bien Eric de Maré qui a su les voir, peut-être plus durement, que leurs créateurs. Trop ? C'est une image très minérale qui me fait penser à une certaine idée de places italiennes ou de cloitres du Moyen-Age, voir, soyons fous, d'espaces très japonais où les vides successifs fabriquent les émotions spatiales entre les passages ombrés à outrance et les lumières solaires radicalisées par des cadres. Je ne sais pas très bien pourquoi mais je suis particulièrement attiré par le fait que les poteaux ne touchent le sol qu'avec l'aide d'un peu de vide. On sait que Reyner Banham  définit le Brutalisme par la création (non pas de constructions en béton) mais dans la simplicité radicale des matériaux, sans fioriture, n'indiquant que leur rôle structurant, la force qu'ils conduisent. On y est non ? Tant pis si vous ne me suivez pas...J'aimerai quand même cette photographie et ce moment spatial.
Après le choc esthétique et son infinie joie, les question affluent. Est-ce que ce photographe avait l'habitude de produire des cartes postales ? Pourquoi je ne trouve pas d'information très précise sur ces architectes ? Pourquoi le hasard m'a mis dans les mains ces deux cartes postales ? Est-ce que les éditions A. Gordon Fraser Card avait un goût particulier pour l'architecture moderniste ? Est-ce que Martin Parr possèdes ces deux cartes postales ? Aime-t-il ce photographe ? Comment se fait-il que je ne connaissais pas ce photographe pourtant bien repéré par l'histoire ? Comment Eric de Maré voyait son travail sur le vernaculaire en frottement contre celui des Becher ?

J'apprends (comme tout le monde) ce que Eric de Maré disait de son travail : " Le photographe est peut-être le meilleur critique d'architecture, car, par un cadrage et une sélection judicieux, il peut communiquer des commentaires directs et puissants à la fois élogieux et protestataires : il peut également découvrir et révéler une architecture là où aucune n'était prévue."
On note qu'on trouve bien des architectures modernes et brutalistes dans le fonds du photographe.

Ne croirait-on pas lire une critique de le Corbusier à Lucien Hervé lui rappelant que l'architecte c'était lui. Que, parfois, à tort (ou ici à raison) le photographe fait plus architecture que les architectes eux-mêmes ? N'est-ce point là la chance de la photographie ?


L'autre carte postale nous faire encore jubiler. Tout le vocabulaire moderne y est comme appuyé et vraiment la légèreté et la lumière me font bien penser à cette école d'un pragmatisme tempéré. La maigreur des IPN qui font tout le travail structurel offre à cette image la force des verticales qui ponctuent l'espace. C'est léger, léger, léger. Eric de Maré a parfaitement ordonné son cadre, calant toute la lumière sur les fenêtres à droite (ça brule presque la netteté) et la lumière vient taper sur le premier poteau à gauche. Vous la voyez la dame ? Le volume de cette salle est vraiment superbe. La description de la carte postale A Gordon Fraser Card me fait rire : Chichester Sussex Bishop Otter College Dining Hall. Véritable épreuve pour mon mauvais accent anglais ! On note le très beau mobilier et le choix de très belles chaises et de lampes. Au fond de l'image, j'ai bien l'impression que ce pourrait être le plan du College.

Comme je ne suis jamais rassasié de belles images, je me demande si Eric de Maré a fait d'autres cartes postales de ce lieu ou d'autres. Comme le désir de commencer des recherches sur cet auteur. Et pour info, dans mon exemplaire de le brutalisme en architecture de Reyner Banham je ne trouve aucune entrée ni pour ce photographe ni pour ces architectes. Voilà bien un mystère...


mercredi 12 février 2025

Faire un autre pèlerinage à Pessac

 


Voilà une bien belle piste si ce n'est une belle carte postale. Du moins, on peut avoir plaisir à ce type de cartes postales mêlant graphisme, typographie et mise en page que l'on trouve un peu kitch et qui font le bonheur de nombreux d'entre nous aujourd'hui.
Et puis, au moins, elles nous permettent d'entrée en contact avec un ensemble architectural assez remarquable (et peu connu me semble-t-il) d'architectes très étonnants : Messieurs Salier et Courtois.

Par bonheur l'éditeur La Cigogne nomme bien donc les deux architectes. Mais déjà nous pouvions un peu en lire l'écriture sur les deux photographies. Bien entendu, d'abord la façade qui mélange découpes de béton blanc très Opt-Art faisant vibrer des petits fanions triangulés comme gardes-corps des balcons et murs aveugles en béton de gravier lavé, apportant un contraste entre massivité et légèreté. L'autre photographie, sans doute pour nous montrer que dans cette Résidence Compostelle tout est bien conçu, affiche le petit centre commercial construit avec, là aussi, un jeu de pointes et de triangles formant un dynamisme certes simple mais de bon aloi. 
Ce que ne montre pas du tout cette carte postale, c'est l'étendue de la Résidence qui est bien plus grande que ne le laisse penser la carte postale ! Comment pourrions-nous deviner depuis ce point de vue qu'il s'agit d'un véritable quartier articulant plusieurs bâtiments autour d'un très grand parc protégé en son centre. Merci Google Earth de nous le donner à voir.
Vous trouverez toutes les informations sur ce bel ensemble en lisant cette fiche très bien faite et qui nous informe surtout que cette Résidence Compostelle a reçu le Label Architecture Remarquable.





Assez typique donc de la production de cartes postales de cette période, cette carte postale s'adresse donc surtout aux habitants nouvellement arrivés voulant montrer leur lieu original d'habitation. Dans une ville comme Pessac, c'est bien normal que l'Architecture Moderne (et moderniste) de l'École de Bordeaux trouve ainsi un moyen de diffusion. 

Je vous conseille également cette petite video même si la fin nous fait un peu peur sur les "transformations" à venir...

Bien entendu, pour les amoureux de Royan que nous sommes, les architectes Salier et Courtois c'est surtout ça :

Pour ceux qui aime Pessac pour le pèlerinage à Le Corbusier :







mardi 11 février 2025

les yeux lavés, les idées claires : Maison Idéale 2000

 Pour me laver les yeux du docu-fiction sur les Grands Ensembles, je voulais trouver la carte postale parfaite pour un contre-point d'image, d'analyse, d'histoire et surtout de joie. J'en ai trouvé deux !
Attention ! Je vous le dis de suite, il s'agit, au moins pour la première, d'un véritable chef-d'oeuvre de la représentation architecturale, une sorte de monument, une ode.
Vous êtes prêts ?
Voilà :



Je vous avais prévenu. Je vous laisse quelques instants pour vous en remettre.

C'est bon ?
Tout est à l'unisson ! D'abord les objets architecturaux, des pavillons parfaits, comme des synthèses du type, comme des déclarations universelles de ce que ce genre doit être. Trois modèles travaillant tous le toit en double pente, la gestion du garage ou du sous-sol (lieu d'une culture populaire), le prospect, le plain-pied et l'étage. Selon la grandeur de la famille, on vous trouvera votre type, selon votre solidité face au crédit, on saura vous orienter sur le nombre de mètres-carrés auxquels vous aurez droit. Ensuite, comment ne pas être touché par le nom de la société de construction elle-même et sa promesse d'un futur radieux : Maison Idéale 2000 !
Tout est dit ! 
Comme il est loin Jean Prouvé...(tant mieux ?)

Bien entendu, il s'agit bien d'une carte promotionnelle éditée par un constructeur. Vous savez (car vous êtes des fidèles) que j'adore ce type de cartes postales. On note qu'ici, elle est absolument parfaite car sur son verso figure à la fois un petit texte d'invitation, l'adresse de l'exposition de la Maison Idéale 2000 à Romorantin, le magnifique logo du promoteur et un plan de la localisation. Vous me voyez venir ? Allons y faire un tour ! Quelle déception...On n'y trouve rien qui permette de retrouver nos pavillons...





Mais ce qui fait toute la qualité d'étrangeté et d'humour de cette carte postale c'est bien qu'il s'agit d'une mise en scène de maquettes de pavillons dans un paysage de bac à sable ! On notera ce jeu joyeux d'intégration très enfantin des dites-maquettes dans un paysage flouté par la focale de l'appareil photo qui fait la mise au point sur les maisons mais dont le grain du sable ne nous trompe que peu de temps sur leur échelle. On imagine la séance de travail : choisir un paysage, un fond de cour pour y poser les maquettes, les emmener sur le lieu de la photographie (qui a réalisé ces maquettes ?) puis fabriquer ce paysage de sable et de faux gazon. Je me souviens avoir vu enfant des maquettes de ce genre sous des cloches de Plexiglas ! Cette image d'un certain bonheur idéal est touchante, j'ai envie de dire prévenante. On admire aussi la beauté du ciel, la lumière parfaite. Comment résister à une telle promesse de bonheur ? Que sont devenues ces maquettes ? Pourrissent-elles dans un sous-sol de l'une des Maisons Idéales 2000 ? Ont-elles été jetées un jour dans une déchèterie ? Servent-elles encore de décor pour des jeux enfantins ? Qui sait...
Elles sont donc maintenant entrées dans l'histoire. Elles seront regardées comme un archétype d'un rêve pavillonnaire du siècle passé. On peut sourire. On peut se moquer. On peut aussi y voir un document, un signe, un bonheur.

Comme un bonheur (de la France profonde) n'arrive jamais seul, je vous propose aussi cet autre petit signe que nous aimons ici :


Alors oui, j'ai surtout fait rentrer cette carte postale de Pont du Fossé pour ce détail :



On y trouve le fameux modèle de Club des Jeunes (modèle SEAL 2ème série)) que nous avons si souvent vu. Et comme j'aime toujours autant ce modèle et l'idée de sa multiplication, je tente, comme pour les Piscines Tournesol une sorte d'inventaire de sa représentation. Un tour rapide sur Google et je retrouve immédiatement la Maison pour Tous de Pont-du-Fossé et en parfait état dans un joli petit parc arboré ! Quelle joie de voir une commune qui fait ainsi attention à ce genre de petit patrimoine moderne et qui le maintient vivant dans ses formes et ses fonctions ! Bravo !
Sur cette carte en multi-vues de Pont-du-Fossé on remarque aussi un bâtiment moderne qui semble avoir une belle écriture mais dont on de sait rien (colonie du Brudou) et un pont de béton armé à l'écriture si caractéristique que nous aimons tant. Voilà trois raisons d'aller là-bas...
La carte est une édition Cellard qui ne nomme ni le photographe ni les architectes Messieurs Béchu, Bidault et Guillaume.

pour revoir des Clubs des Jeunes du même modèle ou d'un autre :
etc...
ici un bel article avec des photos de montage d'un club similaire !


lundi 10 février 2025

Grand Ensemble, un film de Sylvain Desmille

 







J'ai hésité entre ne pas vous parler de ce documentaire (film ?) ou vous en parler. Donc, j'ai décidé de vous en parler. Il faut dire que j'hésite entre satisfaction de voir que le travail d'analyse et de fiction que je fais ici depuis presque 20 ans finalement passe un peu et un sentiment d'influence (pour ne pas dire plagiat et d'imprécisions) assez évident si j'en crois tous les amis qui me signalent ce film. Ils m'y retrouvent (tiens...donc) moi pas.

D'abord la forme : articuler une fiction autour d'un pseudo-collectionneur de cartes postales des Grands Ensembles (eh oui) en fabriquant un Grand Ensemble générique et archétypal (qui ne dit pas son nom) pour embrasser toute l'histoire de ce type d'architecture, pourquoi pas...Mais alors, de ce fait, on ne peut pas s'attendre  à une modulation des thématiques abordées. On retrouve obligatoirement le tout-venant de la pensée sur cette histoire et son mode de représentation. On a même le droit aux poncifs des représentations sur le vide, sur les vues aériennes etc... Évidemment aucun photographe de cartes postales n'y est jamais interrogé, aucun éditeur non plus. Dans ce film, ne vous attendez pas à un angle original sur cette question ! On note que la fiction ici construite est soutenue par un ramassis d'archives coupées pour illustrer la narration et, parfois, j'ai pouffé de rire en voyant comment la voix off tente de justifier les images. Que faire d'un tel collage rassemblant des images d'archives jamais interrogées mais servant uniquement à fabriquer une sorte de vérité sensible, d'apporter une preuve ou même de créer surtout une familiarité de l'archive personnelle avec le spectateur ? On étouffe, c'est l'indigestion. Les cartes postales semblent presque même reléguées au second plan, on ne sait plus à la fin ce que le personnage principal veut nous en dire et surtout en faire. On note que presque toutes les (mes ?) pistes sont reprises : même celles des cartes postales situées...là je saute de ma chaise...Ben voyons...Le générique final passe si vite qu'on a à peine le temps de regarder d'où viennent toutes ces cartes postales, qui les prête, comment elles furent organisées en collection pour ce type de fiction. 

On ne peut donc pas dire qui a commandé cette forme, qui en a eu euh...l'idée ? Martin Parr, Mathieu Pernot, votre serviteur peut-être...ou, allez, soyons fous, Chris Marker...

Le fond : Alors là...on a donc les poncifs habituels sur le retournement de la Modernité, le temps de grâce, l'effondrement, l'immigration, la destruction, le regret enamouré du récitant qui voit sa tour s'effondrer...

En même temps, cette histoire des Grands Ensembles est en partie vraie mais il aurait été utile de faire quelques nuances historiques, sociales et surtout architecturales ! Aucun architecte ou urbaniste n'est nommé. Aucun...C'est fort dans une émission d'une heure sur les Grands Ensembles. Comment nous faire croire que Sarcelles, le Mirail ou une petite barre de Hard French en province sont du même ordre ? Comment laisser croire que la banlieue parisienne a produit la même histoire que les Grand Ensembles en province ? Et l'expérience des Villes Nouvelles ? Le ton final du récitant, un peu nostalgique, un peu dans un regret compassé vraiment est écoeurant. Rien surtout sur le besoin de logements d'aujourd'hui, aucune conclusion ou prise de position sur l'ANRU. Rien sur une culture émanant de ces lieux ! Fonction émolliente du documentariste et du cinéaste se laissant prendre par sa fiction : le piège parfait. Alors il sert à quoi ou il sert à qui ce documentaire ? Je n'ose pas penser à la bonne foi du réalisateur, à son rêve de dire quelque chose de positivement neutre en quelque sorte. Sans doute qu'il les aime, qu'il y a vécu quelque chose. Sa légitimité n'est pas la question. Mais franchement, il faut travailler un peu plus, les regarder un peu mieux et surtout un peu plus longtemps ces cartes postales pour en saisir certaines subtilités et briser l'étonnement de leur existence, formuler qu'elles sont bel et bien des archives et pas des sentiments doux-amer d'un monde en voie de disparition, c'est à dire se dégager justement de sa subjugation de l'image. Surtout, il faut savoir apporter, si on a une telle ambition, des idées à soi. Des idées à soi. On appelle ça un angle.

Faut-il sauver les Grand Ensembles ? Fallait-il les sauver ? Qui est coupable ? Qui doit avoir honte ? Pour cela, il aurait fallu prendre ces cartes postales comme des objets aujourd'hui politiques(pas autoritaires), comme des signes et même des programmes. La Nostalgie, Camarade, ne sert plus à rien quand on en fait ainsi un bouquet attendri dont ne ressort que le regret et pas l'action. Cette culture, ces espaces, leur halo théorique et conceptuel ne peuvent se résumer ainsi dans une voix Off qui fait semblant.

S'agit-il d'une autosatisfaction bourgeoise qui ressemble à une victoire sur une erreur, sert-elle à repenser l'histoire depuis la hauteur du sachant ou à une vulgarisation sans modulation d'une période et d'une action politique pour en racheter les errements et/ou les réussites ? On ne sait plus... 

Et merci d'être venu ici. Merci pour l'hommage. Servez-vous, c'est gratis.

https://www.france.tv/france-3/paris-ile-de-france/la-france-en-vrai-paris-ile-de-france/6895951-grand-ensemble.html