J'ai hésité entre ne pas vous parler de ce documentaire (film ?) ou vous en parler. Donc, j'ai décidé de vous en parler. Il faut dire que j'hésite entre satisfaction de voir que le travail d'analyse et de fiction que je fais ici depuis presque 20 ans finalement passe un peu et un sentiment d'influence (pour ne pas dire plagiat et d'imprécisions) assez évident si j'en crois tous les amis qui me signalent ce film. Ils m'y retrouvent (tiens...donc) moi pas.
D'abord la forme : articuler une fiction autour d'un pseudo-collectionneur de cartes postales des Grands Ensembles (eh oui) en fabriquant un Grand Ensemble générique et archétypal (qui ne dit pas son nom) pour embrasser toute l'histoire de ce type d'architecture, pourquoi pas...Mais alors, de ce fait, on ne peut pas s'attendre à une modulation des thématiques abordées. On retrouve obligatoirement le tout-venant de la pensée sur cette histoire et son mode de représentation. On a même le droit aux poncifs des représentations sur le vide, sur les vues aériennes etc... Évidemment aucun photographe de cartes postales n'y est jamais interrogé, aucun éditeur non plus. Dans ce film, ne vous attendez pas à un angle original sur cette question ! On note que la fiction ici construite est soutenue par un ramassis d'archives coupées pour illustrer la narration et, parfois, j'ai pouffé de rire en voyant comment la voix off tente de justifier les images. Que faire d'un tel collage rassemblant des images d'archives jamais interrogées mais servant uniquement à fabriquer une sorte de vérité sensible, d'apporter une preuve ou même de créer surtout une familiarité de l'archive personnelle avec le spectateur ? On étouffe, c'est l'indigestion. Les cartes postales semblent presque même reléguées au second plan, on ne sait plus à la fin ce que le personnage principal veut nous en dire et surtout en faire. On note que presque toutes les (mes ?) pistes sont reprises : même celles des cartes postales situées...là je saute de ma chaise...Ben voyons...Le générique final passe si vite qu'on a à peine le temps de regarder d'où viennent toutes ces cartes postales, qui les prête, comment elles furent organisées en collection pour ce type de fiction.
On ne peut donc pas dire qui a commandé cette forme, qui en a eu euh...l'idée ? Martin Parr, Mathieu Pernot, votre serviteur peut-être...ou, allez, soyons fous, Chris Marker...
Le fond : Alors là...on a donc les poncifs habituels sur le retournement de la Modernité, le temps de grâce, l'effondrement, l'immigration, la destruction, le regret enamouré du récitant qui voit sa tour s'effondrer...
En même temps, cette histoire des Grands Ensembles est en partie vraie mais il aurait été utile de faire quelques nuances historiques, sociales et surtout architecturales ! Aucun architecte ou urbaniste n'est nommé. Aucun...C'est fort dans une émission d'une heure sur les Grands Ensembles. Comment nous faire croire que Sarcelles, le Mirail ou une petite barre de Hard French en province sont du même ordre ? Comment laisser croire que la banlieue parisienne a produit la même histoire que les Grand Ensembles en province ? Et l'expérience des Villes Nouvelles ? Le ton final du récitant, un peu nostalgique, un peu dans un regret compassé vraiment est écoeurant. Rien surtout sur le besoin de logements d'aujourd'hui, aucune conclusion ou prise de position sur l'ANRU. Rien sur une culture émanant de ces lieux ! Fonction émolliente du documentariste et du cinéaste se laissant prendre par sa fiction : le piège parfait. Alors il sert à quoi ou il sert à qui ce documentaire ? Je n'ose pas penser à la bonne foi du réalisateur, à son rêve de dire quelque chose de positivement neutre en quelque sorte. Sans doute qu'il les aime, qu'il y a vécu quelque chose. Sa légitimité n'est pas la question. Mais franchement, il faut travailler un peu plus, les regarder un peu mieux et surtout un peu plus longtemps ces cartes postales pour en saisir certaines subtilités et briser l'étonnement de leur existence, formuler qu'elles sont bel et bien des archives et pas des sentiments doux-amer d'un monde en voie de disparition, c'est à dire se dégager justement de sa subjugation de l'image. Surtout, il faut savoir apporter, si on a une telle ambition, des idées à soi. Des idées à soi. On appelle ça un angle.
Faut-il sauver les Grand Ensembles ? Fallait-il les sauver ? Qui est coupable ? Qui doit avoir honte ? Pour cela, il aurait fallu prendre ces cartes postales comme des objets aujourd'hui politiques(pas autoritaires), comme des signes et même des programmes. La Nostalgie, Camarade, ne sert plus à rien quand on en fait ainsi un bouquet attendri dont ne ressort que le regret et pas l'action. Cette culture, ces espaces, leur halo théorique et conceptuel ne peuvent se résumer ainsi dans une voix Off qui fait semblant.
S'agit-il d'une autosatisfaction bourgeoise qui ressemble à une victoire sur une erreur, sert-elle à repenser l'histoire depuis la hauteur du sachant ou à une vulgarisation sans modulation d'une période et d'une action politique pour en racheter les errements et/ou les réussites ? On ne sait plus...
Et merci d'être venu ici. Merci pour l'hommage. Servez-vous, c'est gratis.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire