lundi 9 mai 2022

Une carte programmatique des villes dites nouvelles

Comme on aime bien les cartes postales promotionnelles, on aura eu plaisir de tomber sur celle-ci, du Vaudreuil ville nouvelle, aujourd'hui rebaptisé, Val de Reuil. On est au bord de la carte postale puisque, même si son format et son dos réservé à la correspondance lui donnent bien sa place dans ce genre éditorial, on devine de suite que cette carte postale n'était pas du tout faite pour une correspondance.
Elle prend donc tous les codes mais n'est pas vraiment une carte postale.
Pourtant, elle permet deux choses essentielles : voir une réalisation architecturale des plus étonnantes et comprendre comment la promotion en était faite.
J'ai déjà dit ici ce que je pensais du Val de Reuil, mélange de socle à mon épanouissement dans l'architecture moderne et contemporaine, déception de ce que cette expérience en terme de forme est devenue et respect total pour cette tentative urbaine à la fois audacieuse, complexe, expérimentale et assez archétypale pour que ce rhizome puisse devenir au fil du temps une réalité urbaine avec sa propre histoire. Ce n'est pas donné à tout le monde d'appartenir à une génération ayant vu s'inventer de manière aussi complète une ville entière. Je suis donc malgré tout, toujours sensible à cette ville même si j'aurais préféré voir celle que Jean Renaudie avait projetée.
Regardez :
D'abord l'image. 


Le ciel est bleu et se répand sur les immeubles en béton préfabriqué, alternant le brun et le blanc et le surgissement de petits balcons. Nous sommes bien dans le centre historique du morceau d'architecture, amorce première de la ville. On note que la rotonde semble plus audacieuse, presque brutaliste devant une petite construction assez banale, en tout cas, ne voulant rien d'affirmé ni de spectaculaire, ni de très audacieux. Un anonymat assez étrange pour une expérience de cet ordre. Nous pourrions bien être absolument partout et surtout... nulle part.
Mon œil glisse bien entendu sur l'impression de dalle, de netteté minérale que le groupe d'enfants et la petite famille en promenade doivent savoir comme étant la spécificité de cette ville qui veut bien mettre au loin les automobiles. Je me reconnais donc dans ces skateurs de la première génération qui ont dû croire que la ville avait été conçue pour la pratique de ce nouvel art urbain. Pourtant... la petite famille parfaite qui se promène avec poussette et chien pourrait bien être la cible socio-culturelle visée par les promoteurs de ce nouvel art de vivre. Ni en banlieue, ni en campagne, croyant en cette révolution des villes nouvelles venant éteindre et disqualifier les expériences encore très vivantes des Grands Ensembles, les familles venaient là voir si, en lieu et place d'un pavillon, on ne pourrait pas vivre ici. Mes parents ont aussi douté.
Finalement... ce fut le pavillon. Les enfants auront donc grandi dans une ville minérale ou tout est lisible, où les volumes sont clairement façonnés, où les fonctions et les besoins sont distribués autour de cet axe premier. Que fera l'écologisme de cette tentative ?
Puis le texte.


On note que l'argumentaire, bien avant d'être architectural est urbain. L'architecture n'est abordée que par son financement. On s'amuse là encore de cette volonté de faire un lieu particulier dont la définition reste difficile à faire. On parle de joli coin, de vacances... Tout de suite les fonctions de la ville sont bien rendues lisibles comme pour rassurer, sans doute aussi pour parler de l'échec souvent récurrent de ce manque d'urbanité dans les Grands ensembles. Il y a même un Mammouth !




Mais voici une vraie carte postale du Vaudreuil. On note d'ailleurs que les éditions Kettler nomment encore le Vaudreuil, Ville Nouvelle.
On retrouve bien là le principe de cette ville construite comme une rue longue et piétonne sur laquelle la distribution des fonctions viendront se greffer. L'abandon de l'auto fait image, donne certainement aussi une idée du premier tournant contre cet objet qui est vu comme encombrant les rues. Ici, les enfants circulent sans crainte sur une surface essentiellement minérale et nette. Le ciel pourtant tente de descendre dans les peintures murales comme pour en ouvrir les surfaces. Deux petites filles minuscules marchent devant nous, l'une d'elles porte fièrement le pain. Je pense à Doisneau. Les enfants vont toujours chercher le pain, première responsabilité de l'enfance. Et sur l'une des fenêtres, quelqu'un a fait ce geste que j'aime tant d'inscrire une croix sur son habitation. Se reconnaître ici et maintenant, se reconnaître là dans le mystère d'une image fermée.
Beaucoup de ciel au Vaudreuil.
Combien d'habitants de la première génération vivent encore dans ce morceau urbain exceptionnel ? Combien y ont vécu la vie décrite sur le dos d'une carte promotionnelle ? Combien en furent convaincus puis ont changé d'idée parce qu'une ville ça change aussi ? Est-ce que ces deux petites filles ont lié des liens particuliers avec cet espace ? Y vivent-elles encore, heureuses de leur histoire urbaine ? Ont-elles été transformées par cette expérience ?
Les cartes postales ne le disent que rarement. Ce n'est pas leur objet. Ne forçons pas ce document à être autre chose que ce qu'il est. Un moment.
Pour revoir et relire Val de Reuil :








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