Nous allons retourner à Venissieux. Il faut toujours, comme le criminel et le photographe, retourner sur le lieu de son crime.
Deux nouvelles cartes postales viennent remplir en quelque sorte les trous de notre analyse sur un urbanisme du Hard French. En effet, avec deux cartes postales supplémentaires on peut un peu mieux saisir de quoi était (est encore ?) fait un urbanisme assez typique de ce genre.
Deux cartes postales qui nous montrent bien comment le photographe de Combier a tenté de prendre en compte toutes les qualités de ce genre de constructions.
Il a, ce photographe, en quelque sorte, deux attitudes possibles :
- soit il décide de raconter la zone tout entière en faisant jouer d'écho en écho les tours les unes contre les autres, tentant d'embrasser l'ensemble (le Grand Ensemble) comme pour en montrer les espaces intermédiaires, les fuites du regard, la gestion des vides faits de la création de parking, de pelouses rases et d'arbrisseaux, prouvant que la montée dans les verticales assèche la densité au sol, le rend au ciel, rêve moderniste trainant encore de la cité-jardin, la rue ayant disparu au profit d'un vide. Ce vide aujourd'hui considéré comme un manque, comme aussi un espace à redensifier pour en corriger l'ennui qu'on croit devoir lui attribuer. Ce premier point de vue renvoie aussi les immeubles, les tours à leur identique image, posées les unes après les autres, égalitaires, identiques, à l'infini, produisant comme le dira le commun de l'analyse de ce genre d'espace l'ennui donc et l'incapacité à s'y identifier. On voit aujourd'hui que cette impression est bien tempérée, voire même acceptée, ces espaces ayant plein d'occasions d'une reconnaissance de lieu dans la culture populaire : un territoire, une comté, presque un pays. On est autorisé à y entrer ou pas.
Le photographe de l'époque de ces prises de vue pour des cartes postales n'est pas encore assujetti à ces frontières invisibles, errant comme il veut au milieu de l'espace, tentant d'en rendre compte au mieux, laissant le regard le traverser sous un ciel étalé outrageusement, ou l'espace ne semble nous dire qu'une seule chose : je me répète de loin en loin. D'ailleurs, rien dans cette carte postale, à part l'usage du parking, n'est visible comme prise en compte de ces vides. Personne sur les pelouses, personne pour en faire des lieux de jeux, de culture, de sport, de commerce (licite ou illicite). Personne ne semble s'approprier cet espace, cet air pur, cet horizon, cette liberté voulus par les urbanistes et architectes. Je n'en tire, croyez-moi, aucune conclusion négative.
-soit il privilégie un immeuble, une tour en l'isolant, en lui donnant la chance d'être peut-être reconnue comme étant celle-là, celle précisément où l'on habite, de faire de cette tour en quelque sorte non plus un espace mais un lieu. Il la mettra alors au milieu de son cadre, la choisira, sans qu'il nous soit possible aujourd'hui de savoir pourquoi c'est celle-ci, la redressera dans ses verticales, lui fera toucher les bords haut et bas de la carte postale, lui donnant une force, une majesté assez radicale. De chaque côté, le vide de l'espace reprend pourtant ses droits et au loin, cette tour choisie se voit relativisée par la présence de ses sœurs identiques. On pourra alors mieux en lire la magnifique grille moderniste, la qualité incroyable de cette architecture que nous devons à Beaudoin et Grimal, architectes si on en croit l'éditeur Combier.
Comment tirer (et qui ?) une conclusion sur ces deux regards d'un même lieu ? Qui croire et qui pour s'y reconnaître comme habitant mais aussi comme architecte ? Dans laquelle de ces deux cartes postales Grimal et Beaudoin ont pu dire " oui c'est que nous avions décidé", "oui c'est notre projet". Et qui aujourd'hui pour désirer les contrarier depuis des images à la fois idylliques et sans concession au réel, ayant juste eu l'opportunité d'enregistrer ce moment, à la fois dans l'objectivité d'une tâche à accomplir, photographier un lieu, et dans le désir sans doute, oui de nous en montrer aussi sa beauté ?
Qu'importe ce que l'image trahit ou révèle, qu'importe que nous puissions aujourd'hui nous interroger sur cette représentation en sachant comment l'histoire, bonne ou mauvaise, est passée sur ces espaces. Il nous reste ça, la beauté parfaite d'un moment, écrit, traduit, (dites ce que vous voulez) mais présent, et j'ose révélé par la qualité d'un métier : photographe anonyme de cartes postales.
Nous étions à la Zup de Vénissieux, aux Mingettes, par Combier éditeur. Pourrions-nous y être encore ou y être de la même façon ? Habiter là a du sens encore. C'est ce qu'il faut défendre, c'est que ça en a toujours eu.
Retournez-y :
de bons architectes... de bons logements...de mauvais transports en commun... bilan qq tours explosées avec des ex habitants en larmes... j'ai quitté Lyon en 1974 mais y suis souvent retourné depuis...famille oblige ...
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